72. Les illusions à la poubelle
Hugo
— Salut Beau Gosse. Bien dormi ? Moi, j’ai rêvé de toi. Tu viens quand tu veux pour réaliser mes fantasmes. A très vite.
Je regarde le petit message que m’a envoyé Rébecca ce matin et je me dis qu’il faudrait que je calme un peu les choses. Cela fait déjà trois fois qu’on sort ensemble en soirée, chez son frère, et hier, je ne sais pas si elle était en manque ou si elle avait abusé sur le mojito, mais toujours est-il qu’elle m’a embrassé au moment où je l’ai raccompagnée chez elle. Et moi, comme un con, je ne l’ai pas repoussée alors que je n’ai envie de rien avec elle. C’était pour essayer. Pour voir si cela allait me donner envie d’aller plus loin avec elle. Mais non, rien. Rien de rien. Et quand elle m’a invité à la rejoindre chez elle, j’ai poliment refusé, mais cela n’a pas l’air de l’avoir refroidie plus que ça. Je relis son message et me demande ce que je vais bien pouvoir lui répondre.
— Bonjour Rébecca. Je ne suis pas prêt à une nouvelle relation. Je m’excuse si hier soir, je t’ai laissée croire autre chose. Bonne journée.
C’est un peu sec, un peu cassant, mais je ne me vois pas lui dire autre chose. Je ne suis toujours pas guéri et il ne vaut mieux pas que j’entraîne d’autres personnes dans ma déprime. Ou dépression comme l’appelle si gentiment mon colocataire qui n’arrête pas de me dire de rebondir. Comme si c’était si facile que ça.
J’essaie de me reconcentrer un peu sur le dossier que je suis en train d’étudier mais décidément, ce n’est pas le bon moment pour y arriver. Fabienne débarque dans mon bureau.
— Le patron veut te voir, mon petit. Et pour une fois, il a le sourire. Tu as fait une grosse vente hier ou quoi ?
— Euh non, rien d’exceptionnel. Et pourquoi il ne m’appelle pas plutôt que de t’envoyer ?
— Aucune idée, tu n’auras qu’à lui poser la question ! Il avait apparemment envie de partager sa bonne humeur avec moi.
— Et je suppose que c’est maintenant et pas après qu’il veut me voir ?
— Tu connais le patron ! Même si je pense que tu pourrais t’arrêter à la machine à café et au petit coin sans risquer la soufflante de la semaine, aujourd’hui. Mais n’en joue pas de trop, laisse-nous profiter de sa joie de vivre, OK ?
— Oui, j’y vais de ce pas et si j’y arrive, je demande une augmentation pour tout le monde, d’accord ?
Je fais mine d’être enjoué mais je ne le suis pas du tout. Depuis qu’il s’est séparé d’Oriane, Louis n’a que très peu été de bonne humeur. Et la dernière fois notable, c’était quand elle l’a laissé revenir à la maison. S’il est comme ça, j’imagine que les choses ont progressé à la maison. Il faut dire, avec le temps qui passe, c’est juste normal, non ? J’essaie de mettre toutes ces idées de côté en me disant que je me trompe sûrement et qu’il va peut-être simplement me parler d’un nouveau marché. Je l’espère, en tout cas.
— Bonjour Louis, Fabienne m’a dit que tu voulais me voir ?
C’est encore pire que ce que je croyais et que ce que Fabienne m’a décrit. Non seulement, il arbore un grand sourire, mais je le trouve en train de chantonner à son bureau.
— Salut, Hugo. Installe-toi, je t’en prie. Comment tu vas ?
— Ça peut aller, on va dire. Mais je crois que je suis moins en forme que toi, grommelé-je en m’asseyant en face de lui.
On dirait qu’il n’y a qu’un réservoir de gaieté et de bonheur entre nous deux et que quand l’un en tire pour sa réserve personnelle, il n’en reste plus pour l’autre.
