Aloysius (3ème partie)

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 Audrey dut me secouer plusieurs fois pour me réveiller le lendemain matin :

 « Réveille-toi, chou, Luc et Sandra vont partir… »

 La tête vrillée par la gueule de bois, il me fallut quelques instants pour me souvenir que notre couple d’amis retournait en fin de matinée à Lyon. Après leur départ, je tentai de rassembler mes idées à coup de café fort et d’Alka Seltzer. Il me restait alors cinq journées à passer à Florence.

 Elles furent magnifiques. Me reste notamment en mémoire une excursion à San Miniato al Monte, sur les pentes de l’Oltrarno. C’est peut-être sur cette rive gauche de l’Arno, davantage encore que dans le centre touristique, que l’on a le plus de chance de goûter à la « fiorentinatà », l’âme de Florence…

 Bras dessous bras dessus, nous arrivâmes ainsi à la basilique formant balcon au-dessus de la ville; nous étions heureux, insouciants, et respirions à pleins poumons l’air glacial de cette magnifique matinée d’hiver. La lumière rasante donnait à toute chose une netteté et une profondeur extraordinaires. Essoufflés et radieux, nous tournâmes le dos à la vénérable façade et à son damier de marbre pour découvrir ce qui justifiait plus qu’elle une telle ascension : Fourmillante et chaotique, l’antique cité s’étendait à perte de vue en un écheveau labyrinthique. Devant la silhouette formidable du Duomo, berger vénérable veillant sur un troupeau de toits moutonnant jusqu’à l’infini, nous nous embrassâmes comme l’aurait fait n’importe quel couple d’amoureux…

 S’endormir et se réveiller tous les deux, prendre nos repas ensemble, partir en excursion pour la journée… Toutes ces choses banales avaient la magie de ce que nous n’avions jamais vécu ensemble, et ont aujourd’hui la saveur douloureuse de ce qui n’arrivera jamais plus…

 Puis, l’un des derniers jours de mon séjour à Florence, se produisit un petit incident qui, par effet domino, eut des conséquences inattendues. Quand nous allions au restaurant ou au café, je me contentais la plupart du temps de dire au serveur « Buon giorno » ou « grazie », laissant Audrey mener l’essentiel de la conversation en italien. Mais j’eus une fois un problème avec une pellicule mal engagée dans mon appareil photo (les numériques étaient encore rares à l’époque !) et entrai dans un magasin d’Hifi-vidéo pour le résoudre. Or les Italiens ont souvent tendance, dès que leur interlocuteur fait l’effort de baragouiner quelques mots dans leur langue, à se comporter comme si l’étranger était natif de la péninsule et à se mettre à lui parler dans la langue de Dante à toute vitesse, sans chercher à se mettre à son niveau linguistique. C’est ce qui m’arriva avec le vendeur du magasin qui, après un simple « va bene » de ma part, se lança dans un discours interminable en italien sur la façon d’engager la pellicule sans la voiler ni l’exposer au soleil. Au sortir du magasin, Audrey me considéra d’un air surpris.

 « Tu as compris ce qu’il t’a dit ? s’étonna-t-elle.

 - Pas tout, mais j’ai l’impression d’avoir saisi l’idée…

 - Hé bien, c’est pas mal pour un type qui a fait anglais et espagnol au lycée, parce que moi, j’ai rien capté !

 - Tu exagères… Les termes techniques sont les mêmes en français et en italien.

 Je réalisai alors que je n’avais aucune raison de cacher à Audrey mon aventure avec Giulia, la vraie raison de mon niveau acceptable en langue italienne, et je lui en fis le récit. La narration de cette aventure dans ses moindres détails la rendait bizarrement presque plus intéressante qu’elle n’avait été en réalité. Audrey ne m’interrompit pas une seule fois pendant mon récit, puis conclut : « Eh bien, quel séducteur ! Cette fille n’est restée qu’une semaine chez toi et tu as réussi à la mettre dans ton lit ! », ce qui provoqua chez moi une bouffée de fierté un peu bête.

 « Tu es sûr que ça ne te dérange pas ? » demandai-je assez absurdement à Audrey qui répondit : « Non, pas du tout !... » et ajouta : « Dans un sens, ça rend les choses plus faciles… » Comme je ne comprenais pas très bien où elle voulait en venir, elle lança : « Je dois te parler de l’un de mes profs de Fac… »

 Voilà un début qui ne me disait rien de bon…

 « Autant te le dire tout de suite, ce n’est pas ce que tu imagines… » ajouta-t-elle sans parvenir à me rassurer...

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