42. Mister Bons Conseils
Hugo
Je raccroche après avoir passé mon dernier coup de téléphone de la semaine. Enfin, j’espère. C’est fou comme essayer de trouver du temps avec des futurs propriétaires qui travaillent est compliqué. Même quand on leur propose des rendez-vous en soirée, ils rechignent. Et ce samedi, j’ai d’autres engagements, je ne peux pas le consacrer au boulot. Tant pis, ça attendra la semaine prochaine. De toute façon, vu ce que je suis payé, je peux me contenter des nombreuses heures que je fais déjà.
Quand je fais le tour des bureaux pour vérifier que toutes les lumières sont éteintes et toutes les fenêtres sont fermées, je ne suis pas surpris de voir que Louis est toujours à son poste, une calculatrice à la main. Sa femme va encore être ravie de le voir rentrer si tard.
— Bonsoir Louis, j’ai fini ma semaine, je vais rentrer chez moi, le salué-je en entrouvrant sa porte.
— Tu ne bosses pas demain ? soupire-t-il en s’adossant dans son fauteuil. Tu n’es pas souvent là le samedi…
— Non, je ne bosse pas. Je te rappelle que c’est ce que j’ai négocié en venant travailler ici, j’ai besoin de mes weekends pour ma vie perso. Je ne transige pas sur ce point et je crois que je parviens parfaitement à faire mon travail comme ça.
— Est-ce que tu pourrais faire une exception demain ? Quelques heures, l’après-midi ? Je te refile un couple avec trois enfants qui cherchent une grande maison, de quoi te faire une belle commission, j’ai même déjà fait les recherches…
— Ah non, surtout pas demain, j’ai pris d’autres engagements. Si c’est planifié, je peux voir pour m’organiser, mais pas la veille pour le lendemain. Et toi aussi, tu devrais bosser un peu moins. Tu as ta belle petite famille à qui tu dois manquer.
— Justement, j’ai besoin de mon samedi. Même pas pour profiter, grimace-t-il, ma femme s’est barrée avec ses copines pour le weekend. Tu m’enlèverais une sacrée épine du pied si tu me dépannais demain après-midi, Oriane va me dépecer, j’avais totalement oublié qu’elle abandonnait la maison et son fils.
— Je t’ai dit que je ne pouvais pas, n’insiste pas. Elle ne t’avait pas prévenu qu’elle partait ? Tu n’as pas pu t’arranger autrement ? Sinon, tu annules tes rendez-vous et tu reportes à la semaine prochaine. Je peux finir plus tard lundi, si tu veux et te renforce à ce moment-là.
— Bien sûr que si, elle m’a prévenu, mais elle cause tellement pour me reprocher mille trucs en ce moment que je ne l’écoute que d’une oreille, bougonne-t-il. C’est demain que j’ai besoin de toi, pas lundi. Ces clients sont super importants, et si j’embarque Robin pour les visites, je suis un homme mort.
— Je crois qu’il n’y a rien de plus important que sa famille, Louis. Désolé si je te déçois là-dessus, mais je pense que des clients, on peut toujours en trouver de nouveaux s’ils ne sont pas contents et se barrent. Pour la famille, on n’en a qu’une, et quand on la délaisse, c’est normal de se prendre des reproches.
J’essaie de ne pas prendre un ton trop réprobateur, mais j’avoue que j’ai un peu de mal en pensant à Oriane toute seule pour gérer leur fils et à la bouille de Robin quand il s’est réfugié ici parce que ses parents se disputaient.
— Je les délaisse pour que Robin ait un avenir, pour qu’ils ne manquent de rien, qu’est-ce que tu crois ? File-moi un coup de main au lieu de me faire la morale, non ? Tu es le seul ici qui sait… comment c’est la merde, chez moi. Parce que soyons honnêtes, c’est vraiment la merde.
— Je crois que tu te fais trop de soucis pour l’avenir et pas assez pour le présent. C’est maintenant qu’ils ont besoin de toi, pas dans dix ans. Et demain, je suis occupé. Je ne suis pas chez moi du weekend et je ne peux pas me dédire. J’ai une autre vie en dehors du boulot, Louis. Relativise aussi, ça irait mieux pour toi. Là, tu vas droit dans le mur. Et avec une jolie femme comme Oriane et un garçon tout mignon comme Robin, franchement, c’est vraiment du gâchis.
— Les apparences sont parfois trompeuses, tu sais ? Tu ne peux pas comprendre… C’est pour cette sécurité financière qu’elle a accepté qu’on se marie, tu vois ? Pour que Robin vive dans un environnement sécurisant, tout le contraire de ce qu’Oriane a vécu. Alors c’est ce que je leur offre, j’y peux rien si maintenant ça ne lui convient plus, moi.
Tu parles d’un mariage d’amour si c’est vraiment le cas. Cela m’étonne qu’une femme comme Oriane, passionnée et romantique comme elle semble l’être, ne se soit mariée que pour l’argent. Même si elle a eu une enfance difficile, je ne la vois pas faire cet engagement juste pour avoir du fric.
— Mais la sécurité financière, tu l’as ! rétorqué-je, agacé. L’agence est florissante ! Là, tu en veux juste trop, je pense… Je suis vraiment désolé, Louis, mais ce weekend, si tu viens travailler, c’est ton choix. Essaie d’appeler les autres collègues, au pire, mais moi, c’est niet. Je te laisse, il est déjà tard.
— Laisse tomber, je vais me débrouiller. Merci du soutien, en tout cas, grommelle-t-il sèchement. Bon weekend, on se voit lundi matin.
