Coincés

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Allemagne, gare centrale de Stuttgart, 18 Juillet , 18h20

Rodney Nycron se porta à la hauteur de la seconde rampe d'escaliers, dans le but évident d'interdire aux fugitifs toute échappatoire. Il posa sur son nez de minces lunettes cerclées de fer qui confortaient la sécheresse de sa physionomie anguleuse.

Derrière lui, en retrait, discrète, Ella s'assit souplement sur un petit banc, plus ou moins délabré, parfait terrain d'entraînement pour les tagueurs de tout poil. Les jambes repliées, les mains sagement posées sur les genoux, ses cheveux clairs encadrant doucement de beaux traits, elle ressemblait à une étudiante modèle, à la belle-fille idéale, à une poupée, au bout du compte... à tout ce qu'elle n'était pas.

Le haut-parleur émit une sentence qu'elle traduisit grosso modo : 'Mesdames et Messieurs, éloignez-vous de la bordure du quai, s'il vous plaît. Le train rapide 1959, en provenance de Paris et à destination de Munich, va entrer en gare.' Du classique.

La rame pénétra dans la station dans un vacarme couvrant le bruit généré par les voyageurs, qui, peu concernés par les avertissements, s'agglutinèrent le long de la voie, dans une déprimante indiscipline, empêchant les passagers de descendre, provoquant de féroces bousculades.

Fidèle à son mode opératoire, Ella continuait à observer Rodney Nycron.

Grant n'eut pas plutôt posé sa semelle sur le quai qu'il reconnut le grand costume. Une bénédiction pour tous les fugitifs du monde, celui-là, avec sa gueule de travers ! Il repoussa Burton à l'intérieur du wagon.

— Remontez ! Remontez ! N'ayez l'air de rien.

— Qu'avez-vous Lilnorth ? Vous vous sentez mal de nouveau ?

— Remontez, je vous dis ! ILS sont là !

Cette seule assertion, menaçante de brièveté, aurait suffi à vaincre les réticentes les plus ancrées, mais Burton aimait à se rendre compte des choses par lui-même.

— Où sont-ils ? Montrez-les moi.

— Remontez, bordel !

Burton battit en retraite.

— Bon, ça va, ça va ...

Soudain, Ella vit Nycron tressaillir. De toute évidence, l'homme avait aperçu quelque chose. Ses petits sourcils noirâtres s'étaient froncés. Il courut vers ses complices et leur désigna le wagon duquel venaient de s'extraire, si succinctement, les deux fuyards. Le grand Sanders passa plusieurs consignes. Ensuite, ils s'immobilisèrent. Rien de plus inquiétant que cette étrange fixité.

Quelques instants coulèrent. Le haut-parleur éructa une information qui signifiait le redémarrage prochain du rapide.

Pourtant les trois MS demeuraient figés.

— Que font-il ? Interrogea Ella

— Ils attendent le dernier moment pour grimper, expliqua Tania, qui s'était glissée sans un son près du banc. Ils veulent être certains que nos inséparables ne déserteront pas la volière.

— Donc, nous, nous pouvons monter tout de suite ... puisqu'ils font le guet pour nous. Décalons-nous de plusieurs wagons. Avez-vous pris ma mallette ?

— Oui, j'ai pris cette valisette pleine de frivolité et de sapes. Vous avez de ces priorités !

Ella ne jugea pas le moment favorable à l'ouverture d'un débat promettant d'être animé. Aussi s'insinua-t-elle dans la rame sans une répartie.

Le convoi fut agité d'un long spasme, tandis que le haut-parleur, décidément bien guttural, crachait une dernière fois : 'Attention , Voie F, éloignez-vous de la bordure du quai, Voie F, attention au départ !'.

Les trois MS, assurés de la présence de leur gibier à bord, bondirent tour à tour sur le marchepied.

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