IMMENSE
Chère Djamila,
J’écris car je parle mal.
J’écris car « dire les choses » ça n’a jamais été ma came.
Et je t’écris à toi, parce que je t’aime.
J’ai disparu une semaine, cassé mon téléphone en deux et coupé les ponts avec le monde entier. Mais je suis sûre que tu t’es retenue de t’en inquiéter, parce que tu es du genre à respecter mon besoin de liberté, à respecter mes frasques, à respecter tous les trucs pour lesquels tout être humain lambda me taperait sur les doigts.
Toi, je ne t’ai connue que quelques mois. Je peux compter ces jours-là pour m’endormir, les tenir dans ma main comme une poignée de sable. Mais, chaque fois que je les égrène, je me souviens aussi qu’il n’y a pas eu une seconde, pas une seule, où tu m’aurais demandé de changer, d’être meilleure, où tu aurais rejeté quoi que ce soit chez moi. Même des morceaux de moi que j’aurais volontiers foutu à la poubelle, toi, tu les as acceptés.
Et ça, je crois que tu ne mesures pas à quel point c’est immense.
Ces quelques mois avec toi sont toute une vie à mes yeux. Dans cette vie-là, je ne concevais pas que tu me voies perdre la face. J’allais devenir quelque chose que je ne voulais pas être ; quelque chose qui, j’en étais convaincue, n’était pas moi.
Mais ce sera moi, bientôt.
Je vais mourir, plus vite que je l’espère. C’est la première fois que je le mets en mots alors, ne m’en veux pas. Quand je suis partie, quand je suis devenue la personne de mon choix, quelqu’un dont je rechigne moins à devenir le cadavre, je me suis raconté que c’était pour ton bien, que tu t’en porterais mieux, que tu ne méritais pas de traîner une mourante à ton crochet. Je ne voulais pas être un fardeau.
Avec le recul, je réalise que c’était un mensonge. Un de ces mensonges qu’on se fait à soi-même. Je n’ai pas fui pour t’épargner. J’ai fui parce que je ne voulais pas lire autre chose que du désir dans tes yeux : de la pitié, de la peine, de la panique. Parce que, si tu t’étais mise à me voir sur le déclin, ça l’aurait rendu effectif, et je n’étais pas décidée à laisser la Mort l’emporter.
Tu vas me prendre pour une folle, mais je me suis expliquée avec elle.
J’ai peu de temps pour vivre tout ce que j’aurais voulu. Mais je pourrais vivre une éternité encore, l’issue me paraîtra toujours trop proche. Là, mes heures sont comptées.
Tu trouveras dans cette enveloppe un billet pour Florence. Je t’attendrai là-bas, au cas où ta rancune est assez ténue et ton cœur assez large pour que tu me pardonnes.
Je ne te demande qu’une chose. Si tu me rejoins, ne viens pas retrouver une femme qui se meurt. Le temps que ça durera, je vivrai cette dernière vie plus fort que toutes les autres. Elle passera à une vitesse éclair mais, si tu es là, cette fois encore, ce sera immense.
Je t’embrasse, et tout le reste,
Flo
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