Je ne réponds pas et referme la porte de son bureau en me disant que professionnellement, je n’ai pas marqué de point, ce soir. Mais bon, ce weekend, je vais me faire plaisir et rien ne peut me retirer mes distractions personnelles. Pas même des menaces à peine voilées de mon patron. D’un côté, je suis triste pour lui qu’il mette son couple en danger comme ça, qu’il rende Oriane malheureuse et en colère, qu’il délaisse son fils, mais de l’autre, plus égoïstement, je me dis que sans ça, jamais elle ne se serait autant rapprochée de moi. Compliqué, tout ça. Et difficile de savoir ce que je peux souhaiter à la superbe femme qui peuple mes pensées et qui s’offre un petit weekend avec ses copines.
Quand j’arrive à la maison, toutes ces pensées s’envolent immédiatement loin de mon esprit en voyant dans quel état est David. Il est toujours comme ça, tendu et stressé à la veille d’un nouveau spectacle, mais là, ça a l’air encore pire que d’habitude. Et quand il est dans cet état d’anxiété, une seule chose l’apaise, parler avec son colocataire de ses gestes, de ses effets pour voir ce que j’en pense. Comme si l’artiste qu’il est avait des choses à apprendre de moi !
— Ouh là, on dirait que j’aurais mieux fait de rester au boulot avec mon patron qui trouve que je ne fais pas assez d’heures, moi ! Tu vas passer la soirée à me mitrailler de questions ? me moqué-je en allant me préparer une salade en cuisine.
— Mec, je crois que je ne suis pas prêt pour demain, je t’assure ! Tout ça va trop vite. Natalia a trop confiance en nous, cette fois, on manque de répétitions.
— Est-ce qu’elle a déjà eu tort, ne serait-ce qu’une seule fois, de faire confiance ? Franchement, si même elle dit que ça va, ce n’est pas parce qu’il n’y a eu qu’une dizaine de répétitions que ça va mal se passer ! Et puis, une grande partie, c’est de l’impro en fonction des meufs qui sont là, non ?
— Pas pour le show de groupe ! Ça me stresse à mort, ça. Et si les nanas trouvaient ça ridicule ? Franchement…. je me demande pourquoi j’ai accepté. J’étais bien, en solo, sur scène.
— Parce que plus on est de fous, plus on rit ! Et tu imagines l’effet sur les nanas, justement ? Quatre beaux mecs, ça fait quatre fois plus de frissons ! Et ça permet d’avoir de l’action à tous les coins de la pièce, elles vont perdre totalement la tête. C’est parce que tu n’es plus au centre de l’attention que ça te gêne ?
— Hum… Peut-être un peu, j’avoue, rit-il. Je préfère avoir tous les regards braqués sur moi, j’ai peur que mon ego ne supporte pas de les voir en mater un autre.
— On parie que demain soir, tu ne rentres pas à la maison et que tu finis dans le lit d’une de tes admiratrices ? Tu as vu le corps de rêve que tu as ? Et… ce ne sont pas les jumeaux qui vont te faire de l’ombre, alors tout ira bien, mon chou ! Tu n’as vraiment pas de quoi t’inquiéter.
— Le corps de rêve que j’ai ? Bon dieu, arrête de me mater, tu me fais flipper, Hugo ! ricane David. Ouais, bon, on verra bien pour demain, mais ça me stresse quand même.
— Je te fais un petit thé ? Une infusion ? Tu sais comme ça a bien fonctionné la dernière fois pour calmer tes angoisses. Et ça ne t’avait pas empêché d’être performant avec la petite que tu avais ramenée ici, il me semble. Et, si ça peut te rassurer, c’était plutôt elle que j’avais matée, pas toi !
Je termine de manger et me lève pour faire ma vaisselle alors que mon colocataire ne me lâche pas d’une semelle, ce qui me fait sourire car ça témoigne vraiment de son stress qu’il n’est pas en train d’imaginer.
— Tu veux pas plutôt qu’on sorte boire un verre en terrasse ? Si je passe la nuit avec une jolie nana, je penserai moins à demain.
— Ah non ! Tu sais bien qu’avant un spectacle, il faut garder ses forces ! Et sa testostérone ! Il faut tout lâcher le soir même, pas avant ! Bon, tu la veux, cette infusion ? Une soirée en amoureux avec ton colocataire avec une bonne verveine, ça ne devrait pas te faire puiser dans tes capacités de séduction, au moins.
— Tu me désespères, râle-t-il en se laissant tomber dans le canapé. Va pour l’infusion, papy ! Et au moins quelques parties de Fifa, j’espère !
— Fifa ? Mais j’avais prévu de faire un bridge ou un loto… soupiré-je avant de rigoler. Installe la console, j’arrive. Et tu vas voir, ce soir, même si tu prends le Real, je vais te mettre la pâtée.
— C’est ça, c’est beau d’y croire, mon Lapin ! Tu vas te prendre une dérouillée et tu vas encore pleurer. Grouille-toi avec la verveine, j’ai soif !
Je mets en route notre petite bouilloire et récupère la boîte où j’ai stocké des sachets de différentes infusions que je ramène à David. Il s’est assis sur le canapé, tout excité à l’idée de m’affronter. Je pense que cette compétition a au moins le mérite de le détourner de ses angoisses et que c’est déjà une bonne chose. Demain, il va assurer, j’en suis convaincu et les femmes qui vont assister au spectacle, je sais qu’elles vont adorer. Il ne peut en être autrement, les muscles, ça les fait toutes mouiller.
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