009 Myriade de souvenirs

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Hazel parcourait les allées de la bibliothèque. Ses doigts effleuraient la tranche des livres. Ses yeux arpentaient les titres avec envie. Sa voix à peine audible renseignait les quelques curieux venant emprunter de quoi se cultiver. La chevelure d’Hazel lui tombait en bas des fesses, rayonnait dans une myriade de couleurs automnales, et son sourire avenant illuminait la terne demeure poussiéreuse du savoir. Petits pieds nus décorés avec amour par de joyaux sacrés, elle se faufilait entre ses collègues et les linéaires. Elle rangeait en quelques secondes le moindre désordre. Sa mère pensait que Hazel deviendrait une Érudite plus tard, qu’elle se mettrait au service d’Apollon comme le reste de ses frères et sœurs. Cependant à son insu, Hazel était une aventurière rêvant de gravir les montagnes, d’explorer les profondeurs et de combattre le Minotaure. Elle chaussait des sandales parfois, enfilait une armure et disparaissait pendant trois ou quatre jours. Elle revenait avec des offrandes, des objets anciens et le sourire aux lèvres. Hazel n’écoutait rien aux sermons de son père et n’éprouvait aucune honte sous le regard désapprobateur de sa sœur aînée. S’éloigner de la sphère familiale lui faisait un grand bien. Elle se réfugiait dans les histoires passées, dans les contes futuristes et espérait un bel avenir.

Sauf qu’il ne restait plus rien. Aurore voyait le cadavre pourri de son ancienne élève, marquée par l’abus et la cruauté de l’ennemi, suspendu à une chaîne. Elle ne pouvait qu’apercevoir l’expression terrifiée de celle qui fut autrefois une boule de lumière. Dans les allées anéanties du temple du savoir, où flânait auparavant le Dieu de la Connaissance, des fantômes combattaient comme durant leur vivant. Dans la tourmente, leur rage résonnait encore.

Des marins descendaient des navires à quai. Ils transportaient des caisses, des cadeaux d’ailleurs, et les entreposaient sur le port où des hommes et des femmes s’activaient sous le regard perçant de Thésée. Sa carrure imposante intimidait souvent les cadets. Il n’était pas quelqu’un de souriant, pourtant quand le travail était bien fait, il s’autorisait à adoucir son expression faciale. Exigeant avec lui-même, il avait horreur des erreurs et celles-ci hantaient tout le temps ses nuits. Il dirigeait d’une main de fer ses soldats ; il leur enseignait le courage et la rigueur, leur parlait du danger et de l’honneur, leur contait la mort et leur demandait de vivre dans le présent. Récompensé, Thésée restait lui-même, se refusait d’être arrogant et disait que la chance pouvait toujours tourner. Protecteur, il n’hésitait jamais à se lancer dans de sanglantes batailles. Fils bâtard du roi, il avait renoncé à tout droit pour ne pas offenser l’héritier du trône.

Et Aurore pouvait conter sa mort sans une once d’hésitation. Thésée avait été un guerrier loyal jusqu’à son dernier souffle, emportant avec lui des centaines d’âmes. Il triomphait encore dans la mémoire malgré sa présence dans les lignes infernales d'Asphodel. Il méritait amplement l'Elysium.

Muette, Mélodie rêvait de chanter. Le souvenir détestable d’une vie sous les coups d’un père froid, sous les remarques vides d’une mère absente, hantait ses moindres gestes. Elle errait dans les rues comme un fantôme sous le regard à la fois consterné et inquiet des habitants. Elle écrivait des chansons, soufflait sans bruit leurs paroles et espérait quelque chose d’autre. Elle récoltait les légumes et les fruits, se terrait loin de tout contact et paraissait de plus en plus peinée au fil du temps. Mélodie se rendait au temple de Tyché, priait mille pensées à Apollon et brûlait des offrandes à Arès. Elle luttait contre elle-même, triomphait et retombait inlassablement. Malgré les pensées noires qui l’assaillaient, Mélodie survivait toujours.

Face à l’ennemi, Mélodie avait hurlé si fort que sa voix avait fait trembler la cité. Qu’elle avait rendu fou l’adversaire. Que des vignes avaient jailli pour étouffer les guerriers d’ailleurs. Aurore se souvenait de sa première et dernière chanson.

Elouan souriait de tout temps. Il se baladait les pieds nus, transportait des cargaisons sur ses épaules imposantes et s’arrêtait pour aider la moindre personne en difficulté. Il visitait Hazel qui lui contait ses aventures et il l’encourageait à prendre son envol. Il buvait un coup le soir avec Thésée qui lui demandait conseil afin d’aborder son voisin et le soutenait quand les choses devenaient difficiles. Il se rendait chez Mélodie, lui tenait compagnie une à deux heures par semaine et lui offrait une merveille quand il revenait à la cité. Marchand itinérant, Elouan marquait ceux qu’il rencontrait. Il offrait une friandise à un enfant, de l’eau à un soldat épuisé, du soutien à une famille en deuil. Elouan priait les Dieux comme il pensait beaucoup à sa mère malade. Jamais il ne montrait son mal être.

C’était lui qui avait prévenu le roi de l’imminente attaque. Mort en vain, Elouan demeurait un fantôme constant dans l’esprit d’Aurore.

La Citadelle renfermait des secrets immenses, jalousés par l’ennemi, emportés dans la tombe par ses gardiens. Le palais, autrefois illuminé par ses huit allées florales, n’était plus qu’un amas de ruines. Les remparts millénaires tenaient encore en dépit de ses blessures causées par le fracas d’ailleurs. Les temples à l’abandon se perdaient dans l’immensité végétale. Les édifices tantôt écroulés tantôt désertés contenaient une atmosphère si triste et une rage si profonde que l’écho des morts résonnait encore.

Aurore vivait encore, à jamais condamnée sur ces terres désolées, pourchassée par l’horreur. Sous l'œil vigilant d’Arès, le sourire vicieux d’Apollon, l’immortelle avançait. Et en arrière-plan, la prophétie se répercutait dans le crâne de son armée.

— Pour Elpis ! Pour l’Olympe ! entonna-t-elle brandissant son épée.

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