ÉPICÉ

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— Un marché ?

Le temps d’un éclair de conscience, Flo se demanda si ses mots n’existaient que dans sa propre tête, tant la douleur empâtait les lèvres.

— Oui, insista la voix toujours plus suave de Morana. Je vais te laisser la vie sauve. En échange, tu demeureras auprès de moi quelque temps et tu effectueras mon travail à ma place.

Trop de questions gonflaient l’esprit de Flo. Laquelle poser en premier ? La plus incongrue ; celle qu’elle oublierait en cours de route si elle ne l’évacuait pas d’office.

— Et toi, qu’est-ce que tu feras pendant que je me taperai ton taff ?

— De la peinture.

Ça, pour une réponse inattendue… Avant que Flo n’en demande plus, Morana prit soin d’éclairer sa lanterne, en même temps que la pièce entière. L’interrupteur pressé, le lustre rococo révéla les dentelles des tentures, le lit à baldaquin, la coiffeuse sertie de nacre et les toiles inachevées qui, par centaines, s’entassaient dans l’autre moitié de la chambre, emmurant de plus en plus près le chevalet de Crin d’Argent. Mais le nombre de ces toiles ne sidérait pas tant que leur sujet. Unique. Ou multiple. Le même visage ébauché, esquissé et parfois coloré, avant d’être subitement abandonné pour peindre le suivant. Le même visage, changeant. Le même, mais plus vraiment, au gré des pays, des missions, des incessantes résurrections. À elle seule, la figure de Flo avait constitué une fresque de près de mille inconnus. Un à un, ces tableaux avaient tâché de tirer son portrait, chaque fois contrarié par ses transformations.

— Putain, mais… Depuis combien de temps tu me… T’es une fétichiste ou quoi ?

La douleur pimentait ses mots comme une sauce trop corsée, tandis que le modèle serrait les bras sur son bide sanguinolent. Debout contre le mur, près de l’interrupteur, Morana, dans sa longue robe blanche, avait soudain l’air timide d’une pucelle.

— Je te suis depuis tes débuts, avoua-t-elle. Et depuis tout ce temps, j’essaye de… capter ton essence. Seulement, à force d’essayer et de recommencer, je ne sais plus vraiment quel visage est le tien. Alors, je me suis résolue à te le demander directement. Pose pour moi, s’il te plaît.

Incrédules, les yeux de Flo parcouraient encore et encore cette drôle d’exposition.

— Et c’est juste pour ça que tu m’as fait venir ?

— Non. Comme je te l’ai dit, tu devras aussi faire mon travail.

— En quoi ça consiste, alors ?

— C’est à peu près le même que le tien. Seulement… un peu plus épicé.

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