Une semaine était passée.

Alors qu'il était en train d'aider Momo sur les réactions moléculaires organiques et la cinétique dans un réacteur ouvert, Yannis regardait par moments la porte dérobée ; en genévrier, à l'odeur vieux d'au moins 24 ans, la porte était élimée, et la poignée pendait tristement depuis son ressort mal vissé. Pas vraiment de quoi attirer le regard, mais ce qui se trouvait derrière était un mystère qui attisait la curiosité du jeune homme.

Il fut tenté d'utiliser son Alter (il préférait le nommer ainsi, car ce serait plus simple de l'intégrer si il s'en convainquait lui-même) afin d'ouvrir la porte légèrement pour voir la réaction de Momo, et peut-être avoir la possibilité de s'y approcher en prétextant la fermer. Mais il se disait qu'utiliser son pouvoir pour des fins personnelles, c'était exactement ce que Synnaï, Yannis et Laura avaient accompli durant leurs existences.

- Tout va bien ? lui demanda soudainement Momo, ayant remarqué sa distraction.

- Hmm ? (Yannis tourna son regard vers elle) Oh ! Ne t'inquiète pas pour moi... Voyons ce que tu as réussi à comprendre... En utilisant la représentation de Newman sur la molécule de synthèse, tu penses que tu as le droit d'utiliser cette configuration ?

- Oui, je pense que c'est même la meilleure : les atomes d'hydrogène sont espacés de manière équidistante, et donc l'énergie mécanique est au plus bas.

- Vérifions cela... (Bien sûr, elle avait juste ; l'exercice n'était pas compliqué une fois qu'on avait compris la technique, et le reste était simple que souffler un pissenlit) Excellent ! Tu as saisis toute l'idée de la stéréo-isomérie. Tu es prête à devenir une vraie chimiste, conclut-il en rigolant.

- Arrête, tu me flattes trop, fit-elle en rougissant de gêne.

- Bon ! (Yannis tapa dans ses mains) Maintenant que tu as compris comment t'en sortir toute seule avec la chimie, on peut passer à la physique.

-...Actuellement, je pensais à des exercices plus "pratiques" ?

- Comme quoi ?

- M'entraîner avec toi pour mon Alter !

Ah, c'est vrai qu'elle postule aussi à Yuei... se rappela Yannis avec une vague tristesse qui pointait dans son esprit, sans qu'il sache pourquoi. Mais au vu du regard déterminé de la jeune fille, il ne doutait guère qu'elle ne puisse pas réussir réussir cet examen.

Ils se retrouvèrent dans la salle de gym familiale (la maison immense était également équipée pour ce genre de situations !), tous les deux vêtus de tenues sportives qui avaient été créées sur mesure sur l'ordre de Mme Yaoyorozu, tandis que le design avait été peaufiné par le père de Momo.

Pour parler de ses deux parents, il fallait avouer qu'ils étaient assez excentriques l'un et l'autre. La première était une femme magnifique, PDG d'une entreprise travaillant dans les produits cosmétiques. Son Alter lui permettait de tester la pureté d'un produit grâce à différentes huiles que pouvaient secréter ses longs cheveux blonds, même si la réelle fonctionnalité de ce pouvoir était encore un mystère aux yeux de Yannis. Quand au père, il pouvait changer la composition de certains matériaux en les frottant avec son sébum, à condition de connaître leurs principales molécules.

Momo possédait donc un Alter très polyvalent qui lui accordait le don de créer n'importe quoi à partir de sa graisse, si elle connaissait la composition de l'objet. Bien sûr, Yannis se doutait bien qu'elle ne puisse pas créer en quantité illimitée, ni synthétiser des molécules trop complexes ou des atomes artificiels. Les possibilités étaient cependant de l'ordre de 10 à la puissance 14, donc ce serait suffisant pour couvrir autant de situations qu'elle croiserait dans sa vie.

- La première chose que tu dois avoir à l'esprit, commença Yannis alors qu'il l'aidait à s'étirer, c'est que tu dois toujours garder à l'esprit que tu ne dois pas créer quelque chose si tu n'es pas sûre à 100% de son efficacité immédiate.

