Annonce choc (Nouvelle)
L’orage résonne dans cette salle dans laquelle j’ai du mal à décrocher mon regard d’un papier à l’air inoffensif. Ce que j’y lis, avec l’aide de la personne située face à moi, annonce pourtant un sombre futur. Il m'est décrit l’évolution à prévoir ainsi que le déroulement des mois et années à venir. J’ai la sensation de perdre pied, encore plus lorsque je prends conscience du fait que je ne pourrai plus jamais revenir en arrière. Mon interlocuteur me serre mollement la main tandis que je quitte son bureau, encore sous le choc. Je déambule dans les couloirs, faisant face aux gens. Je sens leur regard se focaliser sur moi comme s’ils étaient tous déjà informés. Dans leurs yeux, je peux lire la peine, la pitié… Partez, je ne veux jamais être cette petite chose fragile qu’on sauve pour se donner bonne conscience. Je reste une personne forte ! Malgré tout, je ressens le besoin de m’asseoir afin de réaliser ce qu’il vient de se passer. Le mois dernier, j’ai eu un rendez-vous banal… un simple contrôle comme nous sommes tous amenés à en faire, on me dit qu’il faudrait pousser ce contrôle un peu plus loin, ce que je ne comprenais pas… et aujourd’hui, un homme que je ne connaissais pas il y a trente jours va devenir le centre névralgique de mon existence. Comment je vais annoncer ça à ma femme ? A mes filles ? Même à mon chien… vu sa sensibilité, je suis sûr qu’il comprendra que quelque chose à changé.
Finalement, après quelques minutes passées à penser, je prends l’ascenseur pour me retrouver dans une foule compacte qui a l’air toute aussi informée. Je ressens encore cette pitié… s’il vous plaît, arrêtez-vous, de toute manière, je ne m’en souviendrai pas. Arrivé au rez-de-chaussée, je me dirige vers la sortie qui me réserve un accueil sous une pluie battante. Cependant, malgré cette démonstration de force naturelle, je ne peux m’empêcher de me retourner vers ce grand bâtiment. J’avais réussi à l’esquiver durant toute ma vie, seulement, aujourd’hui, je le contemple avec méfiance car je sais que nous serons amenés à nous revoir… de plus en plus. Etant seul pour la journée, je prends la décision d’aller manger dans un fast-food. Je n’aime pas spécialement la malbouffe mais ce lieu est aujourd’hui teinté de nostalgie. Il me ramène aux souvenirs de soirées interminables avec mes amis de l’époque, entre hamburgers, cinéma et musique. Je dévore goulument ce burger, qui n’a pas changé de goût… l’illusion d’être revenu vingt ans en arrière est parfaite.
Après avoir payé, je reprends la route, toujours plongé dans une amère incertitude. J’ignore comment annoncer tout ça à mes proches sans leur faire de mal. J’imagine que cette mission est perdue d’avance. Arrivé chez moi, j’allume la télévision et je profite de ce début d’après-midi pour réfléchir. Voilà Rufus qui arrive… un magnifique husky que nous avons accueilli dans la famille après que son ancien maître l’ait lâchement abandonné. Ça n’a pas été simple de lui faire comprendre que nous ne voulions que son bonheur mais une fois ce principe absorbé, c’est lui qui a fait notre bonheur. Aujourd’hui, il vient seulement se blottir contre moi, la tête posée sur ma cuisse, le regard dirigé vers mon visage. Je rentre à peine qu’il a déjà compris. Je le caresse longuement, essayant de le rassurer même si l’impression de me rassurer moi-même prédomine.
La réflexion de l’après-midi n’a abouti à rien de concret, me voici donc parti vers l’école pour récupérer Manon et Lola, mes deux trésors. Elles sont tellement heureuses de me voir à la sortie des cours avec Rufus qui plus est. Les filles ne semblent pas détecter l’anomalie, à mon grand soulagement. Nous rentrons tranquillement à la maison, prenons une petite collation et enfin, elles se lancent dans la routine des devoirs. Là où je peux les aider, je fais toujours avec plaisir. Pouvoir utiliser mes connaissances pour soutenir mes deux princesses, quoi de mieux ? Pendant quelques minutes, j’en oublie le fardeau qui pèse sur mes épaules jusqu’à ce que je réalise que cette simple tâche ne me sera plus accessible pour longtemps. La fin d’après-midi ainsi que le début de soirée passent à une vitesse hallucinante. Devant ma femme et mes filles, je tente de paraître serein et fort, après tout, elles ne savent pas. Cependant, voir les yeux de notre husky me rend nerveux, j’ai l’impression de mentir aux trois femmes de ma vie. Ne t’inquiète pas Rufus, bientôt, elles sauront.
Pour mes filles, il est l’heure de se coucher et depuis leur naissance, j’aime leur conter une histoire afin de les endormir en toute sérénité. Ce soir, le timbre de ma voix a du mal à s’accorder avec le bonheur de partager un moment tel que celui-ci, je sens que mon armure est en train de craquer. Elles n’ont pas semblé le remarquer, peut-être que leur journée d’école a été fatigante, en tout cas, leur voyage au pays des rêves à débuter. Je les embrasse tendrement, prenant le temps d’essuyer les quelques larmes qui se sont échappées hors de mes yeux. Je me passe de l’eau sur le visage avant de rejoindre Carine, ma chère et tendre. Elle est déjà installée, prête à lancer notre série du soir. Je la regarde quelques secondes avant qu’elle ne me fasse signe d’approcher. Son sourire me réchauffe le cœur comme au premier jour et pour ce genre de choses, je me sens béni, mais maintenant, il est temps de révéler ce secret.
Je m’appelle Guillaume, j’ai trente-huit ans. J’ai une famille incroyable et aujourd’hui, j’ai peur du futur, peur de tout oublier, peur de perdre mes souvenirs car aujourd’hui, j’ai été diagnostiqué avec une forme précoce de la maladie d’Alzheimer.
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