005 Puits I
Il suffit d’une faiblesse importante pour qu’un immeuble s’effondre.
Il n’existait quasiment plus rien qui rattachait le monde à son passé, si ce n’étaient les vestiges anciens qui ne faisaient que rappeler son terrible sort aux sociétés florissantes.
Si les archives contenaient tout ce que les descendants devaient savoir sur l’avant, elles demeuraient la plupart du temps inaccessibles à cause de sa localisation. Toutefois, cela n’empêchait pas les différentes tribus d’envoyer des représentants parcourir un périlleux voyage pour ramener le savoir au sein de leurs communautés. D’autres personnes partaient de leur propre oblivion en quête de la connaissance.
Comme Namid.
Coiffé d’un bonnet en laine, la jeune fille ayant tout juste passé son treizième anniversaire voyageait au travers des « terres mortes ». Elles formaient un vaste territoire montagneux qui s’étendait sur plusieurs centaines de kilomètres. Des forêts se dessinaient au fil du temps aux abords des rivières et des lacs. Les côtes apparaissaient de l’autre côté des monts et révélaient les carcasses oubliées. Elle chevauchait un bel animal au pelage noir depuis plusieurs mois sans vraiment savoir où elle se rendait. La seule chose qui l’importait était un conte que les gens passaient de génération en génération.
Si certains le trouvaient enfantin ou encore irréaliste, quelques témoignages fascinaient les fervents défenseurs de cette histoire.
Son sac à dos commençait à peser sur les épaules à l’arrivée de la vesprée. Le soleil se baissait face à la lune dans un éclat de couleurs. Le satellite de la Terre demeurait de façon permanente dans les cieux bien que Namid savait que cela n’avait pas été le cas avant la Chute. Elle se redressa, tapant doucement du pied pour signaler à son destrier d’avancer. Il ne fallait pas qu’elle tarde à trouver un emplacement où dormir.
Au loin, un brasier attira son attention. Il se dessinait au fil des minutes et esquissait les vestiges d’un village que Namid ne saurait placer sur une carte. La jeune fille fut intriguée de constater qu’une silhouette se tenait près du feu. Dans ces terres désertées, il était bien rare de croiser un voyageur. Personne n’osait réellement s’approcher de ce territoire inhabité à cause de rumeurs et légendes acadabresques.
Son destrier s’arrêta à quelques mètres des ruines. Namid se demanda brièvement si elle devait sauter le pas en premier. Avant qu’elle n’ait pu prononcer le moindre mot, une voix s’éleva :
— Attaque-moi, tu passeras l’arme à gauche. Vole-moi, je te couperai un doigt. Si tu as une quelconque intention dépravée, je te couperai le sexe.
Namid devint rouge pivoine à la dernière phrase.
— Je… viens… en paix, bafouilla-t-elle.
L’inconnue se tourna dans sa direction. À la lueur du coucher du soleil, Namid n’eut aucun mal à apercevoir le fourreau accroché à l’étrangère. Elle savait qu’au moindre geste déplacé son interlocutrice lui trancherait la gorge.
— Ah, une enfant, souffla celle-ci d’un air blasé.
— J’ai treize ans, je suis adulte maintenant ! protesta Namid, oubliant vite les menaces.
— Joins-toi à moi, enfant. Tu me diras pourquoi tu es venue jusqu’ici.
Muette, Namid descendit de son cheval. Elle l’attacha à un piquet, lui fournit à manger et à boire avant de s’installer en face de la femme. L’adolescente contempla la mystérieuse voyageuse ; une individue de grande taille dotée d’une chevelure châtain attachée en queue de cheval, des yeux couleur océan, d’affreuses cicatrices au travers du visage et une allure vestimentaire bien particulière qui lui faisait penser aux habitants du Nord. Elle remarqua immédiatement le manque de chaussures et en déduisit qu’elle préférait marcher pied nus comme bon nombre de nomades.
— Comment te prénommes-tu, enfant ?
— Namid. Qui êtes-vous ?
— Celle que tu es venue trouver, enfant.
Surprise, la jeune fille fixa son interlocutrice. Cette dernière se mit à sourire, l’air amusé.
— On m’a prévenu de ton arrivée, enfant. Il fallait s’y attendre, non ? Tu viens du Sud… là-bas, les gens sont un peu plus ignorants de ce qu’il se passe ici. Que me veux-tu ? Tu es bien trop jeune pour errer seule sur ces routes.
— Je…
Namid se mordit la lèvre soudainement incapable de parler. Elle se frotta les mains d’un air absent pendant de longues secondes avant de prendre son courage à deux mains :
— Je souhaite devenir un Puits.
— Puits… ? Ah, le terme change tout le temps. Mesures-tu l’ampleur de ton ambition ? Ton peuple peut accéder aux archives s’il le désire. Et même si l’ascension est difficile, beaucoup de gens y arrivent.
— C’est mon rêve, répondit Namid. Qui êtes-vous ?
— Je te l’ai dit, non ? C’est un beau rêve. Écoute, enfant, je ne prends pas n’importe qui comme apprenti. Si tu souhaites réellement te soumettre à mon enseignement, tu devras réussir une é…
— Vous ne me donnez pas votre prénom ? interrompit la jeune fille, contrariée.
L’étrangère poussa un soupir. Elle se leva abruptement et enjamba le brasier comme si le feu ne lui faisait rien pour lui donner une pichenette sur le front.
— Tu le connaîtras quand tu auras terminé ton apprentissage à mes côtés.
Namid voulait bouder, cependant, elle trouvait cela bien trop gamin alors elle s’en abstint.
— Réussis l’épreuve, enfant. Grimpe là-haut, dit la femme pointant une direction au nord. Tu y trouveras un lieu dangereux pour le commun des mortels. Ramène-moi la pierre qui t’inspire le plus. Sois courageuse. Si tu es en danger de mort, ceci dit, les gardiens viendront à ta rescousse.
— … À ma quoi ?
Quel mot barbare était-ce ?
Sa future maître d’apprentissage marmonna diverses paroles comme « usage » et « temps » mais l’enfant de treize ans ne comprit pas de quoi cela retournait.
— Les gardiens viendront te sauver si jamais tu es en danger de mort, expliqua l’inconnue.
— D’accord, j’y vais alors.
— Je ne crois pas, enfant. Installe-toi et dors, tu partiras le lendemain.
— Le lendemain ?
— Oui, le jour suivant, si tu préfères. Maintenant, au lit, enfant !
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