Chapitre 18 : CRC
Je me réveillai dans un lit, pas le mien. Le soleil entrait par une fenêtre et me réchauffait doucement le visage. Dans mes derniers souvenirs je m’étais trouvé mal dans le cabinet du médecin, au service médical. Je sortais de ma torpeur et constatai que j’étais seul dans une chambre plutôt vide. J’activai machinalement mon amplificateur et pressai derrière mon oreille droite pour switcher la réception sur une chaîne d’informations. Je fermai la réception visuelle pour pouvoir explorer mon environnement.
« La police de lutte contre la clandestinité a enquêté sur la direction d’Human Lab à propos des abandons de clones. BiCd1005 –Peterson a été mis en examen ce matin même en tant que dirigeant de l’usine de New Age City. Le modèle BiCd1005 étant jugé efficace mais trop agressif pour respecter les lois, il serait souhaitable qu’il soit rapidement mis à jour. Les suites de cette affaire… »
Je me dirigeai vers la porte de la chambre. Elle était partiellement vitrée par des briquent de verre opacifiant. Je perçus toutefois qu’il y avait du mouvement. J’entrepris d’ouvrir. La porte donnait sur un couloir ou des clones vêtus de blanc s’activaient et bougeaient dans tous les sens. L’un d’eux s’arrêta, une femme de seize ans environ. Elle n’était pas très grande, un mètre soixante-dix ou un mètre soixante-quinze tout au plus. Elle était brune, avec des cheveux lisses attachés et avait des formes généreuses, sans doute indispensables pour inspirer une confiance maternelle.
« Ah vous êtes réveillé ! AdCS187 – Smith c’est bien ça ?
— Euh, oui, répondis-je.
— Bienvenue au Centre de Réintégration Citoyenne, annonça-t-elle avec un grand sourire. Vous vous êtes évanoui devant votre médecin au bureau national des naissances.
— Oui, je crois que je m’en souviens. Pourquoi m’a-t-on conduit à l’asile ? Je ne suis pas déviant.
— Il ne faut pas dire ASILE monsieur Smith ! Se fâcha-t-elle. Il y a des gens qui ont besoin d’aide vous savez ? Cela peut arriver à tout le monde d’avoir un coup de mou. Il faut juste qu’on vérifie que vous n’êtes pas déviant, ça ne sera pas long. Et puis les soucis de gestation ou d’élevage sont plus fréquents qu’on ne le croit, ce ne serait pas votre faute. Vous allez voir vous allez prendre du repos ici. »
Elle avait une bonne humeur communicative qui stoppa rapidement mon angoisse.
« … L’avocat de Peterson s’est exprimé sur le sujet et prétend que son client met tout en œuvre pour trouver les responsables d’un fléau qui tend à sortir de la marginalisation, et qu’il assumera ses responsabilités si des dérapages sont dus à un manque de surveillance de son équipe… »
Je doutais d’être libre dans cet endroit. Je demandai :
« Suis-je libre de partir ?
— Ne dites pas n’importe quoi, me répondit elle, vous ne pouvez pas partir car c’est votre entreprise qui vous a assigné ici. Mais vous allez être très bien traité ne vous en faites pas. Vous pouvez communiquer avec les autres AdCS et vous balader librement dans cette aile du bâtiment. Un éleveur spécialisé pour clones adultes viendra vous voir dans la journée et définira, si nécessaire, un programme pour les prochains jours. Les repas sont à midi pile et dix-neuf heures pile. Le réfectoire est au rez-de-chaussée. Détendez-vous monsieur Smith. »
Elle posa sa main sur ma joue et repartit vaquer à ses occupations. Je suivais le couloir dans la direction qui me sembla la bonne. Il y avait des salles de classe, comme pendant l’élevage. Un peu plus loin, une bibliothèque était ouverte. Quelques clones, dont un « 187 », le même modèle que moi mais les cheveux teints de couleurs arc-en-ciel, étaient assis près des tables et bouquinaient.
