Vide
Sa silhouette immaculée se découpait dans l'ambiance grise de la ville, comme si elle était constamment rejetée de cet univers qui n'était pas le sien. Aurore la suivait en silence, elle-même incapable de prendre forme ici, parce qu'elle avait utilisé toute son énergie pour la sauver, lors de son arrivée sur cette terre.
Aurore était vide.
Elle n'avait pas de consistance, elle n'était que poussière dorée qui planait derrière l'épaule d'Aube. Incapable de lui parler. Incapable de la toucher. Tout juste de l'observer. Là était la malédiction d'Aurore : Aube lui échapperait toujours. Peu importe à quel point elles se rapprocheraient, Aube finirait toujours par s'évaporer en emportant un fragment du cœur d'Aurore.
Alors, Aurore veillait sur elle.
Aurore la suivait, s'accrochait à sa chevelure immaculée, à son aura de pureté qui n'avait pas été souillée par les couleurs. Ou si peu... Aurore surveillait qu'elle ne se perde pas en chemin, la guidait d'un scintillement bienveillant.
Et Aurore hurlait de douleur.
Son corps entier était lacéré par sa présence redondante mais encore inatteignable. Elle souffrait, encore et encore, de la voir se débattre dans sa première vie, sans pouvoir l'accompagner physiquement. De façon tangible. Réelle.
Aurore s'époumonait.
Seule dans la nuit, lorsque la lumière blafarde de la lune la cisaillait de toutes parts, lorsque le crépuscule était à peine supportable pour son coeur immatériel, Aurore expulsait sa douleur et sa rage jusqu'à s'en déchirer les cordes vocales. La gorge poignardée de milliers de petits pics de douleur, elle observait les ombres envahir son champ de vision, elle les regardait l'encercler sans qu'elle puisse leur échapper.
Alors, elles se ruaient vers Aurore.
Elles l'embrassaient si fort que sa lueur dorée s'éteignait momentanément, dans une gerbe de souffrance pure, dans un cri si rauque qu'il aurait tailladé les oreilles de ceux qui l'auraient entendu. Si seulement elle pouvait prendre forme humaine. Si seulement son halo vital ne rencontrait pas celui de la lune, tous les soirs, où qu'elle suive Aube.
Aurore s'étouffait dans sa propre angoisse.
Celle-ci assiégeait son esprit lumineux, la pénétrait de son ombre malfaisante et dangereuse, au point que ses pensées même soient colonisées par la noirceur. Au point qu'Aurore se batte outes les nuits à la fois contre l'astre nocturne, et contre elle-même.
Aurore souffrait mille morts pour rester auprès d'Aube.
Elle se déchirait la poitrine pour faire sortir son désespoir, elle foudroyait sa raison à grands coups de torche mentale incandescente, elle épuisait ses nerfs qui lui faisaient ressentir la brûlure de la lune avec des faisceaux de rage pure. Mais les ténèbres prenaient possession d'elle, encore et encore, si bien qu'elle commença à s'éteindre.
Si Aurore n'avait aucune consistance, plus le temps passait et plus son scintillement s'atténuait. Elle aurait pu remonter dans le cocon des cieux, mais ne résolvait pas à abandonner Aube à une vie de mortelle. Une vie qui menaçait son âme immaculée par des lueurs trop vives. Elle devait la protéger, si elle ne pouvait l'embrasser.
Alors, Aurore s'altérait.
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