Une Cerise en Hiver

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Cela fait un certain nombre de saisons que je suis planté là.
Tranquille, en bas de ma butte, au dessus une maison, de l'herbe au pied de mon tronc, cela fait plusieurs dizaines d'années que je m'épanouis.

Comme pleins de mes compagnons, à chaque hiver je meurs, à chaque été je revis, ma robe d'automne est rouge et orange jaunis, et ma robe de printemps est fleuri.

Et pourtant depuis quelques temps, mes bras me semblent affaiblis. Mes fières branches se parent de moins de fruits. Les fleurs ne sont plus aussi nombreuses, bien que je les fasse toujours aussi jolies, et avant le froid de l'hiver, moins de feuilles dansent en tombant, je suis déjà dégarni...

Moi ça me va, au fond, je sais bien que je ne suis pas éternel, mais après quelques dizaines d'années confiantes, j'aurais aimé atteindre la centaine.

Finalement, je me prends à me dire c'est un peu tôt pour faiblir.

C'est doux la pluie, la neige c'est revigorant. Les enfants sous mes feuilles l'été, que je protège du soleil ardent. Les hamacs tissés dans mes branches, et les liquides frais avec des bulles, et quelques unes de mes cerises pour leur goûter. Les échelles de cordes pour me grimper dessus et moi qui faisait pousser mes bras plus solide pour leur éviter de tomber. J'aurais aimé un peu plus de temps, dix ou quinze ans encore...

C'était un jour ordinaire, gris et froid qui sentait l'humidité, quand j'ai entendu les deux plus vieux humains parler sous ma cime. Leurs mains tapotaient mon écorce, et bien que je ne comprenne rien à leurs bruits de bouche, j'ai fini par saisir que l'on parlait de moi.

La petite femme parlait fort, l'homme en face semblait agacé. La plus grande des trois enfants était en retrait, et les écoutait parler.

La discussion se termina, l'homme et la femme s'était visiblement entendus.

L'enfant courut jusqu'à l'échelle de corde pour me grimper dessus.

Habituellement, elle serrait une de mes branches dans ses petits bras, puis en montrant toutes ses dents, en riant, elle s'installait dans son hammac entre mes bras de bois.

Pas cette fois.

Elle leva ses grands yeux gris, fixant ma cime. La pointe de son menton trembla, ses grands yeux devinrent mouillés. Finalement elle pris ma branche dans ses bras, et une toute petite pluie se mit à y tomber.

Elle n'émis aucun son, resta là jusqu'à ce que la nuit tombe.

Et moi, affaibli mais heureux, je cru comprendre...

Le nez morveux, les yeux salés, elle me regarda encore une fois.

Puis elle pris l'échelle en sens inverse, et s'en fut juste après avoir serré mon tronc dans ses bras.

J'étendis mon regard, toutes mes branches nues à l'affût. L'humidité, le froid, les taupes sous mes racines, la pluie dans l'air qui ne tarderait pas à tomber... Et cette présence au creux de mon tronc qui depuis quelques temps était en train de me grignoter...

Aujourd'hui, l'enfant était venu me dire au revoir...

Le lendemain, au lever du soleil, des flocons s'étaient mis à tomber. L'enfant revint me voir, dans ses bouts de tissus emmitouflée.

Derrière elle, l'homme arriva, avec un animal de métal dans la main. Ce drôle de truc servait à raccourcir mes branches pour que je ne pousse plus fort au printemps, je le connaissais bien.

Cette fois ci, il réveilla l'animal au pied de mon tronc.

Et je su qu'aucune de mes branches n'allait être touchée.

Puisque c'était de mon tronc que l'animal de métal était en train de s'approcher.

L'enfant avait encore de la pluie dans les yeux.

Elle avait aggripé dans sa main ma branche la plus basse. Et la chaleur de sa paume me réconfortait un peu. Je partais bientôt, mais je partirais heureux.

Peu à peu, une entaille se creusait, gigantesque, dans ce qui me reliait à la terre.

Je sentais mes forces partir un peu plus, à chacun de mes filaments tranchés.

Cela ne faisait pas mal, mais me rendait triste un peu.

Et la main de la jeune fille qui ne m'avait pas lâché.

Ma sève s'écoulait, du creux béant ouvert en mon sein.

Sans un bruit, mes forces me quittaient. Je me sentais bien.

Tout était blanc et froid, calme et étouffé autour de ma mort. Seule la paume de la jeune fille était pleine de chaleur encore.

De mes dernières forces, dans un sursaut de vie, j'avais envie de lui faire un cadeau.

Rassemblant tout ce qui me restait de vie, j'allais fabriquer un dernier fruit avant de partir.

Toutes mes forces se rassemblaient sous sa main, et un bourgeon éclata en fleur en très peu de temps avant de se faner et de grossir, rougir et prendre la forme d'un fruit.

Et ça en valait la peine, car la dernière chose sur terre que je vis

Fut le sourire entre les larmes de la jeune fille qui regardait mes branches, et au creux de la main, mon fruit.

Et ce fut fini.

"Maman, ça pousse en hiver les fruits?"

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