002 Ballet-du-Son (2/2)

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*

Tu es ma Reine, celle qui soignera toutes les peines

les Moires t’ont béni de surmonter l’oubli

la Terre t’a fait naître pour leur dessein afin que tu puisses nous montrer le chemin

le temps est à la protection contre l'annihilation.

Tu es ma Reine, celle qui plantera les graines

d’une nouvelle ère prospère, en honneur à ta Mère

tes ailes d’antan éblouiront le peuple de maintenant

ta voix est un espoir.

*

Ballet-du-Son s’éveillait peu à peu. Sa conscience se baladait un peu partout dans le monde pour repeupler ses îles désertes où la nature s’était emparée des villes et des villages. Les temples dénués de pouvoir s’illuminaient encore, comme si la volonté de leurs anciens suiveurs vivait encore. Des hommes et des femmes, et également des enfants de tout âge, désertaient les taudis sur des bouts de terre sur le point d’être submergés par la montée des océans.

— L’été meurt quand les cieux pleurent à l’annonce des nuances de couleurs. Entendre les pleurs au travers de cette terreur, un sentiment qui me touche droit au coeur. Voilà qu’on m’appelle pour que j’ensorcelle. Enchanter le peuple, gouverner de braves gens, esquisser une nouvelle destinée. Les Moires m’ont vu naître, l’univers m’a fait paraître, la Terre m’a fait disparaître. Gardienne, je suis, me voilà Reine. Qu’ai-je donc fait ? Je n’ai que rempli mon rôle ; je n’ai que protégé de belles âmes pour qu’elles puissent surmonter toutes leurs larmes. Je ne suis que le feu qui réchauffe. Je ne suis que les flammes qui brûlent. Qu’ai-je donc fait pour que tu me choissises, toi qui danse au rythme des sonorités ?

Graine de l’univers, enfant de la Terre, béni des Moires. Feucosmik esquissait une belle ligne blanche au travers des cieux, ses longues ailes noires étincelaient au-dessus des couleurs de l’automne. Elle n’était qu’une jeune femme éternelle possédant une allure particulière. Des lianes se frayaient un chemin sur sa peau hâve tout son corps et brillaient la nuit. Des cheveux argentés attachés en queue de cheval réagissaient à ses émotions. Feucosmik portait une jolie tunique guerrière aux couleurs ensoleillées et royales, un long fourreau datant d’une époque révolue accroché à sa taille et une cape brodée qui tenait chaud durant les temps froids. Seuls ses pieds demeuraient nus.

— Ne te l’ai-je pas déjà dit ? entonna la voix caverneuse de l’archipel. Ne te l’ai-je pas déjà chanté ? Tu règnes au-delà de l’oubli ! Tu as toujours été dans la passé. N’as-tu donc rien écouté de la prophétie ? Quand Ora’j-de-Pasti sonnera au sixième mois de l’ancien calendrier viendra une nouvelle Reine chevauchant un destrier…

Ballet-du-Son retrouvera alors toute sa splendeur d’antan pour renverser la courbe du temps. Si, justement ! Je n’ai pas l’étoffe d’une cheffe.

— Si cela était le cas, je le saurais. Oublies-tu toutes ces années à diriger des troupes entières pour sauver ce qu’’il restait de la Paix ?

— Que Bleuté-des-feux t’enivre de bonheur ! Qu’elle résonne en nos coeurs ! Est-ce donc à moi de mettre fin à la terreur ?

Ballet-du-Son rigola. Il rayonnait dans les cieux par ses huit îles disposées en un soleil toutes raccordées par d’immenses ponts de pierre que la nature avait choyé au cours de ces derniers siècles.

— Cesse donc de douter de toi. Les Moires ne t’ont-elles pas dit d’avoir la foi ? N’es-tu pas servante de l’univers, représentante de leur Voix ?