- J'ai du mal à saisir... Si un vilain débarque, je peux créer une arme pour le repousser ?

- Oui, c'est vrai. Mais qu'en est-il du chargement de celle-ci ? Et si le vilain résiste au premier coup, que ferais-tu ? Et même si les conditions sont toutes favorables, rien ne dit qu'il n'y aura pas de dégâts collatéraux.

- Donc c'est priorité au sauvetage, comprit la jeune fille en touchant ses pieds avec ses mains.

- C'est ça ; ton Alter te permet bien évidemment d'être à la fois plus polyvalente, et donc la plus dangereuse pour les vilains, mais il t'incombe plus de responsabilités envers les victimes. Lors d'une inondation, tu vois une famille dériver sur un pan de maison à peine flottant, que fais-tu ?

- Je créerais des bouées, avança Momo en faisant le pont. Un bateau serait plus long à modéliser, et j'aurais peut-être perdu des ressources dans le processus.

- C'est bien... Mais pas assez (elle lui lança un regard interrogateur, jusqu'au moment où il céda et expliqua) Tu pourrais tout aussi bien créer des boules collantes flottantes, qui s'attacheraient aux extrémités du pan de la maison ; si il a résisté au fracas de l'inondation, c'est qu'il est sûr, donc pas besoin de le quitter dans l'immédiat. En revanche, le sécuriser...

-...Permet de ne pas mettre en danger inutilement les victimes, compléta Momo avec joie.

Excellent ! Elle était décidément faite pour être une sauveteuse. Mais une héroïne ? Restait à savoir...

- Question surprise : que dirais-tu aux victimes après avoir accompli ton plan ?

Momo se figea, restant en suspens dans une réflexion qui n'avait pas lieu d'être. Yannis sourit : ce genre de questions attendait des réponses instinctives, et non réfléchies. C'était l'essence d'un héros, d'après ce qu'Aizawa-sensei lui avait dit.

- Tu baisses ta garde ! cria Yannis en tentant de la faire tomber avec un hokuri ashi harai.

Elle ne tomba pas dans le piège, et utilisa son élan pour faire basculer le jeune homme. Mais ce dernier n'avait pas un corps normal : plus fort, plus rapide, plus souple et surtout, plus tenace. Comme un roc, il resta fixé sur le sol. Devant cette résistance, Momo fit apparaître deux barres de tungstène dans ses mains, et s'écarta pour se mettre en garde.

- Tu es trop prévisible, lui indiqua Yannis. Tu créés les mêmes objets encore et encore, et même si on ne sait pas comment tu te bats avec, on peut deviner aisément ton style !

Il diminua presque instantanément la distance qui les séparait en utilisant sa vitesse quasi surhumaine, ce qui la fit trébucher sous le coup de la surprise.

- Comment tu peux bouger aussi vite ?

- L'entraînement ; j'ai commencé très tôt à m'entraîner pour me défendre, et ainsi, je deviens complétement inatteignable à tes yeux. Mais rappelle-toi ceci : je suis seulement rapide d'apparence. La véritable vitesse m'aurait permis de t'arracher ses bâtons des mains, de les briser et d'utiliser les fragments pour les planter dans ta chair.

Synnaï le mournien fut un instructeur très rigide par son passé, alors Yannis, qui était en partie fait du même bois, savait se montrer juste mais impartial.

- Tu dois apprendre à surprendre, et à analyser ton adversaire sans oublier que la peur (il enfonça son doigt dans le ventre de Momo) te prendra toujours par les tripes. Alors il faut s'en servir comme combustible, et comme rappel que la situation n'a pas encore été réglée. Tu comprends ?

Momo acquiesça, et Yannis l'aida à se relever.

- Tu possèdes un Alter qui peut sauver beaucoup de vies, mais qui peut également en blesser tout autant. Il te faut donc réussir à maîtriser tout ce qui autour de toi, mais aussi tout ce qui a en toi. Alors à ce moment-là, et seulement-là, tu pourras accomplir tout ce que tu peux potentiellement faire. À droite !

Momo évita le coup de poing.

- Bien, mais essaye de le voir venir avant que je te l'annonce.

