Passage

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 Un éclat de rire l’avait tiré de son sommeil. Antoine ne s’en serait probablement pas inquiété outre mesure s’il n’avait pas été seul à vivre dans son studio. À 32 ans, il n’avait connu comme expérience de vie en collectivité que les vingt années passées avec sa mère dans les trente mètres carrés de l’appartement dont elle avait hérité à la mort de son père. Une perte douloureuse dont elle avait su préserver son fils, jusqu’à lui éviter toute rencontre depuis le jour de sa naissance. En réalité, sa mère ignorait qui pouvait bien être le père, et elle s’en moquait. Seul importait son fils. Seul comptait l’amour qu’elle lui portait depuis sa naissance. Un amour qui lui avait permis de grandir en sécurité, protégé par la certitude de ne jamais être abandonné, de toujours trouver un refuge dans lequel se blottir lorsque la vie deviendrait quelques fois trop pénible. Elle était son repère, son souffle, sa respiration.

 Mais elle n’était pas là ce soir. Seul ce rire, étrange, enfantin, habitait la pièce. Antoine aurait pu supposer qu’il provenait d’un autre appartement, les murs de l’immeuble étant d’une largeur relative. Il aurait pu imaginer qu’il était monté de la rue, la fenêtre au dessus de son évier étant restée ouverte. Mais son instinct semblait lui indiquer qu’il n’en était rien. Non, ce rire d’enfant – car c’en était un, c’était une certitude désormais – provenait de son propre logement. Un frisson avait parcouru son corps devenu étrangement immobile. Il aurait souhaité esquisser un geste vers l’interrupteur de sa lampe de chevet, mais quelque chose l’en avait empêché : la certitude qu’il ne devait pas bouger. La sueur glacée qui perlait de son front, son souffle devenu timide, sa respiration inaudible, ses muscles qui ne répondaient à aucune injonction de mouvement, ses yeux refusant de s’ouvrir, tout laissait entendre que son corps avait pris la mesure de la menace qui grandissait à chaque instant. Et tandis qu’il cherchait désespérément à faire bouger ce corps qui ne lui obéissait plus, il avait senti une main venir se poser sur son flanc. Une main faible, fragile, laissant deviner que le bras qui y était attaché était celui d’une femme chétive, voire d’une enfant. Antoine était terrifié. Il aurait voulu se redresser, hurler, chasser du pied l’être qu’il devinait faible et incapable de se défendre face à sa carrure imposante, mais son corps l’en empêchait toujours.

 Puis, en un instant, tout s’était précipité. Antoine n’était plus allongé dans son lit mais debout dans le couloir de son étage. Il avait face à lui une fillette d’à peine dix ans, qui le fixait dans un sourire figé, à la frontière entre la douceur et la folie. En observant ses bras, il avait constaté qu’il était habillé. Il n’avait aucun souvenir de s’être levé, ni même d’avoir enfilé un pantalon, et encore moins un pull. Il n’avait pas non plus eu le temps de s’attarder sur la manière dont il avait quitté son studio, et s’il en avait même les clefs sur lui. La fillette venait de le saisir par la manche et de l’emmener à travers le couloir qui n’en finissait pas de s’allonger. Et, enfin, ils s’étaient arrêtés devant une porte close, au bout de ce couloir devenu tunnel. La lumière était faible, presque imperceptible, mais les yeux d’Antoine s’était accoutumés à l’obscurité croissante, si bien qu’il n’avait éprouvé aucune difficulté à observer le reste de la scène. La jeune fille avait ouvert la porte, laissant apparaitre une bouche béante, gigantesque, épouvantable. Des rangées de dents de toutes tailles et de toutes formes se logeaient dans les gencives et le palais de ce trou béant qui ne semblait pouvoir provenir d’aucun être existant. Antoine avait voulu faire un pas vers l’arrière pour se dégager, mais la fillette, dans un rire, ce même rire qu’il avait entendu depuis ce qui lui apparaissait être un éternité désormais, l’avait poussé avec une force insoupçonnée à l’intérieur de ce gouffre qui s’était rapidement refermé sur lui, lacérant sa chaire, découpant ses membres, broyant ses os jusqu’à faire totalement disparaitre toute trace de son existence.

 On avait retrouvé le corps d’Antoine au matin, allongé dans son lit, ses draps souillés d'urine et d'excréments. Son cœur avait lâché durant la nuit. La mort était venue le prendre dans son sommeil.

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