PRESSÉ

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Florence faisait les cent pas devant le terminal. Elle avait passé les dernières nuits dans la chambre de Mor et toutes avaient été infiniment blanches. Il ne manquait désormais à son portrait que la dernière touche : les stigmates que la maladie ajoutait de jour en jour à sa peau et qui seraient, d’ici quelques temps, plus nombreux. À mesure que la peintre en teintait sa face de toile, Flo s’était mise à les trouver moins laids.

Le jour, accoudée à Cerribos dans la bibliothèque du manoir, elle avait relu Le portrait de Dorian Gray. Elle se rappelait en avoir détesté la lecture scolaire. Aujourd’hui, ce bouquin lui paraissait plus savoureux.

Le matin même, Mor et elle s’étaient dit au-revoir devant la grille forgée. Certainement pas adieu. Leurs retrouvailles étaient d’ores et déjà programmées. Flo ne redoutait plus le collet, dont la luxure morbide avait assaisonné tant de ses orgames. Il évoquait désormais une note nostalgique : le jouet fétiche d’une vieille amie.


Je m'assiérai de nouveau à ta table, et nous boirons le thé, et nous nous raconterons comme si de rien n’était les cent dernières années.


Lorsque Djamila parut dans le cadre du portique, déséquilibrée par sa grosse valise, un tremblement de terre secoua le visage de Flo, ses lèvres tectoniques divisées par un large sourire, des typhons plein les yeux.

Les deux femmes tombèrent dans les bras l’une de l’autre, et la valise au sol. L’ex tueuse d’Atylwat enfouit son visage dans le col cotonneux de sa belle amante. Celle-ci lui répondit d’une caresse dans la nuque.

— Tu te fous de ma gueule, hein ! gronda-t-elle Flo. T’avais dit “pas de pleurs”. Pourquoi tu fais la fontaine ?

— Je t’aime.

— Tu avais aussi dit “pas de niaiseries”.

— Je t’aime quand même.

— Moi aussi, idiote.


Bras dessus bras dessous, elles s’en retournèrent à l’hôtel où Flo avait cru bon de prolonger sa réservation. Elle s’était soigneusement débarrassée de toutes ses armes en prévision de ce jour. Ne restaient que les engins de torture destinés à soulager ses maux.

Ces jours-là, le soleil les gratifia de ses rayons radieux. Elles parcoururent la ville de long en large. Elles s’enfilèrent trop de glace sur les rives de l’Arno et, une fois seulement, Flo changea de parfum.

Carbone, vraiment ?

— Il paraît que le charbon c’est bon pour la digestion, sourit Djamila.

— De la glace aux cendres de trucs morts ? Parfait. Je prends ça.

Au détour d’allées incertaines, elles s’échouèrent sur des places magnifiques, des musées méconnus et d’innombrables chapelles. La dernière, délabrée, rappela à Flo l’enfant qui, autrefois, en voulait au monde entier et surtout à Dieu.

— Tu crois qu’Il existe ? demanda-t-elle à Djamila.

La belle haussa les épaules.

— Je crois que, Dieu ou autre chose, on n’est jamais vraiment seul.

Le ciel lui répondit alors, en déversant sur elles les trombes d’eau qu’il avait retenues jusqu’alors. Dans l’éclat du jour, la pluie brillait de mille couleurs. Elles se réfugièrent sous le porche du sanctuaire et Djamila se mit à fredonner l’air du Magicien d’Oz.

Au soleil couchant, les cloches retentirent. Alors, Flo tira Djamila sur les marches, sous la pluie. À deux mains, elle ôta solennellement la capuche qui protégeait ses longues boucles.

— Vous pouvez embrasser la marée, gloussa la brune au visage ruisselant.

Flo ne se fit pas prier. Pressant les lèvres sur la bouche adorée, elle déroba encore quelques minutes au Temps impitoyable.


La dernière nuit à Florence eut tout le charme d’une nuit de noce, alors même qu’elle marquait la fin du voyage. Le lendemain, mains dans les poches, Flo raccompagna Djamila jusqu’à l’aéroport. Le regard fuyant, sa belle amante retenait ses larmes et ses adieux.

— Je ne veux pas te quitter, Florence.

— Tu n’as pas le choix, ta vie est ailleurs.

— Ce que tu traverses, tu sais, ça ne me fait pas peur.

— Je sais.

— Je veux t’accompagner jusqu’au bout.

Flo baissa les yeux, dissimulant la joie qui lui rongeait les lèvres. Elle sortit les mains des poches, et son propre billet d’avion.

— Pour le moment, c’est moi qui t’accompagne.

— Tu détestes Paris !

— Mais tu n’es pas Paris.

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