Partie Sept
Le temps passa dans l’obscure maison vétuste. Kina trouva le courage d’entrer, bravant la crainte de ce qu’elle pourrait découvrir.
« T’es là ? » appela-t-elle à mi-voix.
Elle continua malgré la bouillasse infâme dans laquelle elle pataugeait et s’arrêta à hauteur de mes vêtements imbibés. Je me cramponnai à eux, gémissante, livrai une bataille acharnée lorsqu’elle tenta de les soulever, mais j’essuyai une lourde défaite et me dévoilai malgré moi.
Elle découvrit une jeune fille inhumaine au teint gris, dont la bouille ronde arborait des joues décousues et un nez inexistant. Je masquais ma poitrine immature, ma taille de guêpe et mon entre-jambe, les mains sur mes énormes cuissots, les cheveux plaqués sur mon visage ; je cherchais à camoufler mon dos d’où émergeaient mes nombreux bras.
Kina se laissa tomber à quatre pattes, grave, et me renifla. J’étais toute petite. Elle s’assit en tailleur et croisa les bras sans un mot. Elle décida de fouiller sa chevelure et en retira un petit objet rond qu’elle me tendit solennellement.
Une noix.
Mon estomac gronda. Après une hésitation, je la dérobai. Elle semblait aussi dure que de la pierre. Immangeable. Je me détournai pour ouvrir la bouche et la calai entre deux crocs effilés, mais elle me l’arracha et la coinça entre ses paumes. Elle voulait m’apprendre à l’ouvrir. Or, face à mon échec, elle dut la craquer pour moi et à m’en donner la précieuse amande.
Je la recrachai involontairement sur mes cuisses, et baissai la tête, honteuse. C’était ignoble. Kina eut la même réaction. Elle sourit. Ce fruit avait le goût de ma chair liquéfiée. Elle rit en s’essuyant le menton. Je la contemplai de mes immenses yeux noirs alors qu’elle se relevait et me tendait une main. Mon sourire paru la déstabiliser, pourtant, elle ne m’abandonna pas.
Alors j’attrapai sa main.
Nous sortîmes et nous arrêtâmes devant les corps. Une traînée sanglante partait vers les champs où un charognard avait dû les emporter. J’étais dépitée.
Nous nous enfonçâmes dans le blé et nous cachâmes pour chasser. Kina m’apprit qu’elle chassait souvent ainsi avec son père ou sa sœur. Elle en connaissait un rayon, contrairement à moi. Elle zieuta par-dessus les épis et me questionna : « Tu viens d’où ?
— De chez-moi.
— Pas croyable !
— Je me suis perdue dans la cave », avouai-je. Je précisai à son air intrigué. « Maman mangeait une glace, alors nous sommes parties jouer dans la cave avec mes copines. Puis… Je suis tombée dans un trou. Quand j’ai ouvert les yeux, j’ai fait la connaissance de mon premier humain trop classe. Il se disait chasseur de monstres, alors j’ai voulu jouer dans sa peau… Tu vois. Je l’aimais beaucoup ! Je l’avais même appelé Raya. Raya Kaya ! Kaya, c’est mon prénom. »
— N’importe quoi. »
Je me sentis offensée.
« Meh meh meh ! » m’écriai-je.
Elle couvrit ma bouche.
L’immense marche-mort errait dans le ciel à la recherche d’une proie. Au même instant, des hurleurs des plaines – des chiens cauchemardesques – levèrent le museau à une encablure de nous. Kina avait eu dans l’intention d’en faire notre repas. Mais leurs gueules suintantes de pus et leur immonde odeur me jetaient un froid. Je préférai encore manger les gâteaux ratés de ma grand-mère !
Ils s’enfuirent, pris en chasse ; l’oiseau colossal piqua sur eux, puis repartit avec deux chiens entre les serres.
Nous restâmes immobiles.
« C’est fichu », regretta Kina.
Je remerciai intérieurement le grand piaf.
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