- Pourquoi tu n'utiliserais pas ton Alter ? demanda-t-elle tandis qu'elle continuait d'esquiver ses coups avec aisance, bien qu'il se retienne volontairement.

Mon Alter... Cela faisait 8 jours qu'il s'entraînait avec Eraserhead afin de parfaire sa maîtrise de son Alter, baptisé "Heaven's Gate". Désormais, il pouvait ouvrir en une demi-seconde un portail, bien que la taille ne dépasse pas le diamètre de trente centimètres, et sur une centaine de mètres autour de lui au maximum. Bientôt, il pourrait passer à la projection de cette "énergie" qui était en lui.

- Je l'utiliserais quand je te sentirais prête, jura-t-il en réussissant à la toucher à l'épaule, lui arrachant un cri de douleur. Et il me semble que ce jour n'est pas encore arrivé.

Ils continuèrent ce manège pendant une bonne demi-heure, jusqu'à que M. Yaoyorozu rentre dans la pièce.

- Ho oh ! Je sens le parfum de la rivalité, de la détermination... et de la sueur ! Jus d'orange ? (il présenta un plateau sur lequel était posé trois verres)

- Merci, papa !

- Merci, monsieur. Je suis désolé pour cette démonstration, mais je tente d'aider votre fille à donner le meilleur d'elle-même, pour vous remercier de votre hospitalité.

- Tu n'as pas à t'inquiéter, tes services remboursent bien plus que n'importe quel endetté ! (il coula un regard suffisant à Momo) Ma fille est particulièrement charmée par tes recettes de cuisine...

- Papa !

- Hahaha, j'adore te taquiner !

- J'ai déjà quinze ans, je ne suis plus une petite fille...

- Pour moi, fit-il en caressant tendrement les cheveux de Momo, tu resteras toujours ce petit ange tombé du ciel...

C'était léger. C'était discret. Pourtant les sens de Yannis étant sans cesse en alerte, il remarqua ce changement presque imperceptible dans les traits de Momo. De la peur ? De l'appréhension ? De la... résignation ? Mais il ne releva pas, car s'occuper des affaires des autres, c'était l'autre Yannis, Synnaï et Laura qui s'en chargeaient. Il était un homme nouveau.

- Je vais t'emprunter ma fille un moment, indiqua-t-il. Momo, tu veux bien m'attendre dans ta chambre ? Nous allons discuter tous les deux...

Momo s'excusa, et sortit de la pièce. Après quelques instants où le père fixait la porte fermée, il se tourna vers le magicien :

- Sinon, Synnaï, j'ai entendu dire que tu avais décidé de changer ton nom et ton prénom à la préfecture ?

- Oui. les démarches devraient prendre du temps, mais au moins ce sera prêt avant le test d'admission, confirma l'intéressé.

- Comment doit-on t'appeler, désormais ? (le père se frotta la nuque en souriant) C'est que je préfère m'habituer maintenant, quand je te remercie pour tes plats délicieux !

- Vous pouvez m'appeler Akira Arata, sourit le nouveau Akira.

* * *

Maison des Yaoyorozu, pièce inconnue.

Momo s'assit sur la chaise en métal froid. Elle détestait cet endroit sombre, mal éclairé et sentant la sueur et les produits chimiques. Il y avait des tas d'étagères couvertes de fioles, ainsi qu'une table avec différents outils opératoires.

- Tu sais que je suis très heureux que tu es devenu ami avec Akira ?

Akira... C'était son nouveau nom. Le kanji 亮 signifiait clair, pur. Un nom de choix pour une personne telle que lui. Jamais Momo n'avait fréquenté quelqu'un qui la traite ni comme une fille à papa, une riche ou une frêle jeune fille, mais comme une personne qu'elle souhaitait devenir : une héroïne en apprentissage. Même si Akira ne parlait jamais de son passé ou de ses proches, il ne lui cachait jamais ses émotions ou son ressenti.

- Mais tu dois toujours savoir...

Son père surgit de l'ombre, une seringue à la main.

-...Que tu resteras mon petit ange tombé du ciel.

