Chapitre 32 - Changement de plans
- C'est bien mon nom, le railla Akira.
Sur la défensive, Akira se redressa. Il avait l'impression que l'homme-chien allait empiéter sur son territoire. Si c'est le cas, pensa Akira, je le laisserais pas faire.
- Je le savais déjà. Je voulais juste voir si tu te considérais toujours comme tel, expliqua Hound Dog. Maintenant, je peux voir jusqu'à quel point tu t'es enfoncé.
- Qu'est-ce que vous entendez par "enfoncé " ?
- Des dizaines de jeunes comme toi sont déjà venus ici. Certains avaient le même âge que toi, mais rien ne changeait la plupart du temps : ils finissaient soit par abandonner leurs études pour travailler dans un autre domaine, soit par devenir des vilains.
Akira buta sur le dernier mot. Des vilains... directement venus originaires de Yuei ? Mais ça n'avait pas de sens !
- Je vois à ton regard que tu n'y crois pas, grogna le héros. C'est pourtant le cas : dans ma carrière, deux de mes élèves sont devenus vilains, et en tout une douzaine sont arrivés à cette fin durant l'histoire de Yuei.
-...Ils sont devenus quoi ?
Hound Dog réfléchit quelques instants, Akira appréhendant la réponse.
- La moitié d'entre eux ont pu être réintégrés à la société, le reste font des travaux d'intérêt public. Un seul a terminé en prison pour viol...et meurtre.
En pensant à cette personne qui avait sûrement eu des rêves, qui s'étaient ensuite brisés sous ses yeux, pour n'être qu'une loque délaissée par la société, jusqu'à être poussé par commettre la chose qu'il s'était juré de combattre... La tragédie de l'histoire de cet(te) inconnu(e) faisait surgir un sentiment étrange en lui.
Le même qu'il avait ressenti quand il avait appris la relation de Momo avec son père.
- Tu as l'air affecté par cette histoire.
-...C'est juste que je me demande comment on peut arriver à cette extrémité.
- Je ne t'ai pas tout raconté : l'élève en question était une jeune fille brillante, aimée de ses camarades et possédant un Alter qui permettait de contrôler la pression de l'air. Son avenir était tout tracé, mais...
-...mais ?
- Personne ne savait que son père la violentait ; ancien vilain réintégré, il abhorrait les héros, quels qu'ils soient. Et pour se venger sans créer de vagues, chaque fois que sa fille rentrait chez elle, il la "dégradait" selon ses propres dires. Et comme elle gardait le sourire, personne ne se doutait de rien.
- Il faut avoir une force mentale immense pour donner cette impression, s'époustoufla Akira.
Ce que je n'ai pas, pensa-t-il avec tristesse.
- Oui, mais quelle que soit votre force, elle doit servir seulement dans les situations héroïques. Cette jeune fille n'avait aucun répit, entre les cours héroïques et son père. Cette situation dura jusqu'à son diplôme. Mais à peine l'eut-elle qu'elle décida de renflouer tous ses sentiments enfouis sur une de ses kôhai, avant de rejeter la faute sur son père et de l'assassiner.
- Elle attendait depuis tout ce temps...
- Peut-être, peut-être pas. En tout cas, son permis héroïque fut retiré et elle est incarcérée depuis lors.
Akira resta silencieux devant cette histoire. Allait-il devenir comme elle ? Très probablement, et peut-être pire : il finirait par instaurer une ère qui remplacerait les Alters par la magie, détruisant toute opposition sur son passage. Dans tous les cas, il deviendrait un vilain aussi craint qu'Ugo, et ses camarades seraient peut-être ceux qui le mettraient en prison. Quelle ironie...
- À quoi penses-tu ? demanda Hound Dog.
- À des trucs sombres. C'est ce que font les gens qui viennent dans ce bureau, nan ?
- Pas toujours. Et puis, je ne suis pas dans ta tête : si tu as des pensées négatives, tu peux les partager. C'est mon job de t'écouter, après tout.
Akira opina du chef, mais sa bouche restait fermée. Toutes les choses qu'il voulait dire, c'était seulement celles de Yannis, Laura et Synnaï. Comment séparer le grain de l'ivraie ? Ses pensées tournoyaient dans son esprit, s'éclatant les unes contre les autres. C'était douloureux, éreintant. Il en avait assez.
- Je ne sais pas ce que je veux.
Ces simples mots sortirent de sa bouche sans qu'il puisse les retenir. Akira écarquilla les yeux, plaquant ses mains sur celle-ci sous le rire ronflant du héros.
