28. L’appel à un ami
Hugo
Alors que je m’installe devant la télé et que David prend place à mes côtés, épuisé par sa séance de répétition sur la nouvelle chorégraphie de groupe au Lotus Club, je me dis qu’on est vraiment comme deux petits vieux, un petit couple homo éreinté par sa journée et l’image me fait sourire. Mon téléphone vibre mais je n’ai pas le courage de le récupérer sur la table basse.
— Tu ne réponds pas ? me demande mon coloc, affalé littéralement sur le divan. Et qu’est-ce qui te fait sourire niaisement comme ça ?
— Si, si, je vais répondre, soupiré-je en me relevant de notre joli canapé blanc. Et si je souris, c’est parce que si quelqu’un nous voyait comme ça, il nous prendrait pour un vieux couple ou deux petits vieux épuisés par une trop longue marche au supermarché.
— Je suis désolé de te décevoir, mon petit Hugo, mais ton fantasme ne me branche absolument pas, raille-t-il.
Je lui fais un beau doigt d’honneur et récupère mon téléphone que je fais tomber quand je vois le début du message apparaître. Je me penche à nouveau pour le ramasser et lis le message en me demandant si c’est une blague ou même si c’est un piège tendu par son mari. Je me décide à lui répondre quand même.
[Bonsoir, si tu as besoin de moi, je suis là.
Toujours partant pour un verre.
Je te retrouve où ? Au café de la dernière fois ? ]
En essayant de reprendre ma place sur le canapé, je tape dans David qui s’était mis à lire au-dessus de mon épaule.
— Tu fais quoi, là ? Tu sais ce que c’est, la vie privée ?
— Je voulais voir d’où venait ton sourire niais, je comprends mieux ! Et puis, on vit ensemble, mec, la vie privée, c’est surfait quand on se voit tous les matins au réveil.
— Et alors, tu en penses quoi de son message ? Elle veut baiser ou elle veut juste parler ? J’arrive pas à la cerner et ça m’énerve… J’ai pas envie de me faire des idées et puis de retomber sur terre violemment, tu vois ?
— Tu lui as proposé que vous soyez amis ? Sérieusement, t’aimes te faire du mal, Hugo… Je sais pas, écoute… Y a qu’en y allant que tu le comprendras, j’imagine.
— Bien, je vais y aller, alors, dis-je en me levant pour aller me rhabiller dans autre chose que ce vieux short et ce tee-shirt pas très sexy. Elle est en couple, David, je n’allais quand même pas lui dire que j’avais envie d’elle, si ?
— J’en sais rien… Franchement, je peux pas te pousser à ça, tu t’embarquerais dans une histoire bien compliquée et, je te connais, je doute que ce serait pour une seule nuit… Maintenant, techniquement, c’est elle qui ferait quelque chose de mal, pas toi. C’est elle qui est mariée.
— Ouais, eh bien si on fait un truc, on va le faire à deux, sinon, ça ne voudra pas dire grand-chose, grommelé-je en regardant sa réponse qui vient d’arriver.
Ça me va. Je t’attends alors. Merci, Hugo,
et désolée de te prendre au dépourvu à cette heure.
J’ai besoin… mais envie de te voir, aussi]
Purée, là, elle ne me facilite pas les choses. Besoin et envie ? Envie de quoi ? “Besoin de rien, envie de toi”, chantonné-je dans ma tête en imaginant un petit show de striptease sur cette chanson… Je déraille complètement, il faut croire que recevoir des SMS de la femme qui me fait fantasmer me fait perdre la tête.
[Ça tombe bien, moi aussi j’en ai très envie.
A tout de suite]
J’enfile un jean, mets un tee-shirt noir et moulant, et file sur le port après avoir salué mon coloc toujours avachi sur le canapé et qui croise les doigts pour me souhaiter bonne chance. Je retrouve Oriane, assise sur un banc, juste devant la terrasse du café, et c’est vrai qu’elle n’a pas l’air bien. Je crois bien qu’elle a pleuré même si elle me sourit en me voyant approcher.
— Bonsoir, Jolie Femme. Besoin d’un chevalier servant ou d’une épaule sur laquelle s’appuyer ? Je ne peux accepter ton offre et suis obligé de te l’offrir moi, ce verre.
