15 | La maison 57

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La maison au numéro 57 de la Rue Météor n’est plus qu’une myriade de souvenirs aussi fascinants que terrifiants.

Je ne peux que me résoudre à chercher ailleurs, à peindre encore et encore ce que j’ai vu jusqu’à ce que l’hystérie cesse, à dessiner les contours monstrueux de la créature qui hante encore mes rêves. Il m’est impossible, aujourd’hui, de rester à un seul endroit. Il faut absolument que je demeure en mouvement quoi qu'il arrive. Le cauchemar est toujours derrière moi, ses griffes effleurant ma peau au moindre signe de faiblesse. Il serait peut-être intéressant, du moins pour les proches qui s’inquiètent de me voir dépérir au fur à mesure que le temps s’écoule, de dévoiler ici mon vécu dans la mansarde au quatrième étage de ce logement atypique.

La Rue Météor, d’abord, est difficile à trouver. Étroite, longue et montante, elle n’offre aucun répit à ses habitants. Elle se tient dans un quartier industriel, emprisonnée dans les fumées ahurissantes des usines avoisinantes et reste un endroit craint par la population environnante. Je pourrais écrire des longueurs à n’en plus finir sur les rumeurs qui courent dessus, cependant, je ne pense pas qu’elles ont leur place. D’une part, pour la grande majorité, elles sont ridicules et superstitieuses, d’autre part, le reste est une mélopée de témoignages que je ne peux pas coucher sur le papier. L’horreur de ces paroles demeure en mémoire et confirme les affreuses nuits que j’ai passées au numéro 57. La maison, elle, est étrange. Elle possède une architecture fascinante dont je ne cesse de dessiner encore et encore espérant illustrer le moindre trait dans sa plus grande netteté. Immense aux murs penchés, dénudés et décorés de motifs déroutants, cette demeure rayonne de bizzarie. Son toit, haut et peu droit, pointe vers l’ouest. La façade est noire comme du charbon. Les volets sont tous fermés sauf ceux des chambres occupées.

Le matin du 13 octobre, je sortis en trombe du foyer familial avec un sac et les vêtements sur le dos sous les hurlements stridents de mes parents. Leurs attentes, bien trop hautes et allant à l’encontre de mes désirs, n’ont pas été atteintes. Notre relation s’était dégradée au cours des années oscillant entre les conflits incessants et mon souhait de maintenir l’unité de notre famille au détriment de ma propre santé. Je partis donc, ce matin-là, sans vraiment savoir ce qui allait m’arriver. Je pris le premier train pour Aura, et à la gare je croisai l’un de mes anciens professeurs, monsieur Fripon, qui tenta de me résonner. Je pensais à ce moment-là que l’un de mes adelphes devrait y être pour quelque chose. Je ne me soumettrais pas à leurs ridicules « rêves » ni même je saurais leur ticket vers un statut social supérieur. La gare d’Aura n’était pas agréable à cette époque-là, regorgeant aussi bien d’employés malpolis que de détraqués. Il ne fallait pas rester à l’intérieur de l’édifice la nuit même si la gare proposait des chambres.

Vers le début de l’après-midi, je me décidai à faire la tournée des commerces pour y trouver un travail. Il ne me fallut que très peu de temps pour en trouver un. La gérante d’une boulangerie m’embaucha en tant que boulangère puisque son mari était malade. Elle me parla de la maison 57 Rue Météor longuement où le propriétaire, un vieil homme strict, recherchait des locataires. Elle mentionna brièvement les rumeurs mais comme elle n’était pas d’Aura, elle ne croyait pas aux histoires que les gens de là-bas racontaient. Cela m’intrigua tellement que je me rendis un peu plus à la bibliothèque de la ville afin de faire quelques recherches. J’ai toujours eu cette habitude de chercher tout ce qui titille ma curiosité ; j’empile des journaux à la maison sur les connaissances que j'acquière au fil des années. Toutefois, je ne trouvai rien à part de ridicules articles de journaux.

Le propriétaire de la maison 57 m’accueillit le soir du 13 octobre. Il me proposa la chambre ouest au cinquième étage de la bâtisse. L’homme me parut comme un individu d’une grande sagesse, silencieux et intelligent. Il vivait au rez-de-chaussé et ne montait quasiment jamais. Quand je mentionnais les rumeurs et les histoires, il changeait de sujet instantanément, arborant une expression de peur. Vers vingt-deux heures après un diner copieux en compagnie du propriétaire et de sa femme, je montai me poser. La mansarde était assez grande pour une seule occupante néanmoins j’appréciais l’espace. Il y avait un lit deux places au centre de la pièce. Une armoire s’enfonçait dans la salle, dissimulée derrière un rideau de velours suspendu à une barre métallique fixée entre deux murs. Au niveau de la porte se trouvait un coin bureau assez confortable où je pourrais travailler sur mes passe-temps en toute tranquillité. Je me postai devant la fenêtre, happée par le paysage étrange de la nuit, pendant si longtemps que je sursautai quand une musique retentit.

