Chapitre 2 : La découverte

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Il y a quinze ans, je travaillais seul sur un modèle géométrique de classement des nombres. Ce modèle devait permettre de définir une règle de détermination des nombres premiers ce qui me valait les railleries de mes confrères qui pensaient que cela n’avait aucun intérêt en plus d'être une peine perdue. Alors que je mettais une pièce d’un Euro Fédéral dans la machine du réfectoire et que je prélevais un gobelet de ce café immonde, je croisai le docteur Emelyne Bonsaint qui venait chercher sa dose matinale de caféine.

« Bonjour Ameer, me dit elle poliment.

— Bonjour Emelyne, tu viens chercher ton café du matin ?

— Oui. Il est infect mais je m’y suis habituée. Et toi, toujours sur tes nombres ?

— Oui, oui, toujours dessus. C’est passionnant, j’espère arriver rapidement à un résultat.

— C’est curieux, j’ai beau être une scientifique, je n’ai jamais accroché aux mathématiques. Je n’en ai plus fait depuis très longtemps d’ailleurs. Je ne suis pas certaine que j’arriverais encore à résoudre une équation. En ce qui concerne les nombres premiers, je sais à peine ce que c’est et je suis loin de savoir ce que tu cherches à leur sujet. Ça t’intéresserait pas de bosser sur autre chose ? »

Je savais bien que pour le commun des mortels, il s’agissait d’un sujet d’études les plus ennuyeux qui fût. Je tins tout de même à partager avec elle le contenu de mes recherches et j’ouvris mon ordinateur portable que je plaçai devant nous sur petite table en verre, ronde et haute, faite de cette manière pour qu’on ne s’y attarde pas.

« Les nombres premiers sont fascinants parce qu’ils renferment une sorte de mystère. Je pense que tu sais déjà qu’un nombre premier est un nombre qui n'admet que deux diviseurs entiers et positifs tel que le quotient soit entier également. Ces diviseurs sont 1 et lui-même.

— Oui oui je me souviens bien de ça, je suis rouillée mais pas à ce point. 3 est premier car il n’est divisible que par 1 et par 3, 4 ne l’est pas. Mais il y a quoi d’autre à savoir sur le sujet ?

— Plus on avance dans la liste des nombres entiers, plus ces nombres premiers sont rares. En effet, c'est bien logique, si 3 est premier, tous les multiples de 3 ne seront pas premiers puisque qu'ils seront divisibles par 3. Aujourd’hui, nous ne savons pas déterminer de méthode permettant de définir à coup sûr un nombre premier infiniment grand.

— Qu’est ce que tu veux dire par là ?

— Eh bien nous pouvons vérifier qu’un nombre infiniment grand est premier ou non, mais on ne connaît pas la régularité, la loi qui défini l’apparition d’un nombre premier. On les connait tous jusqu’à un certain point mais étant donné qu’il y a une infinité de nombre, on ne peut pas tous les essayer. Il faudrait qu’on puisse connaître leur loi d’apparition.

— Mouais. T’as raison on ne peut pas savoir. Mais est-ce si grave de ne pas savoir si 2.5 gogol possède plus de deux diviseurs ?

— On le sait déjà, 2.5 gogol est à minima divisible par 10, répondis-je l’air malin.

— Oui ! Disons 1 gogol 527. On s’en fout de savoir s’il est premier ou non.

— Oui tu as raison, on pourrait tout à fait s’en foutre. Disons qu’à la base ça part d’une énigme mathématique relativement ludique. Mais vois-tu il y a un intérêt à étudier les mystères mathématiques. La nature renferme des secrets chiffrés, des proportions ou des lois qui paraissent divines et que nous pouvons comprendre rationnellement en étudiant les mathématiques. Savoir donner une valeur à ce rapport qu’est le nombre d’or, bien que peu mystérieux de nos jours, nous a permis de mieux comprendre l’architecture de la nature et de développer l’architecture humaine. Par exemple.

— Oui c’est vrai. J'ai entendu pas mal de chose à ce sujet et je ne l'ai jamais approfondi. Mais alors pour les nombres premiers, j’ai du mal à voir ou on va.

— Et bien ils ont ceci de fascinant qu’ils sont bruts. Ils ne sont pas le produit d’autres nombres. Comme s’ils étaient « plus uniques » que les autres, tu comprends ? Ce qui est intéressant, c’est que de nombreux mathématiciens ont tenté d’organiser les nombres pour mettre en évidence une régularité dans l’apparition des nombres premiers et ainsi définir une formule mathématique, une suite arithmético-géométrique, permettant de retrouver un nombre premier, même extrêmement grand. »

Je sortis un feutre de ma veste et commençai à dessiner des nombres sur le verre de la table. Je repris mon explication.

« Parmi ces essais, la spirale d'Ulam est devenu célèbre pour avoir donné un début d'ordre à ces nombres premiers. La méthode était simple, écrire les nombres en carrés concentriques comme je suis en train de le faire devant toi, de sorte qu'ils forment une spirale.

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(navré je ne peux pas mettre d'image ici, je vous envoie vers un lien)

Inscrits de cette manière, une tendance ressort, les nombres premiers s'alignent selon des axes diagonaux... mais pas exactement.

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Comme tu le vois ce n’est pas parfait, et plus je vais tracer des nombres, moins ce sera parfait. Je vais te montrer autre chose ». J’ouvris mon ordinateur portable.

