Baiser
Aurore s'embrasa.
En un murmure qui crépita entre leurs peaux enfiévrées, elle se perdit contre le corps d'Aube. Leurs lèvres se trouvèrent, se reconnurent, acceptèrent leurs empreintes sucrées, elles s'effleurèrent. Un contact enflammé qui l'écorcha jusqu'à l'âme, jusqu'à faire frémir ses poumons. Aurore ne s'éloigna pas, elle ressaisit sa prise sur les hanches veloutées d'Aube et se laissa emporter dans un flamboiement de désir.
Ses nerfs s'envolèrent dans le ciel, calcinés par la fougue d'Aube, qui se réveillait lentement et l'éraflait durement à chaque baiser, avide de la sentir contre elle après tout ce temps. Et Aurore, abandonnée à ses bras immaculés, à son étreinte désormais impétueuse, profitait de ce moment pour graver ses lèvres contre les siennes. Après avoir sculpté son visage dans le marbre de sa mémoire, c'était au tour des contours de sa bouche d'être immortalisés.
Ainsi, elle ne pourrait l'oublier.
Même si elles étaient à nouveau séparées.
Ou plutôt, même quand on les arracherait l'une à l'autre.
Aube prit son visage en coupe, ses doigts caressaient les pommettes d'Aurore dans un frôlement délicieux, à la fois trop pour sa peau à vif et pas assez pour ses nerfs encore tendus, elle se glissa contre elle comme pour s'imprégner de toute sa silhouette. Aurore ressentait Aube, partout sur elle, chaque cellule étouffait, pressée contre son homologue lunaire.
Et quand elle ouvrit la bouche, prête à baiser ses joues rondes, qu'elle inspira son souffle frénétique, Aurore crut mourir. Le poison avait atteint son coeur, irrémédiablement. Toute cette énergie immaculée qui se faufilait en elle depuis leur premier contact venait de parvenir au centre névralgique de ses émotions les plus flamboyantes. Et elle la tuait de l'intérieur.
Aurore suffoqua sous les yeux affolés d'Aube.
Gavée d'une énergie qui provenait de la lune elle-même, inconsciente du danger qu'elle encourrait à jouir de la présence d'Aube, Aurore hurla de douleur.
Une douleur si pure, si vibrante de désespoir qu'elle fracassa le coeur d'Aube, qui ne pouvait rien faire d'autre que la laisser. Ne plus la toucher. Jamais. Une souffrance absolue, qui fit taire les oiseaux, attira l'attention du soleil, força le vent à se pencher vers cet être de lumière qui souffrait, souffrait.
Elle se tordait dans l'herbe, sous l'effet d'un supplice insoutenable, tandis que sa peau grésillait, prise d'assaut par des volutes blanches meurtrières. Le poison était dans ses veines, il tuait la lumière solaire qui l'habitait, il agressait ses nerfs pour la torturer, toujours plus. Il voulait l'abattre, la forcer à constater son impuissance. Il voulait qu'elle réalise son erreur.
Il l'arrachait à Aube.
Il lui montrait qu'elle avait eu tort, qu'elles ne pourraient jamais être réunies. Cela allait à l'encontre des lois de l'univers. C'était une fantaisie.
C'était impossible.
Les hurlements d'Aurore lui lacéraient les cordes vocales, si fracassants que la terre en tremblait de douleur. Aube explosait d'un tourment qu'elle ne pouvait contenir, il pulsait dans son corps et se déversait sur l'herbe qui se parait d'une teinte rouge vif. La nature était en deuil autour d'elles, ces deux êtres énormes et perdues.
Et le monde bascula.
Aurore fut rassérénée par les rayons brûlants de milliers d'étoiles qui brillaient pour elle, en elle, et réparaient ses veines transpercées. À côté d'elle, Aube savourait le reflet argenté d'autant de lunes qui lui étaient familières et bienveillantes.
Aurore sentit une force plus intense que sa résistance l'entraîner loin d'Aube, dans un sanglot anéanti. Aube la regarda partir, incapable de bouger, retenue par des brins d'herbe meurtriers qui lui sciaient les chevilles. Elle hurla son nom dans l'atmosphère chargée de souffrance, une dernière fois avant de mourir, sidérée par le soleil.
Et Aurore sentit son coeur mourir en retour.
C'était la seule liberté qui lui restait.
La liberté d'aimer Aube, et de mourir pour elle.
FIN
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