Débarquement
Bénédicte s'était offert cinq jours comme zombie. Dans ce rôle-là aussi, il y avait un scénario, bien que beaucoup plus ouvert que celui proposé pour les survivants. Et les activités diurnes, au final, étaient légèrement répétitives. Aussi accepta-t-elle de suivre une aberration connaissant un guérisseur licornien, qui la débarrassa de toute trace de maquillage en deux minutes. Ceci fait, elle put réintégrer un rassemblement de survivants.
Elle retourna donc auprès de son groupe, il y eut de nouveaux votes pour savoir si elle pouvait retrouver son rôle de seconde, et perdit. Tant pis ! Au moins avait-elle échappé à des activités qui ne l'intéressaient guère. Fabrication de piles à l'ancienne, de générateurs et de relais de transmission téléphonique. Elle fut tout de même impressionnée de voir que tout ceci était fonctionnel.
La suite du scénario consistait à trouver d'autres survivants, et faire le distinguo entre vrais humains et aberrations. Là-dessus, même les guides ne savaient pas vraiment. Ou faisaient semblant...
Pendant que Bénédicte passait les meilleures vacances de sa vie, du moins de jour, sa panthère déprimait. La jeune femme, alors qu'elle avait presque terminé le scénario, et que son séjour approchait du terme, en fut pleinement consciente le soir où elle vit que le clone avait déchiré les rideaux, ses vêtements, et renversé la boîte de seringues à sédatifs.
Elle cajola sa bête. Au final, emmener Îg'na n'avait pas été une si bonne idée. Elle appela le laboratoire qui avait créé la panthère, pour leur demander conseil. Eux n'avaient rien à dire. La panthère avait été paramétrée pour avoir besoin de beaucoup d'affection, et, au vu de toute l'énergie qu'elle avait dépensée, devait être en train de devenir folle. Au cas où son cœur lâchait, et avec l'accord immédiat de Bénédicte, ils commençaient déjà à en faire un second clone en tous points similaire. La jeune femme allait s'endetter sur dix ans, mais au moins aurait-elle son animal favori toujours avec elle. Elle put donc s'endormir sereinement. Quoi qu'il puisse arriver, elle resterait accompagnée de sa grosse peluche adorée.
Le lendemain matin, régnait une ambiance étrange. Elle vint interroger un des membres de l'accueil sur cette tension qui régnait.
-Les bateaux ont fini de faire le tour de l'île, annonça-t-il nerveusement. Et maintenant, il y a du monde sur les trois ponts.
-Ah oui ? Alors !
Elle était rapidement passée de l'étonnement à l'excitation.
-Alors on vous a envoyé un mail, lâcha l'employé.
Elle alluma aussitôt son téléphone, et put observer sur l'écran. À la tête du premier navire, se tenait une grande chose rouge vif. On eût dit une marionnette de cinéma. Ça ne respirait pas, ne bougeait pas. Tout le reste, derrière... C'étaient des hordes de zombies ! Elle le savait ! C'était du marketing ! En plus, ils montraient la prochaine race qu'ils allaient utiliser dans leurs scénario, très sûrement un dragon ! Oh, elle était si excitée !
Elle détailla ensuite le reste des zombies. Tous étaient à la hauteur de ce que présentait déjà le parc, à ceci près qu'ils portaient des vêtements d'un très lointain passé. Un grand « bip » résonna dans tout l'accueil, et les écrans montrèrent la même chose. La maquette de cinéma s'animait. Elle se tourna vers un zombie frais –certainement- qui lui tendit une sorte d'ensemble de ceintures. Le dragon rouge, qui d'ailleurs se tenait sur ses deux pattes arrières, prit l'ensemble de lanières de cuir avec ses pattes antérieures, et mit la ceinture. L'autre lui passa alors une très grosse masse à ailettes. L'arme, à l'échelle du dragon qui faisait quand même deux fois la taille des autres, fut attachée à la ceinture. Puis la marionnette reprit la pose, accoudée pensivement au bastingage.
Comme bien d'autres clients, Bénédicte s'empressa de prendre un petit-déjeuner, avant d'aller voir ça de plus près. Beaucoup se massaient déjà sur la plage où ne pouvaient que débarquer ces nouveaux zombies... Et le dragon armé !
Peu désireuse d'être harcelée de mails et de SMS, Bénédicte éteignit son téléphone, prit de la nourriture lyophilisée dans un verre d'eau, sans ajouter de goût, se passa le goût âcre des poudres nutritives avec un morceau de pain, fila donner son eau à Îg'na, et courut franchement pour accéder à la plage.