« … La déléguée à la sécurité du consortium, Prime2003-Athéna, a annoncé que les chiffres de clandestinité étaient en baisse constante. Le consortium se félicite de l’efficacité des mesures … »
Cette annonce de la déléguée à la sécurité me surprit tant la quantité de clandestins me semblait élevée. La croissance de bidonvilles à Egality City n’était pourtant pas une illusion. Bref, je regardais à l’intérieur de la bibliothèque et fermai la réception de mon amplificateur. A l’intérieur, une toute petite clone d’environ 1m60 était en train de lire. C’était un modèle que je n’avais jamais vu ou croisé jusqu’alors, qui ne ressemblait à aucun autre. Elle avait des imperfections de symétrie et un style de visage inhabituel. Cela la rendait attrayante. Je ne cessai de la regarder sans vraiment savoir si je regardais ses imperfections ou si je l’admirais. Je crois que plusieurs minutes s’écoulèrent avant que je ne décide d’entrer. Je choisis un tube un peu plus loin à l’opposé de l’endroit où elle était assise. J’étais fasciné par son visage. A chaque pas en avant, j’essayai de regarder devant moi pour marcher droit mais mon regard se raccrochait systématiquement au visage de cette clone, finalement assez âgée, comme si son image devait s’ancrer dans ma mémoire de façon indélébile. J’attrapai un tube au hasard « Mille-et-une illustrations par mille et un Artistes : partie 1 spéciale clones administratifs ». Je chargeai le tube sur mon amplificateur, il s’agissait d’une unique illustration vue par un millier d’artistes. Le tube expliquait que les illustrations n’étaient pas toutes strictement identiques, qu’il y avait de petites variations fascinantes d’un clone à l’autre. Ça ne m’intéressa pas beaucoup. Je filai m’asseoir à quelques tables de celle que j’observai en m’assurant d’avoir une vue dégagée sur la petite femme. Elle semblait concentrée, avec une main sur l’oreille. Je vis qu’elle avait la peau rougie au niveau de sa commande d’amplificateur, elle était irritée comme si elle venait juste de se le faire installer. J’eus immédiatement envie d’appliquer mon sexe contre le sien. Mais elle n’était sans doute pas une clone prostituée. Je croisai les doigts pour qu’elle ait envie elle aussi, bien que les clones administratifs ne soient pas les plus recherchés pour des applications sexuelles. Je me levai pour aller lui proposer une pénétration ou un rapport bucco-génital, peut-être les deux si elle en avait le temps, quand on m’interpella. « AdCS187 – Smith ? » Nous fûmes deux à réagir.
Je répondis « Oui ? » en même temps que l’autre clone, celui qui me ressemblait comme deux gouttes d’eau. La personne à l’entrée de la bibliothèque précisa « Smith de la chambre trois cent quarante-sept ». L’autre se rassit, j’en conclus que je devais être le Smith de la chambre trois cent quarante-sept. « Euh je crois que c’est moi.
— Je vous cherche partout. Je suis votre éleveur spécialisé, veuillez me suivre. »
Il me coupa dans mon élan alors que je jubilais à l’idée de coïter la petite clone. Mais je m’exécutai, mieux valait obéir. Ce serait peut-être pour plus tard. L’éleveur m’emmena dans ma chambre et ferma la porte. Il saisit une petite chaise et alla la poser près du lit. Il s’assit et me fit signe d’en faire autant.
« AdCS187 – Smith, vous êtes ici sur ordre de votre employeur, le bureau national des naissances. Vous avez eu un comportement inhabituel, riche en initiatives ce qui est rarissime chez les clones administratifs. Il va falloir qu’on regarde tout ça.
— Mais… je, bredouillai-je, abasourdi par son assurance. Je n’ai fait que tenter de faire gagner du temps à tout le monde et…
— Ne vous fatiguez pas, je sais déjà ça. Votre hiérarchie a dû vous expliquer que des clones sont déjà là pour optimiser les protocoles, vous n’êtes pas dans votre rôle. Ce n’est pas grave du tout, nous allons corriger ça ensemble en moins de temps qu’il ne faut pour dire « Blancs en avant » ».
