II : Renfort
— Grenade !
Le projectile ricocha le plafond avant de tomber sur le sol. Instinctivement, mon pied percuta l’explosif comme s’il s’agissait d’un ballon. Pendant quelques instants j’eus l’impression de retourner sur le terrain de foot de New Land.
La grenade scintilla sous la lueur des tirs à plasma et quitta notre position “fortifiée”. Elle explosa quelques mètres plus loin, vaporisant sur son passage un ou plusieurs assaillants. J’étais parvenu à obtenir une arme, celle d’un militaire qui, au vu de l’état de sa cervelle barbouillant le plancher, n’en aurait plus besoin. Aucun des soldats autour de moi n’avait réagi, et vu qu'on risquait tous d'y rester ils avaient d'autres soucis en tête.
Je me suis jeté derrière un couvert pour éviter une nouvelle salve de tirs. Nous n'étions plus qu'une dizaine en état de combattre, le reste était déjà mort ou agonisant pour les plus malchanceux. Face à nous se tenait une cinquantaine de connards des Corps Révolutionnaires de la planète. Entre deux salves, je parvint à me redresser pour refroidir trois assaillants qui s’étaient trop approchés de ma position. Le Caporal n’était pas loin et visiblement dans en sale état. Accroupi contre une caisse de ravitaillement médical, il tenait son épaule en lambeaux, un mince filet de sang coulait depuis la commissure de ses lèvres. Je n’avais rien d’un infirmier ou encore moins d’un médecin, toute ma vie durant mon boulot n’avait été de presser la détente d’une arme sans me poser de question, là je me retrouvais à regarder un type en train de mourir pour une cause que je ne comprenais même pas.
Le dernier toubib du groupe se laissa tomber près de lui pour commencer les soins, il appliqua d’abord du gel reconstructeur sur la plaie de l’épaule avant de faire une injection d’adrénaline et d’anti-douleur militech au Caporal. J’étais allé au combat plus d’une fois, j’avais vu bon nombre de medic remettre sur pieds de braves gars voyant d’un peu trop prêt la lumière au bout du tunnel. Ce petit traitement n’avait pas pour but de soigner le gradé, mais simplement de le garder debout pour qu’il continue de se battre. Après tout, c’était la vie de soldat, même au porte de la mort on trouvait le moyen de vous remettre sur pattes histoire d’apporter la démocratie et la civilisation à coup de fuseur ou de tête thermonucléaire. Le médecin me regarda avec un sourire triste, même lui savait que son job était de redonner un petit coup de fouet final.
Durant quelques secondes les tirs cessèrent, puis des cris accompagnés de plusieurs déflagrations retentirent. Le sol trembla sous mes pieds, le toubib glissa dans une flaque de sang et manqua de se cogner la tête sur le pavé. Le Caporal se releva, boosté par les anti-douleurs et l’adrénaline. En omettant son bras à moitié arraché, j’avais presque l’impression qu’il allait bien.
De nouvelles explosions retentirent dans les couloirs, les révolutionnaires semblèrent pris de panique et au bout de quelques secondes, ils se jetèrent sur nous comme des bêtes enragées, et furent accueillis par des grenades thermiques, des tirs de plasma et des rayons de fuseurs. Une dizaine de corps sans vie s’ajoutèrent à ceux déjà présents dans le réfectoire. En voyant de nouveau soldat arriver par la porte principale, le Caporal soupira, il crachait encore un peu de sang.
— Nos renforts…
Après ces quelques mots bredouillés derrières des dents recouvertes de sang, il s’effondra lourdement. Le toubib hocha la tête. Visiblement, le Caporal n’avait pas supporté le shoot à la militech.
***
Les hommes de la garde Ducale n’avaient rien d’une bande de rigolos, équipés avec les dernières nouveautés des corporations paramilitaires ils avaient de quoi impressionner au premier coup d’oeil.
Velkor-5 était connue de la Fédération pour être une autonome avec une économie basée sur l’armement, cela ne m’étonnait donc pas vraiment de voir leurs force d’intervention avec le meilleur matos. Le Capitaine de la garde mit un temps certain avant de me mettre la main dessus, j’avais du me retirer quelques instants à cause des douloureuses migraines que je ressentais déjà depuis un petit moment. C’était un gars plutôt grand, sans doute dans la quarantaine, avec des yeux de couleur noisettes et les cheveux bruns. Sans son équipement, il aurait fait un parfait monsieur tout le monde. Son regard se posa sur moi, il me jaugeait, j’avais l’impression d’être un morceau de viande que l’on présentait à un client.
