Chapitre 9 : Vers la Terre

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Sur les mois que durait le chemin de retour, Anabella et moi nous étions indéniablement rapprochés. Nous flirtions sans réellement discuter de notre relation. Nous étions changés tous les deux par cette expérience. Je sentais une pointe de mélancolie dans son regard et dans sa voix, ou peut-être n'était-elle que le miroir de mon propre état d'esprit. Malgré le succès du voyage, nous le vivions encore comme une épreuve difficile, Il nous sembla que seule une chance insolente couplée à notre combativité nous avait sorti d’affaire. Enfin, pas tout à fait sortis d’affaire car nous étions encore seuls dans l’univers. A nos yeux, le voyage s’était mal déroulé.

Anabella était au hublot pendant que j'avalais le contenu d'une poche de nutriments lyophilisés.

— Ameer ? Viens voir.

— Qu'y a-t-il, Bella ?

Je m'approchai, curieux de ce qu'elle voulait me montrer.

— C'est la Terre là bas, regarde, j'ai cru que c'était un corps migrant mais maintenant, j'arrive à apercevoir la Lune. Pas de doute, c'est la Terre.

— C'est formidable, elle arrive de notre côté.

Lorsqu'on est perdu dans le système solaire, voire même ailleurs, le mot "Terre" résonne comme le crépitement de la cheminée de son doux foyer. Mieux que ça, cela résonne comme les bras ouverts d'une mère. Oui c'est bien ça, "Maman".

Il reste encore quelques détails à expliquer. Quand Vernes II a été lancé, il n'avait pas forcément pour vocation de revenir sur Terre. L'étalonnage n'ayant pas été fait, il était impossible de savoir quelle serait l'accélération temporelle subie. Les données de la boîte noire du vaisseau étaient de toute façon récupérables par radio. Dans notre cas, des calculs plus précis avaient pu être effectués pour connaître exactement notre date de retour. Cependant il sembla à cet instant que la Terre ne se trouvât pas là où elle aurait dû se trouver. Je compris que le déclenchement de la bombe numéro deux ne s'était pas déroulé tout à fait comme prévu. J'avais ressenti un champ de gravité trop important ce qui était la marque d’un léger décalage du déclenchement de la deuxième bombe. Ceci eut pour effet de décaler également le déclenchement de la troisième bombe, c’est à dire la deuxième bombe à distorsion qui amorçait notre déplacement de retour. Elle n’avait pas explosé exactement au bon endroit et avait occasionné une légère erreur dans notre deuxième bond dans le futur. En conséquence la Terre avait eu le temps de se déplacer sur son orbite. Je repris :

— Elle est bien trop avancée. Nous avons plusieurs mois de décalage sur notre retour prévu.

— Encore une chance qu'elle soit du bon côté du Soleil ! Nous devons l'intercepter ou notre mission est terminée.

Je pris une respiration et donnai un baiser sur le front d'Anabella qui resta concentrée sur le hublot.

J'entamai alors quelques calculs de trajectoire en me basant sur des mesures manuelles réalisées avec le télescope de Vernes. En pointant la terre à intervalles réguliers et en notant les coordonnées sur le télescope, j'ai pu déterminer sa trajectoire, rectifiée par le changement de référentiel dû au déplacement du vaisseau. La position fixe du soleil me donnait une bonne indication de la distance qu'il restait à parcourir.

— Il n'y a pas de temps à perdre, on est vraiment justes, dis-je à Anabella.

— Tu penses qu'il est encore temps ?

— Je pense, oui, mais on n'est pas à l'abri d'une erreur de calcul, mes valeurs restent approximatives. Nous sommes à peu près dans les temps à plus ou moins une journée, je vais corriger la trajectoire tout de suite.

— Il faudra qu'on mette en place une surveillance de nuit pour vérifier qu'on ne s'écarte pas trop de la trajectoire cible.

— Je suis d’accord, toutes les quatre heures au moins. A l'approche de la Terre, nous tenterons d'utiliser la radio toutes les heures, sait-on jamais.

Nous surveillâmes donc notre trajectoire de jour en jour. Le plan avait l'air de bien se dérouler, à ceci près que les réserves de carburant s'épuisaient plus que prévu. Dans la panique, j'avais dû sur-utiliser les propulseurs lorsque nous avons fait demi-tour près du trou noir. Je n'osai pas en parler à Anabella de peur de l'alarmer pour rien. Les jours passants, nous arrivâmes à quelques centaines de milliers de kilomètres de la Terre.

Anabella scrutait notre trajectoire :

— Ameer, on va la rater. Regarde elle est juste devant. D'ici quelques heures, le temps qu'on avance encore, on sera derrière son passage. Il faut faire quelque chose.

Elle m'annonça ce que je savais déjà.

— Bella, on manque de carburant.

— Putain, c’est pas vrai ! On est à sec ?

— Pas complètement, non. Soit on décide de ne pas accélérer et d’utiliser le carburant pour ajuster notre trajectoire et intercepter la Terre, mais vu sa position actuelle, je crains qu’elle ne soit sur le point de changer de direction et elle nous distancera même avec tout le carburant du monde, soit on décide de mettre tout ce qui reste pour accélérer selon le chemin le plus court tel qu’on l’anticipe maintenant et on croise les doigts. On n'est pas si loin que ça, il y a des chances pour que ça fonctionne. Je ne vois pas ce qu'on pourrait faire d'autre. Il est trop tard pour essayer de prendre une impulsion sur l'orbite de la Lune. Ça donne quelque chose la radio ?