- Enfin quelque chose d'honnête et d'intéressé. Tu vois, quand tu veux !
- C'est vous qui m'avez forcé... marmonna le jeune brun en rougissant.
- Tu as toi-même fait le premier pas, je ne suis responsable que du chemin que je t'ai présenté. Wrouf ! Reprenons... (il mit ses coudes sur la table, ses mains jointes) Tu ne sais pas ce que tu veux, ce qui est très différent de ce que ton professeur principal m'avait dit de toi.
- Ah bon ? Aizawa-sensei vous a parlé de moi ?
- Logique, vu que tu allais vivre à Yuei, il en parlé à tout le monde !
- Donc je suis différent, mais par rapport à quoi ? s'agaça Akira.
Hound Dog appuya ses mots avec ses gestes, d'un côté :
- Au début, tu disais : "Je ne sais pas qui je suis"...
Puis de l'autre :
-...Maintenant, tu as évolué : tu sais qui tu es, mais tu ne sais pas si ce "être" a un rêve.
Akira comprit immédiatement, et un sentiment semblable au vent sur des voiles gonfla l'intérieur de son cœur. Il avait changé ? "Changé"... Il fit tourner ce mot sur sa langue, appréciant sa saveur unique et délectable.
- Je suis Akira Arata, dit-il avec fierté.
Hound Dog éclata de rire, ce qui le fit sursauter. Il se moque de moi ! s'offusqua-t-il, tandis que l'homme-chien frappa du poing sa table.
- Arrêtez ! Je vois pas ce qu'il y a de drôle !
- Excuse-moi, Akira... Je peux t'appeler par ton prénom ? (ce dernier haussa des épaules) Akira, tu avais la même expression qu'un petit enfant qui découvre comment il s'appelle et le dit à autre voix. Conçois qu'il est étrange de voir ce genre d'expressions sur le visage de quelqu'un de ton âge.
- Je... Hrgn... Pfff... (il croisa ses bras) On a bientôt fini ?
- La séance est terminée, oui !
- Quoi ?
Akira se ravisa en voyant le regard triomphant d'Hound Dog, avant de marmonner :
- Vous avez fait vite...
- J'ai fait connaissance avec toi, c'est amplement suffisant.
Akira roula des yeux avant de se lever et de se diriger vers la sortie.
- Oh, et... (Akira s'arrêta) Je te conseille d'aller visiter la ville. Ton professeur principal m'a dit que tu aurais besoin de prendre l'air pour te changer les idées. Tu seras suivi, bien entendu. Mais n'oublie pas : tu dois te changer les idées.
Akira lâcha un "tch" avant de claquer la porte derrière lui.
* * *
Pourquoi était-il comme ça ?
Parce qu'ils n'est pas comme lui.
C'était la première chose dont il s'était rendu compte en sortant de sa cuve d'incubation. Tout le monde le considérait comme un arme, et ça lui allait très bien : combattre pour sauver des vies, combattre pour en prendre. La simplicité même.
La conscience de soi, il ne l'avait pas acquis. Elle avait toujours été là, nichée au creux de son âme fébrile qui tentait de crier "au secours" alors que personne ne l'entendait. Et désormais, tous l'avaient entendu. Sa douleur s'était libérée, et il ne pouvait pas la gérer.
Tandis qu'il marchait dans les rues de Musutafu, il repéra un café d'apparence sympathique. Il y entra, et l'ambiance cosy l'enveloppa immédiatement, chassant ses soucis. Soudain, il fut approché par une serveuse.
- Bonsoir !
- Bonsoir...
- Ah !
La serveuse avait poussé un cri, mais Akira ne la regardait pas vraiment.
Il observait le magnifique plafond aux motifs complexes. Les murs étaient stylisés façon vieux bar japonais, et des différents copies de tableaux venant de l'Exposition d'art de Tokyo agrémentaient les murs d'une touche artistique plutôt rafraîchissante. Une petite musique au shamisen chatouillait ses oreilles.
- V...Vous attendez quelqu'un ?
- Non, je suis seul, répondit Akira en se frottant la tête. Vous avez une table de libre ?
- Sui...Suivez-moi, fit la serveuse avec une voix un peu bêlante.
Elle l'amena jusqu'à une table près de la fenêtre, donnant sur un jardin luxuriant. Le bar de dehors était fermé, ce qui était assez étrange.
- Vous savez pourquoi on ne peut pas y accéder ? demanda-t-il en montrant l'endroit de la tête.