— C’est vous celui que l’on nomme Fantôme ?
— Lui-même.
— Heureux de vous voir en vie, nous avons pour mission de vous conduire à la Duchesse de Louvière, veuillez me suivre.
— Je ne peux toujours pas savoir ce que je fous ici ? Et pourquoi j’ai failli me faire descendre ? Au passage je collais un coup de pied au corps d’un révolutionnaire.
— Mon travail c’est de vous conduire d’un point A à un point B, les explications peuvent attendre. Suivez-moi.
Je n’ai pas insisté, de toute manière ce type me paraissait suffisamment borné et discipliné pour tout simplement m’ignorer. J’aurais bien pu lui plaquer une arme sur l’abdomen en demandant des réponses, mais ce genre de comportement ne m’aurait sûrement pas aidé dans ma situation. Sans dire qu'une fois la stabilisée, on m'avait retirer mon arme. Comme un petit chien bien dressé, je m’étais donc contenté de le suivre le long d’un couloir qui déboucha sur l’entrée d’un hangar souterrain. L’endroit était suffisamment grand pour accueillir plusieurs navettes de transport, et c’était d’ailleurs le cas. L’une d’elles était cependant plus massive que les autres, et plus en retrait. Le Capitaine me fit signe de passer en premier, la porte latérale de la navette glissa sur le côté, je pus y pénétrer. L’endroit était assez spacieux, presque classe, cela n’avait rien à voir avec les barges d’invasion que j’avais pu côtoyer par le passé, j’aurais parié qu’il devait y avoir un chiotte dans un coin pour le légendaire “pipi de la peur” avant une attaque. Je m’attendais à pas mal de chose, mais pas à me retrouver face à une jeune femme assise jambes croisées dans un fauteuil qui semblait presque trop grand pour elle. La porte se referma derrière moi, je ne pouvais vraisemblablement pas compter sur la présence du Capitaine pour m’aiguiller. Cette situation ne me plaisait pas, tout ce caractère un peu trop mystérieux avait de quoi m’agacer. Je prenais soin de détailler la minette du regard quand elle pointa ses yeux émeraude sur moi.
— Quelqu’un se donne beaucoup de mal pour vous abattre on dirait.
— J’ai l’habitude, mais normalement je sais au moins pourquoi.
Le moteur de la navette ronronna et je pus sentir la masse de ferraille s’élever doucement. Par précaution, j'ai choisi de m’asseoir, mes migraines arrivaient facilement à me faire vaciller et il était hors de question que je me vautre.
— Je sais oui. Il vous manque bien sûr quelques pièces du puzzle. Comment vous sentez-vous ?
— J’ai connu mieux, j’ai envie de gerber toutes les cinq minutes, et je ne suis pas présentable. D’un geste de la main je désignais le gilet de combat qu’on m’avait enfilé pendant mon petit somme, j’étais bien entendu couvert de sang.
— Veuillez nous en excuser, nous avons dû… Accélérer les choses lorsque des membres armées du Corps Révolutionnaire ont fait irruption dans notre base médicale. Vous allez être sujet à des maux de têtes, vertiges, vomissements, membres engourdis ou encore douleurs musculaires. Mais cela vous avez déjà dû l’expérimenter...
Je ne répondit rien, elle avait raison et même avant qu’elle ne me le dise, je connaissais l’origine de ce genre de symptômes, ça n’avait rien d’extraordinaire, on m’avait tout simplement décanter plus vite que le temps minimal conseillé et mon corps payait l’addition. J’espérais que les membres de mon unité seraient en meilleur état que moi. La jeune femme glissa un holo sur la table puis, d’un doigt agile, elle l’activa. La navette effectua un léger virage, dommage qu’il n’y eut pas de vitre, car observer l’environnement aurait pu être tentant. Jusqu’alors, la chose la plus exotique que j’avais vu, c’était de la cervelle éparpillée sur le sol. Elle baissa les yeux sur les informations qui défilaient devant elle.
— Sergent Fantôme, Haphelros si on s’en réfère à votre dossier. Ancien membre des unités d’assaut orbital, et de l’escouade Hades, ancienne unité d’élite de la Fédération.