— Je vois ça, oui. Un souci ? Bon, j’avoue que j’ai été pas mal pris par mes problèmes persos, ces derniers temps, et j’ai un peu oublié l’importance du bien-être de mes salariés. Mais… je suis là, si tu as besoin. Je crois que tu en as suffisamment vu de ma vie privée pour que je puisse te rendre la pareille en cas de besoin.
Louis qui s'inquiète du bien-être de ses salariés ? Non, mais je rêve, là. Et c'est quoi, cette formulation ? Il n'a plus de problèmes personnels ?
— Non, ça va aller, on a tous des hauts et des bas, tu sais ?
— Oui, oui… Mais tu as su être là quand j’étais mal, donc… Bref, n’hésite pas si besoin. Des clients t’ont recommandé pour leur petite fille, voilà le dossier, sourit-il en le faisant glisser sur son bureau.
— Ça va mieux alors, chez toi ?
Je ne résiste pas à l'envie de lui demander et d'essayer d'en savoir plus. Son air satisfait me fait craindre le pire et je crois bien que mon boss a tiré son coup. C'est normal, Oriane a résisté un moment, mais elle ne peut pas passer le reste de sa vie à penser à moi et à éviter son mari. Cela me fait mal, mais c'est moi le con dans l'histoire. Même libre comme je le suis désormais, je refuse les avances que certaines jolies femmes me font.
— Oui, beaucoup mieux ! Bon, on n’en est pas encore à se sauter dessus dans tous les coins de la maison, soupire-t-il, mais Oriane lâche du lest, elle est enfin de retour dans le lit conjugal et je peux te dire que c’était sans doute l’étape la plus difficile. Parce qu'une femme comme ça dans son lit, c'est quelque chose ! Maintenant, ça va rouler comme sur des roulettes et j'ai hâte de la retrouver ce soir pour la faire à nouveau grimper aux rideaux !
“Tu n'as pas besoin de me le dire, je le sais, je l'ai vécu, Ducon” ai-je envie de lui répondre.
Elle est d'une telle sensualité, lui faire l'amour procure un tel plaisir, tout son être dégage un tel érotisme que ça me rend malade de savoir qu'elle s'est donnée à lui comme elle le faisait avec moi. Jamais je n'avais expérimenté une partenaire qui s'offrait aussi complètement. Jamais avant elle, je n'avais connu un tel partage orgasmique. Et maintenant, c'est lui et ses sales mains qui en profitent.
— Tant mieux pour toi, Louis. Je… je ne me sens pas en grande forme, moi, aujourd'hui, je couve peut-être quelque chose. Tu m'autoriserais à continuer chez moi, en télétravail ? Ou je pose ma journée…
Tout plutôt que de continuer à voir sa sale tête de con comblé. C'est une putain de jalousie que je couve, oui !
— Va pour une petite journée de télétravail. Et si c’est trop compliqué, laisse tomber le boulot, je fermerai les yeux, sourit-il en me faisant un clin d’œil.
Comme il a dû les fermer quand elle l'a sucé, à mon avis. J'ai une rage folle en moi, mais je la contiens. Je récupère le dossier et me dépêche de partir de son bureau avant de faire une bêtise que je regretterai plus tard. Je prends mes affaires et en quelques minutes, je me retrouve dans ma voiture. La rage est passée mais a laissé place à la tristesse. C'est vraiment fini, notre histoire. Louis vient d'anéantir les derniers espoirs qui subsistaient encore en moi.
Lorsque j'arrive enfin à la maison, je veux aller m'enfermer directement dans ma chambre mais je tombe sur David qui apparemment, rentre seulement de sa nuit.
— Qu’est-ce que tu fiches ici, coloc ? Bon sang, heureusement que je n’étais pas en pleine levrette avec Andrea sur le canapé, elle a failli venir à la maison. Un problème ?