Insérer une gravure d’un match de télékinésie représentatif ou retirer le paragraphe
« Blancs en avant » était le slogan de l’équipe de télékinésie d’Egality City. Ce sport mental m’a toujours insupporté et je n’ai jamais vraiment compris l’engouement qu’avaient les gens pour ce genre de matchs. Les sélectionneurs des équipes adverses étaient souvent les mêmes clones que celui d’Egality City, à un modèle d’écart près. Les joueurs étaient également les mêmes clones que les nôtres, et la majorité des matchs donnaient des matchs nuls. Le principe de ces matchs est le suivant : Une équipe est en défense et chaque joueur est lié par son amplificateur à un ensemble d’aimants disposés dans un anneau orienté de façon à ce que son axe soit horizontal. Ces aimants forment un champ magnétique à l’intérieur de l’anneau. Les aimants sont téléguidés rendant le champ magnétique variable. D’un autre côté, des milliers de billes d’acier qui doivent valoir une petite fortune sont disposées dans une rigole à l’intérieur de l’anneau. Quand le champ magnétique est activé, elles se mettent en sustentation selon la section formée par l’anneau. En déplaçant les aimants et donc en déformant le champ magnétique à l’intérieur du cercle, le nuage de billes se déplace à l’intérieur du cercle selon des formes différentes sachant qu’il n’y a pas suffisamment de billes pour couvrir toute l’aire du cercle. Chacun des quatre joueurs est lié à son anneau. Il y a donc quatre anneaux alignés horizontalement dans les airs. Le but de l’équipe défensive est de stopper le « Boulet » de l’équipe offensive à l’aide de ces billes de façon à ce qu’il n’atteigne pas la cible qui se situe dans le prolongement des anneaux. Les joueurs de l’équipe attaquante lancent chacun à leur tour une boule métallique, le « boulet » selon l’axe des anneaux via un canon magnétique. Le canon tire dans un tube composé d’une double paroi en verre qui traverse le terrain et du même diamètre que celui les anneaux. La double paroi est remplie d’un liquide conducteur ainsi que de nano particules de cuivre, formant ainsi une bobine transparente. La bobine parcourue par un courant fait léviter la balle en son centre de manière à ce qu’elle ne tombe pas. Le mouvement initial induit par le canon permet au boulet de traverser tout le terrain. Le joueur attaquant est également lié, par amplificateur, à des zones électriques de la bobine et peut donc déplacer les nanoparticules en influant sur le courant de façon à déséquilibrer le champ magnétique et faire dévier la balle de son axe. Le joueur attaquant essaye de passer les quatre anneaux de l’équipe défensive puis d’atteindre la cible sur le mur adverse. Plus la balle est proche du centre, plus l’équipe attaquante marque de points. Une fois les 4 joueurs de l’équipe attaquante passés, les rôles s’inversent. Bien sûr, l’équipe défensive peut décider stratégiquement de protéger le centre de la cible avec des défenses fixes, mais dans ce cas, elle peut être piégée par l’équipe attaquante qui a la possibilité de parier sur la zone de la cible qu’elle va toucher, multipliant ainsi ses points. Il est parfois plus rentable de viser une zone de valeur faible mais de fortement parier sur celle-ci.
Seules les compétitions dites « à contrôle aléatoire » donnaient des matchs avec des écarts de score. Mais l’écart était principalement dû à la chance donc cela n’avait toujours aucun intérêt pour moi.
Je ne répondis pas à sa remarque sur « Blancs en avant » mais l’interrogeai plutôt.
« Combien de temps vais-je rester ici ?
— Nous allons procéder un certain nombre de tests dès cet après-midi pour voir quelles sont les aptitudes ou comportements qui doivent être corrigés. D’après le rapport de votre entreprise, cela ne devrait pas être long.
— Combien de temps ? insistai-je
— Pas très long.»
Il posa doucement les doigts sur mon buste pour me faire signe de m’allonger. Puis il procéda à des tests médicaux standards. Prise du pouls, inspection des yeux et des oreilles etc. Il me laissa une dizaine de minutes et revint avec du matériel pour faire une prise de sang.
« Est-ce bien nécessaire de faire tous ces tests ?
— Oui. Tout d’abord, vous vous êtes évanoui ce qui est inquiétant. Et ensuite, la procédure exige une prise de sang pour que l’on vérifie votre code génétique et que l’on détermine si vous n’avez subi aucune erreur de gestation.
— Mais enfin regardez les autres clones dans le bâtiment, il faudrait être aveugle pour ne pas voir que je suis un AdCs. J’ai vu un autre AdCs187 me ressemble comme deux gouttes d’eau à la bibliothèque !
— Vous n’aimez pas les procédures vous ! Dit-il avant de repartir avec ses prélèvements. »
Une fois de plus, j’avais manqué de marquer des points. Peu importait, je me levai en tenant mon pansement et filai vers la bibliothèque. La petite femme si mignonne n’était plus là. Dommage…
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