012 Seuls
L’ombre d’une branche s’agitait frénétiquement. Des bourrasques de vent faisaient trembler les volets témoignant de la vicieuse tempête qui frappait la région depuis plusieurs heures. Au travers d’un rideau de lumière orangée, un décor se dessinait. Les fenêtres voisines s’étiraient d’un air sinistre, et parfois de longs bras les traversaient. Dehors, une pluie battante pourchassait quiconque s'aventurait. L’eau montait et noyait les feuilles d’automne, elle se répandait aussi vite qu’un incendie et s’infiltrait même au rez-de-chaussé. Les barricades ne tiendraient pas longtemps si cela continuait ainsi.
Les préparatifs passés ne suffisaient pas, ou peut-être que les gens n’avaient réellement pas eu le temps de s’en occuper. Les barricades consistaient de sacs de ciment ou de sable et de planches de bois. Un voisin m’avait soufflé, la veille, qu’un large groupe de personnes avait pénétré l’enceinte d’un Bricomarché pour subtiliser sa marchandise. Une voisine nous avait fait remarquer que l’un des voleurs était, semblait-il, un ancien responsable du personnel. Les météorologues s’y étaient pris tard, principalement à cause des conflits internes qui secouaient la France depuis plusieurs mois. Je ne m’y intéressais pas vraiment. Je n’étais pas dans le déni comme certains, loin de là. Simplement, cela ne me concernait pas. La vie tournait au ralenti, surtout dans l’Yonne. Les jeunes brûlaient les poubelles. Les casseurs s’en prenaient aux rares magasins encore ouverts. Les autorités n’étaient.. plus là. Enfin, si, elles étaient encore là. Mais dans le chaos, que pouvaient-elles faire ? Nous avions tous le sentiment que quelque chose allait arriver d’une manière ou d’une autre. Le gouvernement n’était plus capable de gérer les conflits. Les nuits n’étaient plus sûres. L’avaient-elles été auparavant ?
Le gardien de l’immeuble, aidé par quelques propriétaires et locataires, avait condamné les portes et les fenêtres du rez-de-chaussé. Rien ne pouvait passer sauf l’eau. Depuis quelques jours, l’angoisse saississait la ville. Des vidéos circulaient dans les groupes locaux sur Facebook où l’on entendait d'effroyables bêtes. Certaines montraient des agressions, d’autres révélaient l’ampleur des attaques. Quelques internautes pensaient que c’était l’œuvre d’animaux. D’autres affirmaient que c’était autre chose. Si l’on songeait d’abord à une blague, la quantité de preuves faisait que quasiment tout le monde y croyait. L’heure n’était pas à la plaisanterie, surtout lorsqu’on retrouvait des corps inertes à l’aube. La mairie avait imposé un couvre-feu.
Je sursautai lorsqu’un bruit laid et froid se fit entendre. L’air se glaçait. Je me réfugiai alors sous ma couette. Était-ce l’invisible ? Je le souhaitais. Je ne voulais pas penser à l’horreur arpentant la ville et soumettant ses habitants un à un dans un ballet mortel. Était-ce une espèce récemment découverte et gardée secrète par les gouvernements du monde ? Ou était-ce alors une hallucination collective ? Dans ce cas-là, pourquoi y aurait-il des morts ? Peut-être que c’était l’œuvre de… Mes pensées s’arrêtèrent à l’entente d’un grognement. Il était proche.
Je me levai. Il fallait que je m’assure de ma propre sécurité. Qui viendrait me sauver ? Personne. Aucune trace de bête dans la chambre. À pas de loups, je m’aventurai dans l’appartement vérifiant l’état de chaque pièce. À chaque fois, j’allumais et éteignais rapidement les lumières. Rien. Le bruit provenait-il de derrière la porte d’entrée ou venait-il d’un de mes voisins ?
« Arslain ! N’oublie pas les cordons bleus ! rugit la voix familière de mon voisin de droite au travers de son mégaphone. »
Danger imminent. Je devins aussi pâle qu’un linge et me hâtai à la porte pour m’assurer qu’elle demeure fermée. Un meuble par ci, un autre par là, et j’attendis. Au travers du judas, j’observais. Quelque chose rampait comme un serpent à l’intérieur de moi. Le tonnerre gronda. Pourtant, j’entendis distinctement un râle moche comme un pou. Mon sang se glaça.
Dehors, dans le couloir, rien ne s’y trouvait.
Dedans, derrière moi, l’horreur s’y tenait.
En me tournant lentement vers le nouveau venu, j’avalais ma salive. Une bête humanoïde se dressait devant moi. Je n’arrivais pas à émettre le moindre son ni même à bouger. C’était comme si un poison me paralysait. L’intru me toisait d’un air indescriptible. Il m’inspirait une crainte immense à cause de son apparence monstrueuse. Le teint hâve, il possédait quatre longs bras qui s’apparentaient à des tentacules colorées d’un liquide à la fois jaunâtre et noirâtre. Ses yeux perçants reflétaient la couleur de la lune : ils me fascinaient tellement que j’aurais pu passer des heures à les fixer. Je n’eus pas le temps de l’observer davantage puisqu’il s’avança vers moi. Je me reculai et me heurtai aux meubles.
Coincée.
Son rire résonna.
Cruel.
La mort entonnait sa marche.
L’être saisit mon cou avec deux de ses mains. Ses ongles percèrent ma peau et s'enfoncèrent dans la chair. Mon corps entier se mit à trembler violemment. Des images apparaissaient dans mon esprit, toutes étaient vives, étranges et ne donnaient aucun sens. L’inconnu se mit à parler dans une langue inconnue, qui, à mon sens, n’avait rien d’humain. Puis vint la douleur, petite d’abord, qui se métamorphosa en une souffrance à pleine puissance.
Soudain, je tombai.
Et je me demandais si le cauchemar venait juste de prendre ses marques.
Les os se brisèrent. Le sang gicla. Je contemplais cet être d’ailleurs dont le rire résonnait encore dans ma tête. Le temps se figea. Le ciel pleurait encore. L’orage rageait encore.
Dedans, l’horreur se propageait.
Dehors, l’immondice régnait.
La mort, cependant, n'était pas au rendez-vous. Je me réveillai quelques semaines plus tard dans une ville désertée, dans un département sous quarantaine et entouré de vastes murs d’où on apercevait des soldats arpentant les sommets, l’arme pointée sur quiconque essayait de s’échapper.
L’Ailleurs prenait place tel un conquérant.
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