Partie Neuf
Kina me saisit la main et me traîna dehors à toute allure.
« Tu me fais peur ! m’exclamai-je.
— Vite ! » paniquait-elle.
Un regard par-dessus mon épaule m’apprit qu’une bête infâme nous poursuivait ; un bambin rondouillard aux yeux rouges exorbités et au sourire plus ignoble que le mien, baveux et rugissant, il se précipitait, les bras tendus ; il s’apprêtait à bondir pour nous labourer le dos de ses ongles noirs et de ses crocs suintants.
J’enfonçai mon pied dans le sol et repoussai Kina, puis fis face au monstre, les babines retroussées, toutes griffes dehors, et plongeai lorsqu’il sauta sur moi ; je lui attrapai les pieds, lui frappai le ventre et l’entrejambe, lui bloquai sa taillade et l’écrasai farouchement au sol dans le fracas sinistre de ses os. Je gonflai les muscles de mon mollet et le martelai d’une force herculéenne, mais il m’envoya voler contre le mur d’une maison qui finit en morceaux.
Je me relevai aussi vite que possible et inspirai profondément. Malgré mon manque de ressources, je parvins à en rassembler assez pour me créer une écharpe de ténèbres ; j’apparus derrière lui et hurlai : « MEURS ! » en enfonçant mon poing dans son échine, une détonation se produisit et l’envoya valser à une encablure.
Kina m’attrapa avant que je ne m’effondre de fatigue, et m’entraîna dans les champs en direction de son trou.
« Elle est réveillée ! » m’assura-t-elle.
Quelques minutes plus tard, nous nous étions arrêtés dans les blés, exténuées ; Kina auscultait ma blessure, car je m’étais brisé le bras sans m’en rendre compte. L’os ressortait. J’en avais des vertiges. Il ne me fallait pas grand-chose pour m’évanouir.
L’odeur du démon se rapprochait de nous. Il savait où nous étions, mais nous chassait avec plus de prudence. Ce n’était plus qu’une question de temps avant qu’il ne découvre mon infirmité.
Kina était terrifié, ses mains tremblaient, pourtant, elle m’aidait à fuir.
« Laisse-moi… dis-je. C’est ma faute. J’ai gaspillé mon énergie bêtement. » Une colère brute naquit soudain en moi, une frustration due à ma faiblesse et à ma bêtise. Ma honte était grande. Je me sentais ridicule. Inutile. Moi, la petite-fille de l’Existence. L’Invincible ! En ce jour, je saignais. Je saignais ! Un rictus de haine contracta ma face, des veines noires affleurèrent sous ma peau, un souffle gelé s’extirpa d’un râle de fureur, tendit qu’une obscure fumée émergeait de mes épaules, de mon dos et de mes cuisses et s’élevait jusqu’aux étoiles qui disparurent.
Il n’y eut plus aucune lumière.
Je ressentis le désarroi de Kina, la faim intarissable du démon et le serpent…
Deux émeraudes effilées s’illuminèrent soudain au-dessus de ma tête. Une vive douleur me pénétra le dos. Elle me plongea dans la confusion, les sensations inexplicables et les sons macabres d’os qui se brisent.
Puis la lumière revint.
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