Aux cœurs givrés,

le printemps rend la mollesse

d’une poignée de terre.

À genou sur la bâche qui couvrait le parquet, Flo plongea ses mains dans le seau de glaise. Elle l’avait faite volontairement liquide ; plus barbotine qu’argile. Ses mains pour seuls pinceaux, elle enduisit les flancs décharnés de Mor. Une caresse après l’autre, la maigreur faite femme retrouva les courbes d’une humanité égarée.

Flo lui modela les cuisses, y traçant les sillons des vergetures de son âge. Avant de s’attaquer à son faciès et d’y mimer la peau flétrie qui épargnait jusqu’alors joues et menton, elle se rinça les mains à l’eau clair dans le baquet adjacent.

Garder les mains froides, son sang-froid, et ne rien déformer.

Lorsqu’elle entreprit de sculpter la figure de Mor et que leurs deux corps se retrouvèrent presque accolés, elle sentit un courant glacial se tisser entre elles. Prise d’un violent sursaut, elle s’écarta. Avant qu’elle ait pu la contenir, sa collègue observa la révulsion gangrener ses traits. Vexée, Crin-d’Argent rabattit ses longues mèches le long de son visage, par-dessus sa poitrine. Elle s’éloigna dans le corridor. Les trois chiens sortirent à sa suite, sans manquer de grogner pour réprimander l’invitée maladroite.

L’embarras avait pris le dessus sur la nausée de cette dernière. Elle se précipita à son tour dans le couloir, pria pour qu’il soit encore temps de demander pardon. Là, elle trouva Morana dans une improbable posture. Debout, les bras levés, contre l’une des larges fenêtres. De ses clavicules saillantes à son sexe imberbe, son torse entier embrassait le carreau. Et, quand elle se retourna vers Flo, celle-ci découvrit, hébétée, sa peau, de chair comme de glaise, recouverte de givre.