« Ah ouais ! C’est pas mal. Je dois dire que tu as réussi à retenir mon intérêt, me dit Emelyne. Je me demande comment ce « Ulam » a pensé à chercher dans cette direction.

— Il a fallu qu’il se laisse prendre par la fascination pour ça, souris-je. Bon, regarde, en noircissant les nombres premiers sur les quelques premiers millions ou milliards de nombres, les chercheurs ont tenté de trouver des motifs. Différentes formes géométriques d'organisations ont été essayées. En cône, en pyramide, en trois dimensions etc. Là-dessus, c’est en forme de cône, donc finalement, une spirale en trois dimensions.

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Ce genre de motif ne permet de mettre en évidence que des probabilités d’obtention d’un nombre premier. On ne parle que de probabilité puisque les motifs ne concordent jamais parfaitement avec l’apparition des nombres premiers.

— Oui oui j’ai bien compris, les spirales faites de nombres premiers ne sont pas des spirales parfaites, les cônes ne sont pas des cônes parfaits et ainsi de même pour toute droite ou courbe qui veut bien tenter de représenter la distribution des nombres premiers.

— Exactement ! Mais tu vois, nous parlons de modèles en trois dimensions parce que notre entendement, notre capacité à nous représenter des motifs, est limitée à trois dimensions d'espace. On peut parfaitement imaginer que ces nombres s’aligneraient parfaitement si nous étions capables de les représenter sur plus de trois dimensions. Après tout, les différentes théories de physiques fondamentales postulent depuis plus d’un siècle l’existence de nombreuses dimensions d’espace. Donc j’ai tenté d’écrire les nombres non pas sur un cube mais sur un tesseract…

— Autrement dit, l’équivalent de la forme cubique adaptée à quatre dimensions d'espace, c’est bien ça ? m’interrompit-elle.

— Oui tout à fait. Notre œil conçoit difficilement des motifs sur une représentation bidimensionnelle d'un espace à quatre dimensions, donc j’ai conçu un modèle informatique capable d'écrire les nombres sur N dimensions d'espace, sans représentation graphique.

— Mmmh, comment ça ? m’interrogea-t-elle intéressée.

— Il s’agit d’un modèle uniquement mathématique dont le but est de réaliser un balayage des nombres premiers et d’écrire ces balayages par des polynômes à N dimensions. Ma première représentation à huit dimensions a donné des résultats assez satisfaisants, les probabilités de trouver un nombre premier étaient très proches de 1 sur une plage de plusieurs centaines de milliards de nombres…

— C’est incroyable ! On dirait que tu as raison, tu vas trouver un modèle.

— Et attends la suite ! Puis j'ai essayé d'augmenter le nombre de dimensions. Les corrélations donnaient des erreurs inférieures à 10 puissance -137 sur 21 dimensions d'espace. Au-delà de 22 dimensions d’espace, l’erreur d’alignement a commencé à augmenter.

— Mince ! ça n’a pas de sens. Rétorqua Emelyne qui suivait très bien mes explications.

— Puisque mes modèles n'avaient plus aucune signification géométrique, j’ai tenté d'utiliser un nombre décimal de dimensions. Et devines quoi, il semblerait qu’à 21,7 dimensions, la corrélation soit parfaite !

— Mais alors ça veut dire que tu as trouvé ?

— Je pense oui. Je viens d’avoir l'autorisation de monopoliser le supercalculateur pour vérifier mon hypothèse. Il y en a pour 13 mois. En attendant, je peaufine mon mémoire.

— Ah mais c’est toi qui utilises le supercalculateur ? Et bien je ne pensais pas que tu réussirais à m’intéresser au sujet. Je ne vois pas encore très bien ce que seront les conclusions mais je te souhaite toute la réussite possible. En attendant, je retourne à mes cellules souches. Bonne journée Ameer.

— Bonne journée également Emelyne.

Un an et demi plus tard, le mystère de l’organisation des nombres premiers était dévoilé. Mais cette découverte eut plus d'impacts que prévu. En effet, la « théorie GM » de réunification des lois de la physique, était encore mathématiquement confuse et supputait l'existence d'univers multiples à X ou Y dimensions. Plusieurs chercheurs ont supposé que les nombres premiers décrivaient quelque chose de fondamental, par leur essence même. Certains avaient essayé de comprendre la signification géométrique d’une dimension à virgule. Partant de ce nouveau point de départ, ils trouvèrent un modèle de conformation spatial des dimensions de l’univers qui mit toute la communauté scientifique d'accord. Les nombres premiers renfermaient des réponses aux énigmes de l'univers, des réponses mathématiques du moins, et dont la première fut qu'il possédait vingt-et-une virgule sept dimensions d'espace. Puis, en étudiant les conformations de repliement de ces dimensions, la communauté scientifique parvint à compléter la théorie d’unification des lois de la physique. Toutes les énergies, toutes les forces pouvaient s’écrire avec la même équation ondulatoire à vingt-et-une virgule sept dimensions. Ce fut la première étape pour avoir accès à une énergie encore inaccessible, et semblant émerger du vide. Cette énergie phénoménale que nombre de scientifiques ont appelé « énergie sombre » ou « matière noire » à cause de son caractère mystérieux et indétectable semblait être responsable du Big Bang, c'est-à-dire de la génération d’énergie et donc potentiellement de matière à partir du vide. Depuis ces découvertes, de nombreux projets virent le jour.

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