L’Âme en Verre
Je suis l’enfant étrange aux prunelles d’opale,
Dont l’esprit, trop lucide, à l’ombre se dévoile ;
Dans le tumulte obscur des rires et des voix,
Je marche seul, glacé, loin des communes lois.
Le monde est un bal fou, criard, sans harmonie,
Où l’on danse au bord d’un gouffre, en comédie.
Moi, je vois les fissures, les failles, les silences,
Les soupirs étouffés sous les fausses cadences.
Sous mon front lourd de ciels que nul ne sait nommer,
Un orage éternel refuse de tomber.
Je suis l’âme fragile, au bord de chaque chose,
Un verre trop pur que le vent même explose.
On dit « Asperger », comme on dit une faute,
Mais c’est un diamant qu’un ciel noir me grelotte.
Je sens, j’entends, je vois — trop fort, trop intensément,
Et le monde me brûle en chaque battement.
Je cherche un sens, un cœur, un lieu, une clarté,
Mais tout est masque, jeu, rictus et vanité.
Alors je m’exile en mes songes amers,
Compagnon du silence, apôtre de l’éther.
Et je vois dans les rues des foules mécaniques,
Leurs regards transparents, leurs gestes robotiques.
Ils passent, sans sentir le vertige du ciel,
Ignorant les parfums, les frissons essentiels.
Moi, je m'arrête, ému, devant un grain de pierre,
Un rayon d’or perdu sur l’épaule d’un lierre.
Chaque chose me parle, mais nul ne m’entend :
Je suis l’étranger au murmure du vent.
J’ai tenté, tant de fois, d’imiter leur manière,
D’apprendre leur théâtre, leurs rires de verrière.
Mais le masque me pèse, il me coupe le souffle,
Et je retombe, las, dans mes rêves en touffes.
Là, je bâtis des mondes où l’on ne juge pas,
Où la beauté se cache en chaque maladroit.
Où l’on pleure sans honte, et sans peur, on s’écarte,
Pour offrir à l’étrange une place à sa carte.
Mais parfois, dans la nuit, une angoisse m’étreint :
Suis-je donc condamné à ne toucher aucune main ?
À n’être qu’un écho dans des salles vides,
Un cri trop ancien que la vie évite ?
Alors je m’écris, comme on jette une encre,
À la mer des vivants, espérant qu’un jour, quelque ancre
Accrochera mon chant, le lira sans effroi,
Et dira : « Tu n’es pas seul, je te vois, je te crois. »
Et si je suis de verre, ébréché par les heures,
Je suis aussi miroir aux reflets de splendeur.
Car dans ma solitude, un feu doux me traverse :
Un éclat de vérité — fragile… mais qui perce.
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