- Le quartier est, euh...surveillé par les héros à cause de Stain, mais les différents services ont reçu un ordre du maire qui stipule que... que l'on doit fermer les bars.
C'est bizarre, sa voix me rappelle quelqu'un... se dit Akira en regardant avec mélancolie le dehors. Stain, hein ? Il ne connaissait pas ce type-là. Un nouveau vilain ? Akira ne s'était pas assez renseigné sur le net pour connaître les derniers déboires des autres vilains et héros : toute son attention était focalisée sur la Réponse, qui avait disparu de la scène.
- V...Vous voulez commander ?
- Oui, acquiesça le jeune homme en levant les yeux vers la serveuse. Je prendrais un...
Il écarquilla ses yeux de stupeur.
C'était Uraraka, la fille gravité énergique de sa classe !
* * *
- Et moi qui croyait que tout le monde prenait du repos ! s'amusa Akira
- S'il te plaît, Arata-kun, la supplia Ochaco en rougissant. N'en parle à personne, c'est vraiment trop gênant !
Le patron lui avait permis de prendre une pause, sachant qu'il n'y avait pas beaucoup de clients qui sortaient à cause du tueur de héros. Il avait commandé du thé au jasmin, tandis qu'elle s'était prit un jus d'ananas.
- Ne t'inquiète pas, je comprends tout à fait l'importance d'un métier parallèle.
-...
Cette réponse était tellement... désintéressée. Ochaco vit qu'Arata-kun n'avait pas l'air d'aller bien : son teint avait blanchi, ses yeux étaient perdus dans la contemplation de l'invisible, ou alors il était éreinté. Peut-être avait-il travaillé toute la nuit ?
C'était en tout cas le même regard que ses parents avaient lorsqu'ils rentraient parfois tard le soir, après une longue journée de travail. Ochaco faisait alors la cuisine, la vaisselle et toutes les tâches ménagères en dépit de ses cours. Et elle leur racontait tout ce qui s'était passé de bien dans sa journée, pour leur remonter le moral. Et ça marchait tout le temps.
Là, elle se trouvait face à un inconnu. Enfin, pas tellement un inconnu : elle avait demandé plusieurs fois à Arata-kun de l'aider dans les matières scientifiques, et ce dernier avait été très pédagogue. Pourtant, en y repensant, il avait toujours été distant avec la classe.
Le silence gênant qui s'installait entre eux devenait insoutenable, donc Ochaco prit les devants :
- Donc, euh... Bientôt les stages, hein ? Tu comptes faire le tien où...
- Pas la peine d'essayer d'engager la conversation avec moi, répondit son senpai avec un ton ennuyé. Tu n'es pas obligé de rester avec moi, tu as du travail et tu ne me connais pas vraiment.
- Oui... Euh, non ! Enfin, c'est juste la politesse, mais je veux apprendre à te connaître ! Midoriya parle souvent de toi.
- Ah ? Est-ce qu'il a raconté ?
- Que tu es quelqu'un de profondément...
Blessé ? Renfermé sur toi-même ? Inateignable ? Seul ? pensa la jeune brune avec une pointe d'hésitation
-...sérieux ! compléta-t-elle en tapant dans ses mains.
- Hmm...
Décidément, il n'était pas vraiment très avenant... Mais bizarrement, elle se sentait le besoin de l'aider. Après tout, qui aide les héros quand ils sont dans le besoin ? Elle prit la carte des desserts et dit d'un ton enjoué :
- Est-ce que tu n'aurais pas envie de te lâcher un peu ?
Il la regarda avec un air interrogateur.
- On peut manger une crêpe, puis aller au Karaoké ensemble !
- Pff... Arrête, si on voit une mineure et un majeur traîner ensembles, les gens vont jaser.
- Allez ! lui intima Ochaco, soudainement très contente d'aller faire un break. On va bientôt fermer, après on ira au quartier Kotetsu, là-bas il y a plein de karaoke sympa !
-...Si tu le dis, concéda Arata-kun en haussant ses épaules. Mais comme je sais que tu risques pas d'arrêter de m'y pousser, ça ne me fera pas de mal...
- C'est un bon état d'esprit, sourit Ochaco.
* * *
En vrai, c'était pas si mal.
Après avoir mangé leurs crêpes et dit au revoir au patron, Ochaco et lui s'étaient précipités (surtout elle) dans le tramway pour rejoindre le fameux quartier. Là-bas, il y avait pas mal de gens louches, mais les lumières brillantes et les mélodies qui sortaient des bars, ainsi que les gens qui parlaient, chantaient, dansaient... C'était une ambiance très différente, et, Akira pouvai le reconnaître, plutôt apaisante.