— On est au vingt-et-unième siècle, Hugo, les femmes peuvent très bien payer un verre aux hommes, me lance-t-elle en venant poser un baiser sur ma joue. Merci d’être venu, vraiment…
— OK pour que tu paies, mais alors, il va vraiment falloir que j’écoute encore plus attentivement si je ne suis même pas celui qui paie le réconfortant, ris-je en lui prenant le bras pour l’attirer vers une table un peu à l’écart des autres. Qu’est-ce qu’il t’arrive ? Ça a un rapport avec ton mari, non ?
— Tous mes soucis ont un rapport avec mon mari, soupire-t-elle. Ou avec moi qui suis incapable de m’affirmer, je ne sais plus… J’ai toujours tout fait pour que Louis et Robin soient bien, heureux et épanouis, et parfois je me dis que je me suis oubliée, et que Louis a de son côté omis ce que c’est de vouloir rendre heureux l’autre…
— Tu es si malheureuse que ça ? lui demandé-je alors que nous sommes interrompus par le serveur qui vient prendre la commande.
Elle commande une Tequila, comme la dernière fois, alors que je suis plus raisonnable avec mon eau pétillante. Oriane attend qu’il se soit éloigné pour me répondre.
— Est-ce que tu as déjà eu l’impression d’être transparent, Hugo ? Ou… peut-être pas transparent, mais… j’ai la sensation de faire partie des meubles, tu vois ? Que je lui suis acquise et qu’il n’a plus besoin de faire d’efforts. Ça fait dix ans que je le soutiens dans tous ses projets, et quand moi je demande un peu de soutien pour reprendre mon activité professionnelle, il me snobe comme si je faisais un caprice, comme si j’allais manquer un cours de Yoga que je pourrais rattraper la semaine suivante, tu vois ? Rien n’est plus important pour Louis que lui-même… Voilà ce que je ressens en ce moment, grimace-t-elle en essuyant une larme qui s’est échappée.
J’ai envie de la prendre dans mes bras et me décide à le faire une fois qu’elle a bu, presque d’un trait, l’intégralité de sa boisson.
— Tu n’es pas transparente du tout, Oriane. Même si ton mari ne le montre pas forcément, je suis sûr qu’il est fier que tu arrives à concilier ton travail où tu as un vrai talent avec l’éducation et l’accompagnement de votre fils qui réussit à suivre presque normalement sa scolarité malgré son handicap. Franchement, moi, je ne sais pas comment tu fais, mais je t’admire vraiment pour tout ce que tu fais. Peut-être que tu devrais dire clairement à ton mari qu’il va te perdre s’il ne change pas et ne prend pas en compte tes besoins ?
Ah, ils sont beaux mes conseils. Moi, j’aimerais juste qu’elle l’envoie balader, son Louis, et qu’elle me laisse la consoler, mais voilà que je prends le rôle du parfait ami et que j’essaie de les rabibocher. N’importe quoi…
— Je crois que c’est ce que j’ai fait ce soir avant de fuir la maison… mais c’est compliqué, tout ça, je… je crois que ce qui me peine vraiment, ce n’est pas tant que notre mariage batte de l’aile, mais plutôt que Robin en pâtisse… Tu parles d’une épouse.
— Avant d’être une épouse, tu es aussi une femme. Une femme qui a besoin d’être soutenue, ce qui n’a pas l’air d’être le cas, en ce moment. Je crois que tu as fait ce qu’il fallait, de ton côté, mais maintenant, la balle est dans le camp de ton mari. S’il ne la saisit pas, il va se retrouver hors jeu et ce sera tant pis pour lui. Je ne sais pas quoi te dire de plus, à part que je suis là pour te soutenir. Dis-moi s’il y a quelque chose que je peux faire.
— Je ne vais pas t’ennuyer toute la soirée avec mes histoires…
— Tu ne m’ennuies pas du tout, voyons ! Et si être avec moi t’aide, on peut rester là autant que tu le souhaites ! Ce n’est vraiment pas un souci et c’est loin d’être désagréable, même si je crois que tout le monde va penser que tu pleures à cause de moi, là.
Elle est en effet toujours blottie dans mes bras et je caresse doucement ses beaux cheveux alors qu’elle essaie de se calmer un peu.
— Je suis désolée, rit-elle doucement en essuyant ses joues. Je… Est-ce que tu crois que je pourrais squatter ton canapé, ce soir ? Je n’ai aucune envie de rentrer chez moi et je n’ai personne chez qui me réfugier pour la nuit.
