Une main tendue dans le vide.

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 Mercredi 6 février 2019.


Il est 20h, après une journée éprouvante, je rentre chez moi.
Maman a beaucoup trop bu, je ne le sais pas encore.
J'ouvre la porte, j'ai le sourire imprimé sur mes lèvres.
Et elle me tombe dessus, tel un prédateur fondant sur sa proie, comme si elle m'attendait depuis des heures.
Des phrases bredouillées, des remarques violentes, j'essaie de calmer le jeu en l'amenant dans sa chambre pour se coucher. 
Elle me pousse, ses yeux sont cachés par ses lunettes de soleil. Son haleine empeste l'alcool fort. Je vois derrière elle plusieurs bouteilles de whisky vides. 
Je commence à angoisser.
Le ton monte, je lui demande d'aller se reposer, et de me laisser tranquille.
« P'tite connasse, t'as vu l'heure à laquelle tu rentres ? Sale égoïste, tu me laisses seule toute la journée ! T'en a rien à foutre de moi ! »
« Maman, arrête, s'il te plaît, je suis désolée. Va te coucher, on parlera demain. »
Elle m'agrippe le bras, me secoue comme un prunier. Je me débat, je cours à ma chambre. 
Je n'ai pas de verrou, elle l'a retiré il y a longtemps, elle entre à sa guise.
Maman plonge sur moi, elle prend mes cheveux, me tape de ses poings. Ses ongles me griffent la peau, ses mains se serrent autour de ma gorge.
Et je crie. Je hurle, mes cordes vocales se déchirent. J'essaie de m'échapper à son emprise, mais maman est acharnée. J'ai mal, j'ai peur, je souffre.
Mes hurlements, les voisins les entendent, j'en suis sûre.
Ce n'est pas la première fois que cette situation se produit. Mais cette fois, je crois que je vais mourir.
Elle va me tuer.
J'ai peur.
Personne ne me vient en aide. Ils ont tous trop peur. Peur d'intervenir dans une affaire qui n'est pas la leur. Et je les déteste. Je les déteste de ne pas agir, je les déteste de faire comme si.
« J'vais te crever ! J'vais te crever, t'entends ! Pauvre gamine, c'est de ta faute si tout va mal ! »
Je hurle, encore et encore. Sans défense. Sans armure. Sans armes. 
Elle me tire les cheveux, je la frappe, elle me lâche. Je m'enfuis dans la salle de bains, seule pièce de la maison qui a un verrou.


Je m'enferme. Une demi-seconde plus tard, maman se jette contre la porte. Elle crie, comme un animal enragé. Ses sanglots hystériques se mêlent à ses paroles empoisonnées. 
Je recule, me réfugie dans la baignoire. Et là, tout s'évacue. 
D'abord quelques gouttes, puis un véritable torrent de larmes. Je prend mon visage entre mes mains. Et je hurle à l'agonie. Je tape dans le mur. 
J'ai peur.
Je veux que ça s'arrête. 
Je veux qu'on vienne me sauver.
Je veux juste de l'aide…

 J'ai été victime de ma mère, alcoolique, violente et psychologiquement instable pendant presque deux ans, sans compter les nombreuses années dans mon enfance où elle n'a fait que me détruire. Je n'en n'ai jamais parlé réellement avant début 2019.
Ce soir-là a été le pire de ma vie. Je pensais que j'allais mourir.
J'ai attendu que ma mère s'endorme pour faire mon sac et quitter le domicile familial. Mon petit-ami et deux amis sont venus me chercher, il était presque 22h. Ils m'ont ramené chez eux.
J'ai été hébergée trois semaines de part et d'autres, ratant les cours, ne dormant que quelques heures par nuit tant j'étais terrifiée.
Je suis allée au poste de police pour porter plainte, on me l'a refusé, sous prétexte que je me devais de soutenir ma mère dans son alcoolisme et que je me devais de la comprendre. Premier échec, très cuisant.
Encouragée par mes proches, j'ai ensuite fait appel au 119, le numéro attribué à SOS Enfance en Danger. On m'a mise à la charge d'une assistante sociale, avec qui j'ai eu deux rendez-vous pour expliquer la situation, les actes qui avaient été commis. Une enquête sociale a été démarrée, on m'a dit qu'on me rappellerait, que des éducateurs seraient présents pour m'entourer. Que des soins psychologiques me seraient apportés.

