Un an plus tard...
Eyleïna Milnowitcz
Quelque part sur Plutonium
Le chant des oiseaux de la mer s’élevait dans le ciel comme une douce mélodie après la tempête. Le battement de leurs ailes ressemblait à un timide froissement près du corps. Et que dire de l’écho des vagues léchant le sable, puis se retirant en retenant son souffle ?
Au premier abord, lorsque l’on observait l’environnement, il était aisé de croire l’endroit idyllique mais, pour des yeux plus aguerris, l’affaissement caractéristique des longues dunes de sable le long de la crique et les nombreuses fissures des escarpements rocheux alentours ne trompaient pas : la région était propice aux tempêtes. Les marins qui devaient traverser l’embouchure de la Mer du Sud le savaient mieux que quiconque : il était toujours préférable de veiller sur l’horizon car une eau qui dormait pouvait receler nombre de dangers enfouis.
Contrairement aux nombreuses côtes des contrées du Milieu, celle bordant la Mer du Sud de l’Inférieur était principalement rocheuse et peu végétalisée, sans doute en grande partie due aux ouragans - monnaie courante dans la région - et au climat - principalement désertique - des lieux. La chaleur qui s’étendait d’ailleurs ce jour-là sur le sable rougeoyant de la petite crique était écrasante. Aussi loin que pouvait ainsi porter le regard, de longues langues brumeuses s’élevaient dans les airs, brouillant les silhouettes des fins scorpions noirs et luisants, symboles de l’Etat de Plutonium, en partie choisis du fait de leur étonnante capacité de résistance et leur rapidité au combat. Deux qualités qui représentaient autrefois parfaitement Plutonium. Dans un temps lointain, presqu’aujourd’hui immémorial, car les nombreuses guerres successives avaient atrocement fragilisé son armée jusqu’à en avoir totalement raison. Inclus dans aucun des traités d’alliances qui avaient résulté des conflits, l’Etat de Plutonium avait fini par lentement s’effondrer jusqu’à ne plus rester que l’ombre de lui-même : un peuple frêle et misérable, regroupé en clans nomades et solitaires, condamné à l’errance et le désespoir.
Rien, il ne leur restait ainsi plus rien. Rien les tempêtes ravageant les criques sauvages de la Mer du Sud et le sable rouge et brûlant du désert.
Réveille-toi…
La jeune femme plissa ses paupières closes. La voix était douce et agréable à ses oreilles. Loin du mugissement de la mer déchaînée. Loin du vent hurlant sous la violence de la pluie. Loin des eaux dures et glacées des flots.
Au fond de sa poitrine, son pouls s’accéléra subitement et une grimace tordit son visage aux joues rondes et rebondies. Ses ongles se pressèrent inconsciemment contre la paume encore moite et froide de sa main. Elle gémit tant ce simple geste lui sembla douloureux.
Ses paupières tressaillirent. De son autre main, elle vint caresser la douceur du sable humide sous ses doigts. Elle avait l’impression de ne plus pouvoir ressentir que cela : la douceur. De n’avoir plus conscience que de la position de ses ongles effleurant les grains inégaux et humides de la longue berge. Le reste de ses muscles était comme détruits. Fatigués. Rompus d’avoir tant nagés, tant luttés contre les vagues déchaînées.
Sa poitrine se souleva doucement. Une première inspiration. Puis une seconde. Ses poumons oppressés la firent brusquement hoqueter. De petites coulées d’eau salée glissèrent le long de son visage déjà sali par le sel et le sable. Elles lui laissaient une étrange impression de libération. Comme une extirpation loin de son corps endolori. Ses paupières frémirent encore une fois puis elle ouvrit les yeux. Des yeux de la couleur de la verdure, mais désormais délavés, livides et sensibles.
La lumière aveuglante du jour l’assaillit alors elle les referma. C’était une protection nécessaire. Elle ne pouvait pas encore bouger, ses muscles étaient trop sensibles, elle le sentait. Alors elle laissa mollement sa tête retomber sur le côté, le soleil chauffant sa peau encore humide.
Elle rouvrit les yeux. Battit un instant des paupières pour habituer son regard si longtemps éteint à la lumière du soleil de fin d’hiver. Combien de temps avait-elle dormi ? Elle n’aurait su le dire. Mais ses muscles semblaient aller mieux lorsqu’elle tenta de se dresser sur un coude, puis le second. Le sable devant elle lui apparut comme un immense désert d’une blancheur insoutenable, si étincelant qu’il n’en paraissait pas réel.
Suis-je seulement en vie ? Elle chassa bien vite cette possibilité : on lui avait jadis appris qu’un mort ne ressentait rien, ni le froid imprégnant les os détrempés, ni la douleur des muscles tétanisés par l’effort, ni la sensation d’effondrement d’un cœur opprimé, et qu’en cela il était bien chanceux.
Elle pencha la tête. Un peu plus loin, la mer formait une langue d’eau pâle assombrissant le sable humide par à-coups réguliers, venant toujours plus loin, montant inexorablement, comme attirée. L’ombre d’un oiseau planant en cercles concentriques dans le ciel d’un bleu presque blanc se reflétait en ondulant le long des animosités de la plage.
Perdue dans ses pensées, elle ne vit ni n’entendit la silhouette qui, l’épiant derrière l’orée des dunes depuis plusieurs minutes, se rapprochait inexorablement d’elle. Elle ne vit pas non plus le morceau de tissu sale et rapiécé imprégné d’alcool venir se plaquer contre sa bouche. Elle se débattit, surprise, sous les injures et les grommellements d’une langue qu’elle ne connaissait pas. Et elle eut beau hurler, planter ses ongles dans la chair de l’individu et tâtonner le long de sa cuisse à la recherche de son poignard, le liquide qui imprégnait ses poumons eut raison d’elle, la plongeant dans un sommeil léthargique peuplé de rêves chauds et étranges.
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