J’étais sur le cul, c’était bien la première fois depuis plusieurs années que quelqu’un m’appelait par mon prénom. Elle n’avait pas dit grand-chose, mais le peu de mots qui était sorti de sa bouche m’avait fait comprendre à quel point elle devait avoir le bras long. Ce genre d’infos confidentielles étaient effacées du CV par les services de renseignement et de recrutement de la Fédération. Techniquement, pour un bon milliard de scribouillards travaillant à l’administration, je n’existais pas. Il fallu un effort considérable pour que je ne paraisse pas surpris, quand bien même j’avais l’impression de m’être découvert un deuxième fondement.
— Il ne me semble pas vous connaître ? Ou alors j’ai oublié.
— Tout cela n’a que peu d’importance, je ne suis qu’une intermédiaire entre vous et la Duchesse de Louvière, je me prénomme Viara. Elle décroisa les jambes et se pencha légèrement en avant. Elle portait une tenue étrange que je n’arrivais pas à définir, cela ressemblait beaucoup à une combinaison militaire sans en être une. On aurait dit un prototype de seconde peau, le genre de petit équipement qui coûte le prix d’un croiseur léger. Vos migraines ?
— Agréables à m’en faire sauter la cervelle.
— Vous excuserez la duchesse de ce réveil désagréable, nous ne pouvions pas permettre que les révolutionnaires envahissent notre complexe médical et… nuisent à votre santé.
Je remarquai sous sa combinaison de fines formes qui me parurent bien bizarres, telles de légères difformités qui ressemblaient fortement à des implants. Jusque là ce n’avait rien d’étonnant, moi même j’avais par le passé eu droit à quelques améliorations, même si ce n'était rien de comparable avec ce que j'avais sous le nez.
La navette vira brusquement et fit sauter le cours de mes pensées au passage.
— Vous allez encore en baver durant quelques heures, puis vous irez mieux, ajouta-t-elle.
— Merci bien, je connais les protocoles de réveil, ce que je veux, c’est savoir ce que j’fous là, sur Velkor.
Elle se pencha un peu plus, dévoilant un décolleté plongeant jusqu’au centre de la planète, celui-ci offrait une vue immanquable sur une peau douce aux rondeurs finement dosées. Bien que je ne comptais aucunement toucher, quelque chose me surprenait, sa peau semblait trop immaculée. J’avais comme l’impression de me rincer l'œil sur la carlingue d’une navette flambant neuve, et c’était dérangeant. Elle avait aussi une drôle de façon de se mouvoir, chaque mouvement était précis, droit, comme si elle avait un balai coincé dans la rondelle. J’ai tenté le tout pour tout, dans le pire des cas je risquais simplement de passer pour le dernier des abrutis.
— Impeccable votre plastique, j’ai presque failli vous prendre pour une véritable humaine. Unité de combat avancée je présume, quelle génération ?
Elle esquissa un sourire, sur un véritable être vivant j’aurais pu trouver cela attendrissant, mais là, c’était plutôt terrifiant. Il m’était impossible de connaître la véritable mission de cette saloperie, elle aurait très bien pu s'éparpiller aux quatres coins de la navette aussi facilement qu’on arrache les ailes d’une mouche.
— Cinquième génération, une merveille de technologie d’après mon créateur.
— Ouais, à n’en point douter. J’imagine que ta mission n’est pas de m’occire, excepté si tu es le premier android adepte de sadisme.
— Non, mais j’apprends vite si vous voulez, putain d’humour. Ma mission est de vous escorter jusqu’à la Duchesse de Louvière, elle seule vous expliquera la raison de votre présence ici, et de votre survie.
— Première fois qu’on me colle un truc de ton espèce comme garde du corps.
— Je n’en doute pas, les androids de combat se font de plus en plus rares, notamment à cause des complications de fabrication, je fais partie des premiers modèles de la cinquième génération qui devaient servir les armées de la Fédération.
Cette dernière déclaration me sécha sur place, j’avais toujours entendu dire que Velkor était une planète neutre, bien que tout le monde se doutait que cette position permettait la vente de matériel militaire aux deux factions. Mais là, les androids de combat c’était bien plus important que quelques caisses d’armes avec des munitions. J’avais déjà eu la malchance de voir des androids à l’oeuvre, outre le fait d’être très difficile à stopper, un seul d’entre eux était capable de venir à bout d’une dizaine d’hommes armés, alors moi, autant dire que je ne faisais pas le fier. L’entité répondant au nom de Viara me fit un énième sourire.
— Arrête ça, j’vais finir par flipper.
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