Le clocher de l’île du Savoir sacré sonnait. Il chantait des louanges aux âmes peinées. Il racontait sa prophétie encore et encore sous le regard d’un public déchaîné. Des offrandes par centaine ornaient son autel. Les habitants se pressaient, leurs cordes vocales travaillaient et le Destin résonnait. Feucosmik le savait ; la décision était déjà prise depuis longtemps, un long règne aussi joyeux que malheureux l’attendait afin de redonner le monde sa beauté d’antan.

Ballet-du-Son étincelait de joie.

Feucosmik vint se poser sans gêne au beau milieu de la foule. Celle-ci s’écarta brusquement ; les gens se poussaient pour se hâter en deux groupes. Le regard de leur dirigeante balaya l’île ancienne pendant de longues minutes.

— Quelle belle étoile ! s’écria l’un des esprits, un certain Théophile de Vitrail, un fin connaisseur de kwak ambré.

— Votre Majesté, tonnait le peuple, êtes-vous prêt à prendre les voiles ?

— Ne l’ai-je pas déjà fait ? Je saisis cette belle opportunité pour redorer notre blason oublié ! Ballet-du-Son m’a parlé de notre destinée. Celle de protéger nos coeurs et nos aimées.

Feucosmik ferma un court instant les paupières. Son pouvoir s’éveilla, se répandit sous le regard ébahi de son peuple jusqu’à envelopper dans sa totalité l’archipel lui redonnant un coup de neuf. Ballet-du-Son l’en remercia comme s’il était redevenu un homme sans arthrose ; un immense trône jaillit hors de terre dont des moments clefs de l’histoire semblaient gravés dans la pierre. Il était garni d’un coussin de plume. La nouvelle reine vint s’asseoir.

La foule demeurait debout, incertaine de la suite des événements. La dirigeante huma, et d’un geste, des chaises jaillirent du sol.

— Quand juillet arrivera pour déposer ses nouvelles graines alors une nouvelle ère viendra afin que germent d’immenses plaines. Honorez votre Mère, Troilune, célébrez votre Père, l’univers, je vous promets un avenir prospère. Je ne pardonne pas les immondices et je ne me rends pas complice. Soyez prévénu, soyez le bienvenu. Que Bleuté-des-feux vous enivre de bonheur !

— Qu’elle résonne en nos coeurs ! dirent en synchronisation les balletais.

Les frontières commencèrent à s’agrandir quelques semaines après le couronnement de la Reine Caspian Cosmique. La population augmentait ; de plus en plus de personnes débarquaient sur l’archipel sauvés des eaux profondes où de terribles monstres y habitaient. Le monde débuta alors sa lente guérison sous le regard fixe de l’univers.

Les océans cessèrent de monter, cependant, elles ne descendirent pas. De nouvelles terres vinrent à la surface et demeurèrent inhabitées pendant un long moment. Des peuples voisins aux balletais se pressaient à la citadelle pour quémander quelque chose à la reine.

— Restaurer la Paix. Aimez. Chérissez. Méritez, étaient les seuls mots prononcés par la reine.

— Honorez votre Mère, célébrez votre Père, chuchotait Ballet-du-Son.

L’archipel s’agrandissait avec l’apparition de nouvelles îles. La rivière Gorge-de-mer étendit son lit au travers de ces nouveaux bouts de terre.

— Quand Mars viendra, entonna Feucosmique, dit Caspian Cosmique. Et quand Hermès apportera une nouvelle pérégrination, le souffle nouveau se tracera à travers Ballet-du-Son, cette belle nation.

À jamais souffle de la Terre.

À jamais vassal de l’univers.

À jamais bénie des Moires.

Les sombres images d’un avenir proche la hantaient. Des terriens ayant réussi de nouveau à aller sur la lune se préparaient à retrouver les traces du Hermès. Et leur curiosité, inévitablement, se transformerait en avarice. Cette fascination avec ce fragment du passé causerait leur perte.

— Qu’ils viennent… murmura-t-elle. Je les attends. S’ils causent la moindre guerre, cette fois-ci… je ne serai pas spectatrice.

La Terre trembla d'excitation à ses mots.

L’univers frissonait d’avance.

Les Moires souriaient d’un air sinistre.

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