Le 14, au petit matin, je quittai la maison pour me rendre à mon travail. La journée se termina aux alentours de treize heures. Je rentrai avec hâte et me posai à mon bureau pour écrire. Je rêvais d’être publiée un jour et je voulais que cela soit « L’éclat 57 », une nouvelle que j’affectionne. Elle s’inscrit dans un style particulier, hante mes lecteurs et exulte d’une aura que je ne saurais décrire en si peu de mots. Le vieux Frisson vint me voir pour proposer de dîner avec lui, ce que j’acceptai avec joie. Nous parlâmes longuement ce soir-là sur l’écriture et la littéraire. Il me conseilla d’emprunter « Rivière noire », « Aura lointaine » et « Nuitée chez l’habitant » de Frank Mallorys. Après le dîner, je remontai et me couchai. Cependant, le sommeil refusa de me prendre dans le monde des rêves.

Je décidai alors d’aller à la fenêtre. Mon sang se glaça. Dans le reflet de la vitre, je vis une silhouette imposante à ma droite. Le visage hâve et flou, la posture droite et dominante, la figure exultait une certaine prestance que je ne pouvais pas décrire. Au fur à mesure que je le regardais, je fus prise d’un sentiment de malaise. Les traits devenaient de plus en plus net. Un souffle chaud me fit sursauter. Mes yeux s’écarquillèrent de surprise quand je remarquai que l’inconnu avait bougé. Je sentais sa présence dans mon dos, des griffes effleuraient ma peau et j’entendais distinctement l’entité me parler. Cependant, le langage était différent, quelque chose que je n’avais jamais entendu auparavant et qui ne ressemblait à rien de connu. Je demeurai immobile jusqu’au petit matin où je m’éveillai hors de cet état-là pour me rendre au travail. Les nuits suivantes se répétèrent d’une même manière sans que je ne puisse y faire quelque chose. Je me jetais dans le travail à corps perdu, lisais les ouvrages conseillés et j’écrivais sans cesse. Aussi étrange que cela puisse être, je n’avais jamais le souvenir d’avoir dormi.

Le vieux propriétaire m’avoua, plus tard en novembre, quelque chose de terrible. C’était l’effet d’une douche froide. C’était comme si mon monde s’effondrait. Il me pria de consulter les archives. Je ne savais pas comment cet homme avait eu vent de qui j’étais réellement, pourtant je lui fis confiance, me rendant à la bibliothèque pour lire les documents me concernant. Cette histoire, néanmoins, ne me concerne pas celle que je raconte. Peut-être que je l’écrirai plus tard.

La maison 57 devenait au fil des semaines un véritable foyer. En décembre, le vieux Frisson me demanda s’il pouvait m’embaucher en tant que jardinière, ce que j’acceptai avec joie puisque mon ancienne patronne n’avait plus besoin de moi — son mari étant revenu aux commandes. Les nuits demeurèrent agitées, en proie aux caprices de l’étrange créature qui me rendait visite à chaque fois et qui me laissait parfois des traces sur la peau que je recouvrais de bandages. Après les fêtes de fin d’année, mon quotidien changea une nouvelle fois avec le brusque décès de la femme du vieil homme. Il s’enferma chez lui et refusa de me voir les jours suivants sombrant peu à peu dans l’alcool. L’air sombre habituel de la demeure était à présent étouffant.

La nuit, dans la mansarde, je côtoyais cet être sans vraiment y comprendre quelque chose. J’écrivais longuement sur un cahier des paroles inconnues dans un langage secret dont celui-ci commençait tout juste à m’obséder. Je me roulais parfois sur le sol en proie à l’hystérie comme si mon esprit humain refusait d’accepter la réalité.

Le 13 mars, au matin, le vieux mourut. J’apprenais qu’il n’avait pas d’enfant et qu’il me laissait toute ses affaires dont la maison 57. La veille de sa mort, je faisais face à une nouvelle nuit d’insomnie. Je dansais avec les ombres sous le clair de lune, prise dans une profonde transe et hypnotisée par une musique aux sonorités méconnues. Et cette créature était là, immense et dominante, elle m’utilisait comme un pantin. Je me soumettais aux moindres de ses caprices, buvais ses paroles comme si sa parole était divine et je finissais par écrire encore. Ce matin-là, du 13 mars, je me réveillais nue, couverte de tatouages et de runes. Dans la mansarde, au sol, je retrouvai, ce jour-là, un message qui me retourna l’estomac :

« Petit être d’ailleurs, ce moment a été symbolique. Je te laisse le fruit de celui-ci dans ton ventre. Gare au molosse qui te cherche. »

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