Momo opina docilement du chef, et présenta son bras. Elle sentit la longue aiguille récolter son sang, la douleur transperçant son bras avec force, avant que son père ne la retire doucement. Il regarda le sang frais à l'intérieur, avec une fascination digne d'un pirate face à un tas d'or.

- C'est formidable ! Tu fais plaisir à ton papa, car grâce à ceci, je serais peut-être capable de synthétiser la formule parfaite ! Bien, maintenant tu peux passer à la suite.

Une table roula jusqu'à ses côtés, soutenant une assiette de petits pains d'apparence anodine, mais qui contenait des substances toxiques pour le corps humain : de l'or, du platine, du palladium, de l'indium et toutes sortes de métaux lourds. Elle les ingéra, le goût horrible du métal n'étant pas caché par la farine de basse qualité.

Quand elle eut finit, elle but un verre d'un liquide spécial, créé pour accélérer le processus de digestion, au prix de maux de ventres bien plus épouvantables que ses règles. Le plus ironique dans tout ça, c'était qu'elle n'avait pas vraiment eu mal lors de ses règles, ni effrayée. Cela avait rendue fière sa mère, qui stipulait que sa fille était une vraie guerrière... Akira le pensait, lui aussi, mais il se rendrait compte de son erreur quand il comprendra ce à quoi Momo était réellement destinée.

Quand elle aura digérée ces éléments qui pollueraient son corps, elles créeraient les petites machines que son père lui demandait sans arrêt de faire.

Tandis que les douleurs commençaient à peine à apparaître, elle entendit son père soupirer.

- Tu sais, Momo, je n'arrête pas de penser à ta candidature à Yuei...

Momo se pétrifia, mais aucun son ne sortit de sa bouche.

- Je suis heureux que tu ais de l'ambition, mais n'oublie pas que ton Alter doit servir le bien commun à plus grande échelle que seulement nationale : rappelle-toi que tu fais la fierté de ton papa. Tu comprends ?

Bien sûr. C'était présomptueux de sa part de penser devenir une héroïne. Mais en même temps, elle ne voulait pas se désister pour autant. Aussi réussit-elle à articuler ces mots :

- J'entrerais à Yuei... à la filière générale.

Son père l'enlaça, mais Momo ne ressentit aucune chaleur.

- Je savais que tu comprendrais, pleura de joie son père. Tu as tellement grandi... Je suis si fière de toi, mon petit ange.

Soudain, Momo crut entendre, entre les sanglots pathétiques de son paternel, un bruit dans les conduits. Sûrement un rat ou un grincement dû à la rouille...

* * *

Akira frotta sa tête endolorie.

Il s'était cogné contre le métal du conduit de ventilation en voulant sortir la tête de son portail. Viser dans un endroit qu'il n'avait jamais vu lui avait semblé impossible, mais il s'était rapidement rendu compte que son pouvoir, n'étant pas vraiment un Alter, réagissait à la magie. Et il y en avait partout.

Si il ne l'avait pas senti, c'est tout simplement parce que son don de détection de kìrrosì avait été muselé. Mais la matière et l'espace-temps ne pouvaient pas exister dans un univers sans magie. Alors grâce à elle, il avait pu sentir la détresse de Momo.

Son père était un vilan. Pas ceux qui se montraient à la télévision au dehors pour faire des ravages, mais plutôt ceux qui étaient dans les ténèbres, insidieux et bien plus dangereux que leurs pairs dévoilés. Plus encore, c'était une ordure qu'il fallait mettre en taule le plus vite possible, sinon Momo n'accomplirait jamais son rêve.

Et ça, Akira ne pouvait pas se le permettre.

Pas parce qu'il avait fait des efforts pour elle, ou que des retombées futures le nuiraient si il ne faisait rien, puisqu'il n'était qu'un alibi pour M. Yaoyorozu afin que ce dernier puisse rester et "s'occuper" de sa fille.

Il le faisait parce qu'elle était Momo, l'héroïne en devenir. Et rien ne doit entraver les rêves de ceux qui veulent en faire une réalité. Enfin, sauf si ces rêves sont une destruction totale de l'humanité, ou d'autres projets pas très jojo...

Bref, il allait devoir "s'occuper" de cet homme. Mais il ne serait pas seul, et il allait s'en assurer.