— Tout va bien, pourquoi tu demandes ? répliqué-je sèchement.
— Heu… parce qu’il est à peine dix heures et que tu es à la maison un jour de boulot ? Parce que tu tires la tronche en ayant les yeux revolver ? Qu’est-ce qui se passe, Hugo ? Ton boss a encore été un con ?
— Ouais, il est toujours con, mais lui, comme toi d'ailleurs, il baise et pas moi, si tu vois ce que je veux dire. Je l'ai là, au travers de la gorge, son petit sourire satisfait du matin. Il a la même tête que toi, tu vois ? Enfin, le suçon en moins.
— Je ne veux pas jouer les rabats-joie, quoique j’aime ça, d’ordinaire, mais il me semble que tu as l’occasion de baiser, toi aussi, mon pote. Tu ferais mieux d’arrêter de déprimer et de te bouger le cul pour tourner la page.
— Oui, surtout que j'ai rembarré Rébecca hier soir et j'ai remis une couche ce matin… Mais j'ai toujours Oriane dans la peau. Je crois qu'aucune femme ne sera jamais à sa hauteur. Mais bon, vu qu'elle a envoyé son mari au septième ciel et qu'il va encore la faire monter aux rideaux ce soir, je m'en vais déprimer, le temps que mon cœur oublie cette nana et que ma queue arrête de bander à chaque fois que je pense à elle. Désolé, mon Pote, j'ai rien contre toi… C’est juste que là, c'est mort, et j'ai juste été trop con pour le réaliser plus tôt. Je vais devenir moine, ça vaut mieux pour moi.
— C’est normal, tu te prends une claque, mais bon… il va bien bien falloir que tu t’y fasses, et peut-être que parler avec ton boss de sa vie sexuelle n’est pas l’idée du siècle. Crois-moi, des chattes magiques, tu en rencontreras d’autres, va. Seulement, pour ça, il ne faut pas faire deux nouvelles années de diète, Hugo.
— Tu comprends pas, David. C'était pas une chatte magique, c'était LA chatte magique. Sans elle, je suis mort à l'intérieur. Encore plus qu'après Valérie…
— Non, c’est ce que tu penses maintenant parce que pour la première fois depuis Valérie, tu as ouvert ton lit à une autre femme. Tu as baissé la garde, et ça faisait tellement longtemps que tu n’avais pas tenu une femme dans tes bras que tu t’es abandonné trop vite et trop fort, Mec. C’est juste un crush, ça va passer, mais ne te renferme pas comme la dernière fois, sinon tu ne feras que prendre des gamelles.
— Je vais y penser David. Je te laisse aller te reposer, tu vas avoir besoin d'énergie pour le round de ce soir, toi.
— Nope, on va se faire une partie de console, tiens. Ça ne te fera pas de mal. Et ne dis pas non, c’est ça ou on fait du ménage. Ma mère dit toujours que ça permet de se remonter le moral, de balayer et nettoyer. Oh, on pourrait se faire une chorégraphie sur cette chanson, ricane-t-il, je suis sûr que les mecs avec un aspirateur à la main, ça fait mouiller les femmes !
— Tu sais que tu es con ? lui lancé-je en esquissant un sourire.
Je rentre dans ma chambre et m’effondre sur le lit. Vu ce que je ressens pour Oriane, je n'arrive pas à croire qu'il ait raison. Je suis toujours amoureux d'elle et là, je souffre. Mais peut-être que je devrais suivre ses conseils ? La prochaine qui me chauffe, je me laisse faire et j'essaie de soigner le mal par le mal ? Pas sûr que ce soit la meilleure idée du siècle mais c'est vrai que rester à nouveau deux ans à la diète, ce n'est pas terrible non plus.
En me redressant, je vois la méthode de langue des signes que j'ai laissée traîner. J'hésite un instant et me décide à la mettre à la poubelle. Fini pour fini, il faut bien commencer quelque part.
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