DODU
— Je peux savoir pourquoi ?
— Chut. Garde la pose.
Flo se tenait assise sur l’un des vieux fauteuils du manoir de Morana. Jambes croisées, légèrement de biais, le visage tourné, seulement vêtue d’un drap. Un linceul si blanc qu’il aurait fait pâlir d’envie le premier fantôme venu.
Face à elle, Morana peignait à son chevalet. Les trois chiens, couchés à ses pieds, ronflaient à réveiller les morts. Depuis que son modèle était rentré – à pied – de sa vilaine besogne, la peintre n’avait daigné lui adresser la parole que pour lui ordonner les postures à tenir.
Pour une raison qu’elle-même ignorait, Flo courbait l’échine et obtempérait. À l’intérieur, elle fulminait. Elle ne cessait de s’égarer en pensées et ses yeux, toujours, reprenaient connaissance, fixés sur Berlin.
Elle qui ne s’était jamais vraiment soucié du bien-fondé de ses exécutions, se demandait maintenant ce qui pouvait justifier de buter une gamine si prometteuse. Si Atylwat avait bien voulu d’elle, cette gosse aurait pu avoir un destin extraordinaire. Pourtant, Morana…
— Je veux savoir pourquoi.
— Pourquoi quoi ? s’emporta Morana.
Tressautant de colère, elle éclaboussa sa toile de l’encre qui imbibait le pinceau. Excédée, elle renversa le chevalet et rejeta d’un coup de pied le tableau souillé avec la foule des autres brouillons.
Flo se mordit la lèvre.
— Pourquoi je… Pourquoi je suis la seule à devoir me foutre à nu ?
— Parce que je te ferais peur.
Comme l’invitée insistait cependant de son regard le plus doux, Morana finit par lui tourner le dos, lui offrant dès lors le corsage de sa robe. Flo s’attela à le défaire, lentement, œillet par œillet, un lacet après l’autre. Ainsi, elle ne brusquait pas la pudeur de son hôte, elle lui laissait l’occasion de se rétracter. Ainsi, elle découvrait avec moins d’effroi, côte après côte, le buste squelettique que dissimulaient les mousselines vaporeuses.
Face à face sur leurs sièges, les deux femmes détaillant leur nudité respective. Devant la maigreur de sa collègue, Flo se pinça machinalement la hanche et, pour la première fois de sa vie, elle se sentit dodue.
— Tu te sens plus à l’aise ? questionna Morana.
— Je ne sais pas.
— Tu me trouves laide ?
— Pas vraiment.
— Je te fais peur ?
— Je ne dirais pas… Non. Tu me fais comme… de la peine.
Flo parcourut la pièce et ses milles contrefaçons du regard, jusqu’à tomber sur l’ébauche d’un buste. Le visage de la statue de terre n’était qu’empreintes de doigts. Et, étrangement, elle jugea que cette œuvre lui ressemblait davantage que les autres.
— Mor…
Elle s’interrompit, d’abord car elle hésitait à formuler sa demande. Alors elle songea que ce diminutif lui plaisait assez.
— Mor, est-ce que tu as de la terre ?
— De la terre ?
— Pour sculpter.
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