La panthère but à peine, horrifiée en voyant sa maîtresse l'abandonner encore. Elle avait bien compris que quand sa nourricière partait, elle ne revenait pas avant longtemps. Cette fois la porte était mal fermée. Le félin se sauva par là, et poursuivit à toutes pattes celle qui la faisait vivre. Elle aurait bien voulut rugir, mais ses cordes vocales volontairement atrophiées, pour ne pas risquer de déranger les voisins, ne lui permettaient au mieux que de miauler faiblement. Le cœur au bord de l'éclatement, la panthère traversa toute une foule étrangère, bruyante, se fit piétiner, mais sentait qu'elle approchait de sa maîtresse-mère. Sa pourvoyeuse d'affection.
Bénédicte entendit, dans le brouhaha, un petit son misérable et plaintif qu'elle n'aurait pas dû entendre. Elle se retourna. Son bébé boitait résolument vers elle. Îg'na semblait ne pas vouloir rester en reste pour ce jour si spécial. Le débarquement d'un dragon et de nouveaux zombies. Toute heureuse de voir que même sa peluche allait être de la partie, elle ralluma son téléphone et fit appel à un robot-brancardier, pour pouvoir amener son animal sur la plage en la portant comme un grand et magnifique châle velu. Le drone formait un exosquelette pour le lui permettre, sans se briser le dos. Ainsi chargée, elle reprit sa course.
Quand la foule arriva sur la plage Sud, tous firent leur possible pour voir arriver le dragon, au centre de l'attention. Des dizaines de barques amenaient la marionnette et les zombies. Les employés du parc avaient imposé une sorte de distance de sécurité. Bénédicte se demanda bien pourquoi. Peut-être pour faire encore plus vrai. Elle ne prêta pas la moindre attention à l'air incertain qu'ils arboraient.
Le dragon fut le premier à poser pieds sur le sable. Il descendit de sa barque, ce qui la déséquilibra et manqua de faire tomber les quatre rameurs. Cela en fit rire plus d'un. Bénédicte ne savait pas quels génies avaient mis cette machinerie en place, mais c'était tout simplement une œuvre d'art. À part qu'ils n'avaient pas fait une imitation, au moins sonore, de respiration. À moins que ce reptile humanoïde ne soit aussi zombifié.
Le dragon robotisé faisait plus de trois mètres de haut, et se dandinait de façon réaliste. Il balança sa tête en tout sens, comme circonspect. Il avait de beaux yeux dorés et secs. Graduellement, il montra les crocs, et des gencives noirâtres. Partiellement décomposées. Bénédicte vit que ceux aux premiers rangs se bouchaient le nez. Un zombie puant ? Il avait dû coûter une fortune.
Les employés, étrangement, étaient nerveux. Elle remarqua des désertions de postes. Que se passait-il ? Des armes furent pointées sur le robot. Ce dernier arrivait à hauteur du premier rang, entièrement constitué de clients. Ses écailles ternes reflétaient tout de même la multitude de flashs. Il émit un long, très long grondement circonspect. D'autres zombies s'étaient approchés. Bénédicte sentit d'ailleurs à son tour une très forte odeur de charogne. Peut-être que trop de réalisme, au final, n'était pas une si bonne idée.
La foule voulait approcher des zombies. Et surtout de la marionette. Bénédicte, après avoir admiré la façon dont les muscles roulaient sous les écailles du dragon quand il s'était déplacé, se rinça franchement l'œil avec les dix autres personnes qui se rejoignaient derrière lui. Ils n'étaient pas aussi maquillés que les autres « zombies ». Mais il y avait trois armoires à glaces avec des écailles plus vraies que nature, du peu qu'elle voyait sous leurs armures. Il y avait aussi un couple, eux aussi en armure. Une lueur suspecte brillait sous le casque de la femme. Une étoile de licornienne ? Sûrement... Il y avait aussi un homme à la peau étonnamment sombre, pour ne pas dire carrément noire. Et son casque était bizarre. Comme s'il protégeait deux oreilles longues et pointues d'elfe. Les trois derniers aussi devaient être des acteurs superbement déguisés en elfes. Et tous en armure. Deux d'entre eux avaient d'ailleurs une armure aussi bizarre que magnifique. Ils avaient une protection fine et légère. Surtout... ces cuirasses étaient blanches, avec beaucoup de reflets irisés mouvants. C'était beau.
Les trois armoires à glace avaient bizarrement un peu la même démarche que le dragon. Derrière ces dix-là, les zombies s'aggloméraient, les pieds dans l'eau pour les derniers. Bénédicte sentit son cœur s'emballer encore plus voyant un peu mieux ces nouveaux zombies. Ils ressemblaient véritablement à des sacs d'os à moitié décomposés et grouillants d'asticots, bouffés par des vers et des moisissures. Alors là, ça c'était du très grand art. Sans compter les craquements d'os qui résonnaient parfois ! En revanche, l'odeur devenait insupportable.
Une première personne toucha le dragon. Qui fut parcouru d'un frisson. Beaucoup d'autres chanceux touchèrent à leur tour. Le robot baissa les yeux vers le mains tendues, imitant parfaitement le dégoût.
Annotations
Versions