Alsace, 18 Juillet , 15h58.

Les arbres défilaient le long de la voiture des deux jeunes femmes. Tania, au volant, fixait intensément la route. Ella , sporadiquement, lui lançait des boutades auxquelles elle ne répondait que par des monosyllabes rauques.

Rapide de Munich, même heure.

Burton se débarrassa d'un revers de poignet de la parcelle de mousse qui ornait son menton.

— Eh bien Lilnorth, pourquoi pensez-vous que ces types nous filent le train ?

— Je n'en ai aucune idée. J'ai l'impression d'être englué depuis hier soir dans une gigantesque toile d'araignée que des inconnus auraient méticuleusement tissée. Un système s'est délenché qui est en train de me broyer. Je n'en connais ni les tenants ni les aboutissants. Le mystère complet.

— Ce que je vais vous dire va vous sembler mélo, mais ... vous connaissez-vous des ennemis ?

— Non, pas vraiment. Vous savez, je suis du genre à éviter les histoires.

— Alors, au cours de votre boulot, reprit Burton, avez-vous été conduit à manipuler des documents importants, compromettants, peut-être?

— Pas le moindre. Nous travaillons dans la statistique. Les rois de l'archivage et de la prospective, voilà ce que nous sommes. Rien qui puisse motiver un tel acharnement à mon égard.

— Ca ne veut rien dire. Vous n'avez jamais vu 'Les trois jours du condor' ? Le héros est un simple traducteur, et un jour, quand il revient de la pause avec du ravitaillement ...

— Merci, je connais 'Les trois jours du condor'. Il trouve les membres son bureau massacrés et échappe de peu au même sort. Mais, bon, c'est une fiction.

— Croyez-vous que la réalité ne la dépasse pas plus souvent qu'elle ne devrait?

Frisson de Grant.

— Il est manifeste que ces individus sont prêts à tout, convint-il. Vous avez vu ce qui est arrivé au policier qui a tenté de nous barrer la route ?

Burton réfléchit, avant de relancer:

— Le cas échéant, reconnaîtriez-vous vos agresseurs ?

— Pas de danger que j'oublie leur faciès. Avant ce matin, je croyais qu'Hollywood détenait le monopole des méchants à sale gueule. J'ai dû réviser mon jugement. Ceux-ci sont du genre répertorié par les studios Universal. Le premier est un croisement entre Palance et Widmark. La tête adéquate pour un tueur, en vérité.

— Parfait. Vous les identifieriez donc facilement, si l'un d'eux venait à apparaître ?

— Clairement. Du moins en ce qui concerne les deux plus grands. Je n'ai pas réussi à photographier le visage du dernier.

— C'est regrettable. Car nous pouvons nous attendre à les revoir très bientôt ... à Stuttgart, par exemple ...

— Vous croyez vraiment ? gémit Grant.

— Vous ne vous imaginez tout de même pas qu'il vont nous laisser continuer paisiblement notre périble vers Munich ? Ou descendre du train à Stuttgart pour que nous puissions nous fondre dans la population ? Etant donné la détermination dont ils ont fait preuve jusqu'à présent, ça me surprendrait.

— Que pouvons-nous entreprendre, alors, coincés dans ce rapide ?

— Si seulement je le savais ...

Burton vit Grant défaillir.

— Que se passe-t-il, vous vous sentez mal ?

— Je ne me sens pas très bien. C'est comme si tout l'épuisement de ces dernières vingt-quatre heures me dégringolait dessus.

Le voyageur de commerce, pendant une seconde, partagea le fragment d'angoisse qui secouait Grant.

— Retournons dans le compartiment. Vous pourrez vous étendre et récupérer un peu.

— Vous avez raison.

— Tenez, n'oubliez pas votre imper.

— Merci, mais vous êtes en train de me tendre le vôtre.

— Ah oui, tiens ! Il y a, en effet, comme un cousinage.

— Oui, mais le mien a été déchiré au cours de la cavalcade de ce matin, c'est à ça que j'ai reconnu le vôtre.

Assentiment de Burton. Pour un gars au bord de l'évanouissement, Lilnorth conservait une lucidité à toute épreuve.