SELLE
Il y avait ces endroits, dans le temps, dans cette ville ; là où les gens venaient s’oublier et parfois en finir. Et moi aussi, une ou deux fois, j’en ai fini là-bas. Une aiguille dans le bras. Un jour novice, en herbe. Un autre jour, véritable héroïne.
Quelques-unes de mes morts ont eu lieu dans ces salles exiguës, sur des selles un peu sales. Déjà jeune, j’étais digne. Je ne me vomissais jamais dessus, je ne m’écroulais jamais par terre. Je m'agenouillais, comme en prière, juste devant la cuvette, et je laissais tomber mes bras alanguis, pas loin de l’agoni, sur le pourtour en plastoc fissuré. Je laissais choir ma tête contre mon bras : une oreille tendue comme un entonnoir où le monde déversait des sons devenus abstraits ; l’autre au creux de mon coude à écouter la mer, ou le fleuve, ou le fossé, ou n’importe quel endroit où on peut balancer un corps.
Il y avait ces matins où je me réveillais en imaginant que c’était moi qui sortais de l’eau. La naissance de Vénus, comme sur le tableau. Je marchais sur la ville comme une nymphe antique, comme un nourrisson, à découvrir un monde qui n’était pas le mien. À redécouvrir chaque sens et à donner des sens qui n’étaient plus les mêmes.
Quelques-unes de mes morts m’ont coûté quelques cases. Mais j’ai toujours pensé qu’on en avait en trop. Des pièces de mon château où il y a trop d'échos. Moi, contrairement au reste du monde, je n’ai jamais eu peur de me fermer des portes. Plein de gens m’ont prévenue : « On ne revient pas en arrière ». Non, en effet. Mais on peut quand même dégoter un pied-de-biche.
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