07. La surprise du chef
Oriane
— Tu es trop jolie, Maman.
Je souris à mon fils et dépose un baiser sur son front avant de le serrer dans mes bras. J’ai mis du temps à me décider à aller me préparer, mais j’ai finalement choisi d’envoyer du lourd pour faire envie à mon petit mari, et le laisser sur la béquille ce soir. Ça lui apprendra à me traiter comme ça. Je veux bien faire des concessions, mais ces derniers temps, j’ai l’impression d’être la seule à le faire. Alors… il pourra mater la marchandise mais s’endormira frustré, juste retour des choses après un weekend en tête à tête ou presque avec Robin. Quand j’ai vu ce pantalon taille haute beige qui moule tout ce qui doit l’être, je me suis rappelée de l’effet que cela avait pu lui faire. Un miracle qu’il n’ait pas fini définitivement taché après notre petit interlude sexuel en pleine nature au mariage de son cousin. J’ai revêtu un petit débardeur en soie plus ample mais qui ne manque pas de décolleté, et parfait le tout d’une veste en simili-cuir ajustée. Décontracté mais pas trop, le style qu’il peut détester en public, ou le rendre fou selon ses humeurs. Au moins, ça le fait réagir et j’espère bien qu’il atteindra le summum de la frustration ce soir.
— Merci, Trésor, signé-je finalement. Rachel te ramène à la maison après ta séance. Une douche, une demi-heure de console et tu fais tes devoirs, OK ? J’ai laissé de quoi commander une pizza pour toi, et si tu arrives à en faire manger une part à ta tante, je double ton argent de poche le mois prochain, souris-je. Elle ne mange plus que des salades en attendant son mariage. Tu relèves le défi ?
— Oui ! Je vais lui dire que si elle ne mange pas, moi non plus et je vais mourir de faim. Elle sera obligée de le faire ! répond-il avant de me faire un gros câlin.
— Bonne idée ! J’espère rentrer avant que tu dormes, je veux mon câlin. Mais si ce n’est pas le cas, je viendrai t’embrasser, d’accord ? Sois sage, mon grand garçon. Je t’aime.
Il me signe un “je t’aime” qui fait toujours s’emballer mon petit cœur de Maman, et entre dans le cabinet, me laissant seule avec Rachel.
— Encore merci, Rach. Je sais que je suis chiante, mais il a l’air crevé, alors pas d’entorse sur l’heure du coucher, OK ? C’est moi qui vais galérer à le lever demain matin, sinon, souris-je.
— Oui, ne t’inquiète pas ! Et quand tu rentres, tu m’aides à choisir la déco, tu n’oublies pas, hein ?
— Avec plaisir, pouffé-je. Ce sera une magnifique vengeance, ça. Désolée, Chéri, va te coucher, je préfère choisir la déco du mariage de ma meilleure amie, tu n’as qu’à te branler sous la douche. J’ai hâte de voir sa tête, tiens !
Oui, j’abuse sans doute un peu. Mais je suis du genre rancunière, et si j’ai tendance à m’écraser devant Louis pour éviter les conflits, j’en ai un peu marre de me laisser faire.
Je dépose un baiser sur la joue de Rachel qui rit, en accord avec mon plan machiavélique ou pathétique, au choix, et rejoins ma voiture pour me rendre à l’agence. Je suis à la bourre et ces messieurs ne vont pas pouvoir commencer à boire puisque j’apporte les verres… Tant pis pour eux, Louis sait que ma priorité est et restera notre fils.
Forcément, il n’y a pas de place libre dans la ruelle et je suis obligée de me garer bien plus loin. Je suis à peine à la moitié du trajet à pied que je commence à regretter mes talons aiguilles. Les pavés sont définitivement le meilleur moyen de finir plâtrée comme l’AVS de Robin !
— Oh, Oriane ! Vous voilà ! Louis va être soulagé.
— Fabienne, la salué-je en lui souriant. Vous n’êtes pas encore à la petite sauterie ? Arrêtez de bosser gratuitement en dehors de vos heures, le patron n’est pas un tyran à ce point, quand même, rassurez-moi ? Je suis sûre qu’ils sont déjà en train de papoter tennis, golf ou dernier match de foot, eux.
— J’y étais, mais Louis m’a demandé de vous accueillir et préparer les verres en urgence. C’est chose faite. Il m’a aussi demandé de vous réprimander, mais ça, je m’en passerai !
— Je vous en remercie, ris-je pour masquer ma gêne. Allons donc servir ces messieurs avant qu’ils ne réclament nos têtes.
Je retiens ma grimace et la suis dans l’escalier pour rejoindre la grande salle de réunion où le volume sonore est déjà bien élevé, et je comprends pourquoi en voyant les enfants de deux des agents immobiliers en train de courir partout. Je dépose les verres sur la table poussée contre un mur et soupire en croisant le regard contrarié de Louis. J’ai quinze minutes de retard, ce n’est pas la mer à boire, juste la vie de famille. Je plaque un sourire sur mon visage en le rejoignant et dépose un baiser sur sa joue avant de saluer Vianney et Etienne.
— Désolée pour le retard, j’ai dû déposer Robin à Rachel qui finissait à seize heures trente. Les verres sont arrivés, messieurs, santé !
