GOUTTE
L’après-midi ne fut pas de trop pour mettre au point une tactique.
Le point GPS fourni par Atylwat correspondait à un hôtel particulier proche de la Galleria degli Uffizi. Flo s’y rendit d’abord en repérage, dans sa tenue de mauvaise fille. Elle passa en flânant dans les ruelles alentour, nota les emplacements des caméras de surveillance, fit mine de se perdre pour contourner la bâtisse, perçut les aboiements et estima qu’il devait y avoir au moins deux chiens de garde. Puis, juste pour noyer le poisson, elle fit un saut par le musée, admira longtemps les statues contorsionnées de la Tribune, après quoi elle regagna l’Eternium par maints détours et mille errances.
Revenue à son hôtel, elle ouvrit la mallette d’un fusil à lunette démontable. Dedans, les larges encoches débordaient d’un improbable nécessaire de médecine. Flo prépara minutieusement la seringue. Elle serra le garrot à son avant-bras, puis les dents, et s’injecta tout un flacon du liquide qui lui donnerait la force.
Avant que son corps engourdi ne s’évanouisse dans le fauteuil, elle envoya un e-mail codé à l’une des cent adresses de son employeur et, lorsqu’elle s’éveilla une heure et demie plus tard, la réponse l’attendait sous la forme d’un plan. Elle le superposa rapidement aux rues de Florence, dont il différait un peu. Elle mémorisa aussitôt les points qui dessineraient son itinéraire, puis effaça toute trace de sa correspondance.
À dix-neuve heure, elle descendit au restaurant de l’hôtel où elle dîna des tripes. Elle attendit ensuite que le soleil soit couché pour se faufiler dans les ruelles de la vieille ville, jusqu’à l’adresse de sa cible. À quelques rues de là, en bonne professionnelle, Flo repéra sa porte d’entrée : une plaque d’égoût par laquelle elle se glissa. Les eaux putrides jusqu’à mi-cuisses, la main armée d’Atylwat brava les odeurs rances du sous-sol. Une fois remontée l’artère principale, il lui fallut bifurquer dans un passage plus étroit, sous lequel la moiteur du plafond lui effleurait le crâne. Flo serra les narines et rabattit son capuchon.
C’est dégouttante qu’elle émergea dans l’arrière-cour de la propriété privée. Prudente, elle souleva d’abord à peine la plaque sculptée, scrutant l’arrivée des clébards. Ils ne se montrèrent pas. Alors, Flo se hissa pour s’extraire des entrailles de sa ville.
Elle voleta comme une ombre jusqu’à la bâtisse. Crocheter une serrure n’était pour elle qu’une formalité, mais le hall d’entrée disposait certainement d’un système de surveillance assorti d’une alarme. Aussi décida-t-elle de contourner la demeure, esquivant le champ des potentielles caméras, guettant une ouverture aux étages. Flo s’était déjà résolu à se glisser à l’intérieur par la cheminée, comme un Père Noël importun. Après tout, ne ressortirait-elle pas vêtue de rouge ? Mais une fenêtre entrouverte, au deuxième étage, lui évita cette peine. Elle n’eut qu’à se hisser par la gouttière jusqu’au premier, se balancer de rebords en corniches pour atteindre le petit balconnet, puis braver le vide, debout sur la rambarde, afin de gagner le second. Semblable gymnastique en direction du chambranle accessible, et la voilà qui mettait le pied dans un luxueux cabinet. Ou alors une chambre ?
Toujours sur ses gardes, elle s’accroupit dans les ténèbres, à l’abri d’une tenture.
PLOC.
Était-ce sa capeline qui gouttait les égouts ?
PLOC.
Ou la bave du molosse qui grognait dans l’autre coin de la pièce ?
PLOC.
Un large rectangle blanc se découpait dans la pénombre.
PLOC.
Une main en émergea.
PLOC.
PLOC.
PLOC.
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