Dans le bar karaoke où ils étaient, ils avaient loué une petite salle (surtout avec son argent à lui) et avaient chanté à tue-tête pendant plus de trente minutes. Malgré les piètres talents vocaux de son accompagnatrice, Akira se laissa aller, jusqu'à arracher ce commentaire à Ochaco :
- Bah dis donc, je ne savais pas que tu chantais aussi bien !
- Et moi que tu aimais autant les karaoke...
- Hi hi ! (Elle prit le micro et fit semblant d'imiter une pose d'idol) Quand j'étais petite, mes parents et moi on y allait souvent avant qu'ils bossent pour des heures supplémentaires afin de payer mon entrée à Yuei... Depuis, je n'y suis plus allée, et j'avais oublié cette sensation !
Le sourire de la jeune fille se propagea à Akira, qui en esquissa un léger. Elle est pétillante comme Saulia... La douleur revint, et il se mit le visage dans sa main, arrachant un regard inquiet à Ochaco. Putains de souvenirs qui sont pas à moi ! s'enragea-t-il.
- Tout va bien ?
- Oui, t'inquiète, juste la fatigue liée à mon Alter, mentit-il en buvant un grand verre d'eau. Le contrecoup peut survenir assez longtemps après une utilisation fréquente.
-...Je vois. Tu veux qu'on s'en aille ?
- Ça ne te dérange pas ?
Elle fit non de la tête. Ils sortirent de la petite salle, dirent au revoir au gérant du bar, mais Akira fut attiré par la télévision qui diffusait les infos. Le titre du reportage le pétrifia :
Flash Info : Après un mois et demi de recherche, la police et les héros ont enfin appréhendé la réponse.
Ochaco n'avait pas l'air de lui demander de venir ; elle aussi avait-dû être choquée par cette annonce. Le présentateur parla :
- Actuellement le criminel le plus recherché du Japon, "La Réponse" a enfin été appréhendé par les forces de l'ordre. Même si nos journalistes n'ont pas encore de nouvelles sur l'affaire, ils ont eut cette information précieuse : le vilain n'a pas d'Alter.
Quoi ? Akira avait la bouche entrouverte, ses yeux aussi écarquillés que des soucoupes. Soudain, le présentateur toucha son oreille, puis regarda l'objectif :
- Mesdames et messieurs, nous avons une nouvelle information : le vilain en question a annoncé avant son entrée en cellule que "Yannis le Mage, ma vérité m'a quitté. Un autre porteur de la connaissance est né dans ce monde, et il viendra bientôt te chercher". La police a cependant soutenu que le vilain était en plein délire, et qu'il voulait lancer de fausses informations. Et maintenant, dans le journal de huit heures...
- Akira ?
C'était la première fois qu'Ochaco l'appelait par son prénom. Il se tourna lentement vers elle, et croisa son regard inquiet.
- Tu trembles...
Il remarqua alors qu'il avait pris la main d'Ochaco, instinctivement. Il la lâcha d'un geste sec, avant de la regarder : elle tremblait, ses doigts tressautant comme ceux d'une grenouille morte qu'on aurait électrocuté. Il avait n'avait pas peur.
Il était terrorisé.
Un nouveau Porteur était né dans ce monde, et ça ne signifait qu'une seule chose.
Les Alters étaient le fruit de la Vérité.
* * *
- Je t'imaginais plus galbée, Toru.
Dans une chambre sombre éclairée seulement par une lumière rougeâtre, une forme s'affairait à grattouiller sur un morceau de papier. À ses pieds, le sol était jonché de feuilles noircies de schémas, de formules mathématiques, de pages de livres arrachées et griffonnées.
À côté de la forme se trouvait une fiole de parfum, remplie d'un liquide doré qui luisait de sa propre lumière.
- Mais bon, continua la voix avec un ton léger et joyeux. Bientôt, tu seras parfaite aux yeux de tous. Pareil pour Jiro, Mina, Momo, Tsuyu... surtout toi, tu m'a donné du fil à retordre, mais il resterait Ochaco, et les autres garçons je pourrais aussi m'en occuper...
La forme se gratta la tête avec un stylo, puis se redressa : cette dernière avait la forme de plusieurs boules attachées à une plus grosse.
- Mais je réussirais, ricana la voix de Minoru Mineta, le Nouveau Porteur de la Connaissance. Je créerais mon propre harem de protagoniste !
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