Partie 4/8 : La volada de Precios (L'envol de Précieux)
Leur vœu fut exaucé ! Le cheval blanc deu noste Enric débordait de vitalité malgré son âge avancé et ses nombreuses années sur le champ de bataille. Il était évident qu’il était heureux dans son nouvel habitat.
La première année, les villageois refusèrent de prendre le risque de le laisser seul. Il était hors de question de le perdre dans une attaque de loups ou d’ours. Aussi, les enfants étaient mis à contribution jour et nuit pour veiller le Joyau de la Couronne.
De cette prérogative, personne ne s’en plaignait : pas le cheval, qui appréciait la compagnie des dròlles, ni les bambins qui adoraient lo luminós chivau et encore moins les adultes, dont le spectacle du galop flamboyant, illuminés leurs visages à chaque représentation.
La seconde année, il avait été décidé de construire un abri de sécurité et l’animal pouvait enfin jouir d’un répit – d’un moment de solitude – durant les nuits.
La cinquième année, celle-même où la vielhòta dauna solitaire se résigna à s’appuyer sur un bâton lors de ses déplacements, le cheval blanc n’avait rien perdu de sa jovialité. Il était heureux et le roi se soulageait de le constater à chacune de ses visites.
Ainsi, entre les rencontres chaleureuses du souverain et la santé remarquable de son cheval, les artésiens avaient progressivement oublié la sentence néfaste qui les attendait à la mort de l’équidé.
Durant la huitième année, le spectacle des galops se raréfia. Mais personne ne s’en inquiéta. Le destrier vaguait à ses occupations, le jour, et se nourrissait abondamment. L’été, il prenait autant de plaisir à s’ébrouer dans les rebords boueux des rivières, amusant les paysans à proximité, lorsqu'il se présentait à eux, son pelage salit par la terre humide.
- Espia aquiu ! rit l’un d’entre eux, occupé à bêcher dans un champ. Si je ne te connaissais pas, jamais je ne croirais que tu es le cheval blanc de notre roi !
- Blanc ? s’amusa son collègue près de lui. Si tu me demandes quelle est la couleur du cheval blanc d’Henri IV, je te répondrais : gris. Parce qu’il est sale !
A ces mots, les nombreux paysans travaillant la terre, se mirent à rire à gorge déployée.
- Celle-là, calhonet ! s’exclama le premier, elle est tellement bonne, qu’elle traversera les siècles !
Et c’est dans cette merveilleuse humeur que se profila la neuvième année.
Un matin ensoleillé, alors qu’une dròlla finissait de préparer le saut d’avoine qu’elle se réjouissait d’amener à l’animal, elle prit la route de l’abri. Elle était de ces enfants assez sages et responsables pour avoir le privilège de passer ses journées auprès de lui, plutôt que de s’activer dans la cuisine avec sa mère ou dans les champs avec son père et ses frères.
Rien ne lui parut étrange lorsqu’elle poussa la lourde porte du box. Elle aperçut la belle fourrure blanche de son ami, allongé sur le sol.
- C’est moi, Preciós ! fit-elle, utilisant l’affectueux surnom que lui ont donné los dròlles du village. Je t’apporte l’avoine et je t’ai amené la pomme de mon dessert d’hier. Je sais que tu adores ça !
La fillette versa le contenu du saut dans la mangeoire. En se redressant, un mauvais pressentiment s’empara d’elle.
Estrange !
Elle savait prédire immanquablement le comportement de lo relau chivau. Or, d’habitude, il se précipitait vers elle pour renifler bruyamment les poches de sa robe, en espérant y dégoter sa friandise préférée.
La petite fille se dirigea vers l’animal, pour l’y découvrir allongé, la tête délicatement posée sur la paille, les paupières closes.
- Preciós ? l’appela-t-elle, à l’affut de la moindre réaction.
Aucune ne vint !
- Lo men mei Preciós, réveille-toi, s’il te plait ? répéta l’enfant dont les premières larmes déferlèrent sur ses joues mâtes.
La dròlla insista ardemment, mais il resta immobile. A la tristesse de l’événement, l’enfant s’agenouilla près de lui en sanglotant. Puis, elle se pencha sur le corps sans vie du cheval pour l’étreindre une dernière fois. Les larmes de la fillette ne se tarissèrent qu’en fin de matinée. Moralement épuisée, elle se décida à courir dans le champ où son père labourait, pour l’avertir du drame.
- Papà ! cria-t-elle. Lo chivau blanc d’Enric lo 4au que s'ei mort !
- Le cheval blanc d’Henri IV est mort ? En es-tu sûre, la mia hilha ? lui demanda son père.
Après confirmation,, le paysan prit le chemin du box, en compagnie d’une dizaine d’autres hommes. Arrivés sur les lieux, un silence solennel s’installa.
Même dans la mort, lo Jolà de la Corona gardait sa splendide prestance. Un lourd climat de tristesse se répandit.
Lo chivau deu rei était un habitant à part entière du village d’Artés. Ces neuf dernières années, il émerveillait, par son passage, les rues et les vallées verdoyantes du coin. L'ambiance du village ne sera plus jamais la même sans le bruit clinquant de ses sabots ferrés. Le cœur lourd, les paysans prirent la mesure néfaste de cette soudaine absence.
- Dia funèst ! s’enquiert le père de l’enfant. Ramenons-le au bourg !
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