— Tu aurais pu faire un effort, grogne-t-il à mon oreille. J’ai cru que tu allais me faire faux bond… Ça aurait été la honte…
— Tu veux qu’on se chamaille maintenant ou tu me présentes celui que tu cherches apparemment à impressionner ? chuchoté-je en parcourant la pièce du regard pour tomber sur deux billes bleues qui ne me sont pas inconnues.
Tiens donc, il faut croire que le monde est petit. Quelles étaient les chances pour que le canon des Restos du cœur vienne bosser pour Louis ? Voilà qui va bien faire rire Rachel !
Louis nous excuse auprès de ses amis et passe son bras autour de mes épaules en m’entraînant jusqu’à lui. Le sourire feint que j’affichais se transforme en quelque chose de plus naturel quand je me souviens de son attitude avec Robin.
— Hugo, je vous présente ma femme, Oriane. Chérie…
— Hugo, oui, j’ai compris, le coupé-je en tendant la main. Ravie de vous revoir, et bienvenue.
— Oriane ? Mais que faites-vous là ? demande-t-il en portant un regard appréciateur sur moi qui me fait chaud au cœur.
— C’est mon épouse, Hugo. Vous vous connaissez ? demande Louis, suspicieux.
— Nous nous sommes croisés la semaine dernière. Tu choisis bien tes employés, Louis, Hugo est bénévole aux Restos du cœur et sa responsable ne tarit pas d’éloges à son sujet.
— Ah oui ? C’est bien, ça, Hugo. N’hésite pas à en parler aux clients, ça leur donnera une bonne image de l’agence.
— D’accord, Louis, répond-il doucement sans me quitter des yeux. Mais je ne fais pas ça pour ça, hein ? Ni pour rencontrer les jolies femmes comme ton épouse, ajoute-t-il en riant.
Je tente de masquer mes émotions mais je suis sûre que je m’empourpre alors que Louis resserre son bras autour de mes épaules, possessif.
— Les actes ont plus de valeur quand ils sont faits dans l’ombre plutôt que mis en avant, soufflé-je. Robin trie ses jouets depuis quelques jours, il semble décidé à faire des heureux, sans s’en vanter à tout va.
— Nous l’élevons bien, c’est pour ça. Un ange, cet enfant.
— Je confirme, très mignon, mais je trouve qu’il vous ressemble bien plus, Oriane, qu’à son père. Il a dû prendre votre caractère ou votre intelligence, dit le jeune homme à son patron qui se renfrogne un peu.
Et moi, j’ai soudain envie de me terrer dans un trou de souris, même si je fais bonne figure.
— Ce sont sans doute nos yeux qui donnent cette impression. Bon, et si nous allions trinquer ? Je crois que nous fêtons quelque chose, ce soir. Chéri, tu veux bien m’apporter un verre et faire ton petit discours ?
— Tu veux un jus de fruit ? me demande-t-il avec nonchalance, déjà distrait par Vianney qui rigole à une blague de la femme d’Etienne.
— Je préférerais une petite coupe de bulles, lancé-je dans le vide, il me semble. Vous m’excusez, Hugo ? Je vais aller saluer les autres. J’espère que vous vous plairez ici. L’ambiance est conviviale et, si vous avez besoin d’avoir les potins de la boîte, adressez-vous à Etienne, parce que Fabienne est une tombe même si elle sait et voit tout.
— Merci, l’accueil a été chaleureux et je crois que je vais me plaire ici, surtout si vous passez régulièrement nous voir. Vous êtes ravissante, ce soir.
Comment fissurer le masque en quelques secondes ? Vous retrouver devant un homme beau comme un dieu qui vous regarde avec intensité quand votre mari vous considère comme un meuble ou presque… Et je reste muette en réfléchissant à quoi répondre, l’observant avec plus d’attention que lors de ma visite aux Restos. Bon, difficile de ne faire que passer devant lui en l’ignorant, il attire le regard. Ses lunettes ne cachent pas vraiment ses beaux yeux bleus encadrés par des cils fournis, sans parler de cette barbe de quelques jours qui lui mange une partie du visage et met en valeur une mâchoire assez carrée. Sans doute moins que ses larges épaules, j’en conviens, mais il a des traits à la fois virils et fins, c’est une jolie harmonie qui ne laisse pas indifférente.
— Je vous remercie pour le compliment, Hugo, souris-je finalement alors que Louis réclame l’attention en l’interpellant pour qu’il le rejoigne.
Hugo m’adresse un clin d’œil et se rapproche de mon mari, ce qui me laisse tout le loisir d’observer le côté pile. Et je me surprends à un peu trop le regarder alors que son nouveau patron blablate pendant ce qui me paraît être une éternité, vantant les mérites de son agence et du travail acharné qui le pousse à abandonner sa famille, même s’il se garde bien de le dire. Heureusement qu’il a encore l’honnêteté et l’humilité de nommer les autres agents. Je masque la grimace qui menace de se dessiner sur mon visage lorsqu’il me remercie d’être un soutien indéfectible pour lui, et affiche un nouveau sourire de circonstances en récupérant une coupe de champagne. Les apparences sont sauves, du moins il fait en sorte qu’elles le soient alors que nous sommes en froid depuis jeudi dernier, chacun campant sur ses positions. Et il marque son territoire, aussi, lorsqu’il me demande de le rejoindre à mon tour et m’embrasse à pleine bouche devant son nouvel employé. Il faut croire que son intérêt pour moi se fait plus fort lorsque celui d’un autre se manifeste. Et ce serait mentir que de dire que je n’apprécie pas le regard que Hugo a pu porter sur ma personne.
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