 Mercredi 2 octobre 2019. On ne m'a jamais rappelé. Aucun éducateur ne m'a aidé pendant que je recevais bon nombre de menaces par messages de la part de ma mère. J'ai dû moi-même faire la demande d'obtenir à nouveau un suivi psychologique, car personne ne m'a contacté. J'ai fais un énorme décrochage scolaire, je n'allais presque plus en cours, j'ai failli rater mes épreuves anticipées du bac. Burn out, déprime, rien n'allait.
Je viens d'apprendre aujourd'hui que l'affaire me concernant a été classée. Je n'ai jamais été prévenue. On ne m'a pas demandé mon avis. Les services sociaux, "merveilleux anges gardiens" ont jugés que j'étais assez grande pour me prendre en main seule, car j'approcgais à grands pas de ma majorité. Je ne recevrais pas d'aide de leur part, ils ne me protégeront pas.
Et je ne suis pas la seule dans ce cas-là. Beaucoup d'autres jeunes dans des situations similaires ou même pires que la mienne voient leur dossier fermé. On nous condamne à faire face à ceci tout seul.
Combien d'entre nous ont l'espoir de voir leur vie s'arranger et ne se retrouvent qu'avec le goût misérable de la poussière dans la bouche ?
Trop. Beaucoup trop.
Que sommes-nous censés penser d'une société incapable de protéger ses jeunes, ses enfants ? 
Quel respect sommes-nous censés lui montrer, alors qu'elle nous abandonne comme de pauvres déchets ?
C'est quoi le but ? Quand est-ce que vous comptez agir ? Quand on sera blessés et hospitalisés ? Quand on sera morts ?
C'est ça, votre objectif ? Nous voir périr sous les coups de nos parents comme toutes ces pauvres femmes qui meurent sous les coups de leurs conjoints ? Comme tous ces gens qui meurent de faim, de soif, de froid ?
Quand vous avez face à vous un enfant, un adolescent, qui vous raconte avec une voix torturée tout le mal qu'il subit, est-ce que vous vous dites «Cet enfant a besoin d'aide. C'est mon devoir.» ? Est-ce que vous voyez la détresse dans nos yeux ? Les prières silencieuses derrière chacun de nos regards ? 
Non. Vous ne les voyez pas. Vous ne les entendez pas. Pour la plupart en tout cas.

  La société veut que ses jeunes la respecte ? 
Au Diable ce qu'elle veut ! J'lui crache à la gueule ! 
Je ne respecterais pas un système qui ne fait pas en sorte d'aider toutes ses victimes ! « Liberté, égalité, fraternité », c'est notre devise.
Mais où est-elle la liberté quand bon nombre de gens se retrouvent enchaînés à de vieux démons qui les empêchent de vivre ? Où est-elle l'égalité lorsque seulement une poignée de jeunes, de femmes, d'hommes reçoivent l'aide dont ils ont besoin ? Et où est cette putain de fraternité lorsque les gens sont trop abrutis pour intervenir lorsqu'ils entendent leur voisine de 16 ans se faire violenter par sa mère à 2h du matin ! 
De l'air, c'est que de l'air. Y a pas de liberté, y a pas d'égalité, pas de fraternité. C'est chacun pour sa gueule et tant pis si certains crèvent.
Je ne remercie pas le système bien évidemment, ni ma mère qui m'a fait tellement enduré que certaines de mes cicatrices psychologiques sont désormais indélébiles. Je ne dis pas merci à tous ces gens qui m'ont regardé de haut pendant que je leur tendais la main, désespérée.
Il y a des exceptions dans le tas, évidemment, tout n'est jamais tout noir ou tout blanc.
Mais peut-on considérer ce genre de choses comme normales ? Les gens ont-ils une conscience, un coeur, pour agir de cette façon ? 
Je pousse mon coup de gueule, pas seulement pour moi, mais pour tous ces jeunes qui souffrent et à qui on n'apporte aucune aide.

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