FORTUNE
Pour faire contre mauvaise fortune bon cœur
Encore faut-il avoir du cœur.
Cinq chiens de faïence meublaient la pièce, à présent. Trois avaient les crocs, deux autres les bourses truffées d’armes létales. Parce qu’elle ignorait quels atouts dissimulaient celles de Morana, Flo se garda cependant de dévoiler son silencieux. Ses doigts crispés faisaient mine de presser une détente imaginaire.
— Qu’est-ce qui me prouve que t’essayes pas de m’embobiner ?
— Méfiante, hein ? railla Crin d’Argent, sans même chercher à dissimuler son amusant. Eh bien, je vais te dire quelque chose que seule une main d’Atylwat pourrait savoir.
Comme la voix de l’étrange femme se diluait dans la nuit, Flo n’eut d’autre choix que de faire un pas vers elle, l’oreille tendue, pour l’entendre murmurer :
— And then you leave without a trace…
L’intruse se figea. D’ordinaire, on ne murmurait la doctrine d’Atylwat qu’une fois sa besogne achevée, comme une prière d’adieu. Nul autre qu’un exécuteur ne pouvait la connaître. Un profond soupir lui échappa.
— On m’envoie donc refroidir l’une des nôtres ?
— Et pourquoi pas l’inverse ?
— Même si c’était leur intention, moi je ne compte pas me laisser abattre.
— Je sais.
La mystérieuse Morana semblait si détachée que Flo ne pouvait prendre ses élucubrations au sérieux. Elle ne connaissait rien des autres recrues d’Atylwat mais elle se figuraient que, comme elle, toutes accomplissaient leur tâche avec la plus totale résignation. À son esprit obtu, cela ne pouvait signifier qu’une chose : elle était bel et bien le bras armé, et Morana son point de mire.
Flo arracha prestement son revolver au revers de sa veste et le pointa sur la fière quadra. Loin de se démonter, cette dernière se para de son plus beau sourire.
— Je n’ai pas pas peur de tes chiens ! la prévint Flo, guettant les trois molosses tapis dans l’ombre.
— Je vois.
Morana se leva et vint au-devant d’elle, sa menue poitrine bientôt accolée au canon de l’arme à feu.
— C’est ton jour de chance, Florence.
— Parce que tu ne vas pas résister ?
— Non. Parce que j’envisage de t’épargner.
Avant même d’avoir pu baisser les yeux sur son thorax, la tueuse sentit une douleur lancinante lui traverser le buste de part en part. Elle glapit et découvrit le manche aiguisé du pinceau de Morana planté dans son bide.
— Comment peux-tu peindre avec…
Comme promis, l’adversaire l’épargna, sans l’obliger à formuler une question qui réclamait trop de force à son corps chancelant. Pour seule réponse, la femme aux mèches cristallines leva sa paume en sang, déchirée par une profonde entaille.
— La douleur, tu connais, Florence. On sait toutes les deux que ça ne va pas te tuer. Alors, avant que je change d’humeur, dis-moi, si nous passions un marché ?
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