— Non rien jusqu'ici, je tente encore d'appeler.

Je m'accordai encore quelques minutes de réflexion tandis qu'Anabella harcelait toutes les fréquences avec la radio. Un grésillement familier à mon oreille se fit entendre. Et je cru entendre une voix humaine au loin.

Anabella parlait :

— Ici Vernes III gamma mayday, nous arrivons près de la Terre, nous manquons de carburant. Est-ce que quelqu'un me reçoit, nous avons besoin d'aide ?

— crrrmadhfk...positfgs..kjcevez. donnez...sdlk..ljksition. Vous sdRece..vez ? Donnez ftr position.

— Ici Vernes III gamma, je suis Anabella Lucchesi, on vous reçoit. Latitude vingt point un degrés Nord, longitude cent soixante-dix-sept degrés Est, altitude deux cent quinze mille six cent trente et un kilomètres. Nous nous déplaçons actuellement à une vitesse d'environ quarante et un mille huit cents kilomètres heure.

— Ici le centre de contrôle Shelton, j'entre ces données. Je crois qu'un objet a été repéré dans cette direction. Vous êtes bien orientés, vous atteindrez notre orbite dans environ cinq heures, mais vous devez modifier votre trajectoire ou vous ne pourrez pas atteindre l'atmosphère.

— Nous manquons de carburant. Nous ne savons pas si c'est possible.

Je m'étais approché pour prendre la discussion en cours. Je tentai d'apporter ma contribution au problème.

— En fait, il ne nous reste plus que de quoi donner une ou deux grosses impulsions, peut être trois. Mais un réglage fin n'est plus possible. Il consommerait beaucoup trop et nous sommes à sec.

— Je vois, mais à cette vitesse là, vous allez traverser l'orbite terrestre et la quitter aussitôt.

— Nos propulseurs latéraux sont orientables. En les dirigeants vers l'avant, on peut envisager de réduire la vitesse du vaisseau.

— Mais vous venez de me dire qu’un réglage fin n’était plus possible, vous allez prendre le risque de complètement rater l'orbite.

Bien qu'entendre une voix humaine était réconfortant, et malgré la situation urgente, j'ai senti qu'Anabella perdait patience devant le calme apparent de notre interlocuteur. Elle reprit la parole et dit :

— Et bien nous attendrons la dernière minute ! On va accélérer un peu maintenant et une fois arrivés au niveau de l'orbite terrestre, de quatre cents à cinq cents kilomètres d'altitude, nous mettrons toute notre poussée pour ralentir le vaisseau.

Je rajoutai :

— Etant donné que notre trajectoire est tangente à l'orbite terrestre, nous ne devrions pas avoir besoin de trop ralentir. Une vitesse de vingt-cinq mille ou trente mille kilomètres heure devrait être acceptable pour rester en orbite, non ?

— Ça devrait pouvoir marcher, répliqua notre interlocuteur un peu hésitant. Nous gardons la fréquence ouverte et vous dirons quand procéder à la décélération. Si vous restez en orbite, vous ne serez pas loin de la station ISS 8. Avez-vous encore des vivres pour que nous procédions à une mission de récupération ?

— Oui, rien à déplorer à ce sujet. On a de quoi vivre là-dedans pendant encore un bout de temps, répondis-je.

— Parfait, on attend le signal, conclut Anabella.

Les quelques heures qui suivirent furent interminables. Anabella et moi avions renfilé nos combinaisons. Puis, nous attendîmes le signal.

— Ici le centre de contrôle, vous êtes prêts ?

— Prêts, répondîmes-nous en cœur.

— Réglez l'injection de carburant sur le débit le plus faible possible. Ensuite, n'éteignez plus les propulseurs.

Le but de cette manœuvre est d'éviter que la décélération soit trop brutale. Or nous avions redouté qu'une fois une impulsion donnée, il ne serait plus certain qu'une seconde impulsion soit possible en raison de la faible quantité de carburant restant. Le centre de commandement avait dû considérer que tant que le débit d'injection de carburant était continu, il se maintiendrait tout seul jusqu'à épuisement total des réserves. Je fis confiance à ces inconnus et exécutai l'ordre.

La décélération fut tout de même brutale, mais à côté de ce que nous avions vécu jusqu'ici, il aurait été bien dommage de céder physiquement à quelques pas de l'arrivée. Les attaches de nos sièges nous servaient fidèlement et nous maintenaient en place. Après quelques minutes, notre vitesse était stabilisée. Anabella et moi nous levâmes et regardâmes l'horizon, en espérant que celui-ci ne prendrait pas la fuite. Le temps s'était arrêté pour que nous profitions de notre douloureuse attente. Nous n'osions plus bouger, comme si le moindre mouvement allait entraîner Vernes vers un état instable nous faisant quitter l'orbite. Après plusieurs dizaines de minutes, le centre de contrôle nous a confirmé qu'enfin, nous semblions stables sur l'orbite terrestre.

Il n’y avait plus qu'à apprécier le temps qu'il nous restait à tous les deux, seuls, là-haut, jusqu'à ce qu'on vienne nous sauver…

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