Seconde 20
Cher.e Ami.e,
L'automne mange les arbres et mes rêves persistent tout du jour ; je ne suis plus si sûre d'être éveillée. Entre quatre murs, les ombres se promènent et il est probable que parmi elles, je t'imagine. Vois-tu, j'attends un rien de grandiose, quelqu'un qui vienne cracher un merveilleux chaos sur mes idées trop arrêtées ; je t'attends. Je t'espère pour réarranger les aiguilles, casser l'horloge, faire s'écrouler ce maudit minuteur qui déambule sous les fenêtres de mon cœur. L'impression de voir défiler le présent et de n'avoir aucune emprise sur lui m'entrave : c'est comme si j'étais une forme floue, et j'aimerais que quelqu'un me donne corps. Passe une main à travers mon torse, agrippe mon cœur, chavire-le, rends-le malade, défais moi de cette fadeur que je supporte à peine. Sois une créature noble, ignivome comme Naga l'est contre Garuda : sors moi de ma misère intérieure, embrase moi.
Car, cher.e Ami.e,
Au petit matin, j'imagine les carreaux du carrelage enserrer mes chevilles comme des étaux, m'astreignant à me replonger sous les couvertures, y récupérer les rêves de terres lointaines où, comme disait C. Aznavour, rien n'est important que de vivre - il n'est pas grand chose de plus doux que de vivre dans sa tête. Au petit matin, quand le rêve m'appelle, prends ma main et ancre-moi au réel. Encre le destin du jour sur toute ma peau en laissant des points mystères à la place des virgules.
Alors que je t'écris, mes émotions sont toutes enrouées. Je me ressens à peine et le miroir est gras de fausseté : il me montre tangible alors que je ne le suis plus, et ce, depuis bien avant l'adultescence. Mes pleurs n'en sont pas, mes sourires suivent les petites joies du quotidien avec une latence que je ne m'explique pas, mes peurs grondent comme un orage que les jours auraient trop longtemps retenu. Chez les autres, le chagrin est splendide, l'amour est avide d'épopées dramatiques, les amitiés se font et se délitent comme par magie... En moi, le vide cotoie l'aridité du décor. J'aimerais, Ami.e, que tu retapisses mon monde des fleurs d'un infini été, de couleurs intenses et chatoyantes, de bulles créatives où je pourrais me noyer l'esprit, sans craindre de m'oublier. En vérité, Ami.e, je souhaite qu'on me trouve, qu'on me trouble, qu'on me recompose à l'image fictive d'un héros, d'un roi, d'une guerrière ; d'une narratrice folle qui verrait et vivrait tout, ne resterait pas là, dans les recoins sombres en laissant librement croitre la vie ardente des autres.
Ami.e, il est probable que je t'imagine, que tu n'existeras jamais.
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