Je lui proposerais bien mon lit, mais là, je ne crois pas que ce soit le mood dans lequel elle soit. Elle a vraiment l’air désespérée et je pense qu’il ne faut pas que j’interprète sa demande au-delà de ce qu’elle exprime. A priori, elle a vraiment juste besoin d’un endroit où dormir au chaud, loin de son mari.
— J’espère que David a réussi à s’en décoller pour aller se coucher, parce que, quand je l’ai quitté, on aurait dit Jabba le Hutt. Tu sais, la créature visqueuse de Star Wars sur son trône. Mais ça peut se faire, oui. Je peux même te fournir une brosse à dents si tu le souhaites, c’est compris dans l’aide apportée !
— Tu es sûr que ça ne te dérange pas ? J’abuse clairement, murmure-t-elle, visiblement mal à l’aise de sa demande.
— Tu vas prévenir ton mari qu’il ne déclenche pas le plan ORSEC ou je ne sais quoi ? Moi, ça ne me dérange pas du tout et ça me fait plaisir si c’est ce dont tu as besoin.
— Je vais lui dire que je dors chez Rachel. Il peut bien faire ce qu’il veut, honnêtement, ça ne me fait ni chaud, ni froid…
— Bien, je te laisse l’appeler alors et on peut rentrer à la maison.
J’envoie un SMS à David pour le prévenir de notre arrivée alors qu’elle s’éloigne pour passer son coup de fil qui doit durer en tout et pour tout trente-cinq secondes à peine. Quand elle me rejoint, je me permets de passer mon bras sur ses épaules et de faire le chemin jusqu’à mon domicile collé à elle. En rentrant, je constate que David est toujours devant la télé et je réfléchis rapidement à la situation, vis-à-vis de mon coloc.
— Oriane, le mieux, ce serait que tu prennes ma chambre. Tu y seras plus tranquille et ça gênera moins David. Ne t’inquiète pas, ajouté-je rapidement en devinant le questionnement qu’elle allait énoncer, je ne vais pas t’embêter. Tu as besoin de calme, ce soir, c’est moi qui prendrai le canapé. Ça te va comme ça ?
— Hugo, je… je ne veux pas m’imposer, ça me gêne de te piquer ton lit, me rétorque-t-elle alors que je l’entraîne déjà à l’étage.
— Si tu ne dis pas oui tout de suite, je vais devoir me fâcher. Tu m’as demandé mon aide, il te faut la prendre ! Déjà que je n’ai pas pu payer ta Tequila !
— Merci, souffle-t-elle finalement en se blottissant contre moi.
Je n’ose plus bouger de peur de briser cet instant un peu magique où je la serre contre moi, comme si nous étions seuls au monde. Mais un bruit dans le salon nous ramène à la réalité de la présence de David avec nous.
— Je vais te laisser te reposer, alors. Si tu as besoin de quelque chose, je suis là, à côté. Ça va aller ?
— Oui, oui, je crois. Merci, et désolée de te mettre dans cette situation par rapport à Louis…
— Honnêtement, je m’en fous de Louis. Je ne vais pas remettre de l’huile sur le feu, mais s’il n’est pas capable de bien s’occuper de toi, il n’a qu’à aller brûler en enfer. Tu mérites qu’on prenne soin de toi, c’est tout. C’est toi qui comptes pour moi, pas lui. Bonne nuit, Oriane. Et je le répète, n’hésite pas si tu as besoin de quoi que ce soit, je suis là.
— Celle qui partagera ta vie aura bien de la chance, sourit-elle avant de déposer un baiser appuyé sur ma joue. Bonne nuit, Hugo…
Elle referme la porte derrière elle alors que je reste devant, un peu perdu quant à la conduite à tenir. Mon corps me crie d’aller la rejoindre et mon petit doigt me dit qu’elle ne me repousserait pas si je le faisais. Mais ce n’est pas le bon moment pour agir de la sorte. Si je fais ça, je ne vaux pas beaucoup mieux que son mari et j’aurais vraiment l’impression de profiter de sa faiblesse. Je soupire et retourne près de David qui a la délicatesse de ne me poser aucune question. Je le vire du canapé et prends une couverture dans sa chambre avant de m’allonger à mon tour. Quelle étrange soirée et quelle étrange femme. En l’acceptant dans ma chambre, dans quoi me suis-je engagé ?
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