CHAPITRE 31 : Papillon

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Après de longues semaines de convalescence, Miroslav m’emmena dans un bâtiment délabré dont l’accès au sous-sol était encore intègre. « Bon, il va falloir parler de cet endroit d’où tu viens, commença-t-il, raconte-moi comment ça s’est passé là-bas.

— Je ne suis pas sûr de bien le savoir, j’y suis à peine resté. C’est un lieu isolé dans lequel j'ai été envoyé depuis l'Asile. Mes amis y ont été envoyés avant moi. Ils ont semblé avoir subi de mauvais traitements durant tout ce temps. Quand j’y étais, Ameer était enfermé dans une boîte sans lumière.

— Quel malheur ! Durant tous ces siècles l’humanité n’a pas beaucoup progressé. Et toi, qu’est-ce qu’ils t’ont fait ?

— Eh bien, rien du tout. Ils m’ont posé quelques questions et m’ont laissé sortir. J’ai voulu rester là-bas, avec mes amis, mais ils m’ont contraint à partir.

— Quelles questions t’ont-ils posé ?

— Je ne sais plus des questions sans intérêt. Quel est mon matricule, quel âge j'ai... La routine.

— Et qu'as-tu répondu ? se dépêcha-t-il de demander.

— Eh bien je ne sais pas moi la vérité. J'ai dit que j'avais trente ans ... »

Je m'interrompis une seconde et me fis la réflexion que je ne me souvenais pas d'avoir répondu la vérité. En y repensant bien, c'est Valentine qui avait répondu.

« Non, c’est Valentine qui a répondu qu’elle avait 16 ans !

— Pardon ? Il y avait une autre personne présente avec toi ?

— Ce n’est pas tout à fait ça, répondis-je gêné. Disons que j’ai un peu perdu pieds... »

Je bloquais complètement, impossible de trouver un moyen d’expliquer la présence de Valentine à Miroslav. Devais-je tout lui raconter ? Y compris que j’étais coupable d’un meurtre ? Impossible de lui avouer ça, pas pour l’instant, il perdrait toute confiance en moi. Je repris une explication floue en espérant avoir à mentir le moins possible.

« Valentine est une femme qui vivait à l’intérieur de moi.

— Comment est-elle arrivée à l'intérieur de toi ? me demanda-t-il sans s'étonner de l'annonce absurde que je venais de faire.

— Je ne me souviens plus, répondis-je, elle était là depuis l'enfance.

— C'est incroyable ! C'est la première fois que j'entends parler d'un cas de schizophrénie comme le tiens depuis que je suis dans votre époque. Un clone présentant des troubles de l'identité est forcément soigné à l'Asile.

— Et où vois-tu une incohérence là-dedans ? rétorquai-je dépité.

— Ah oui pardon, se rattrapa-t-il. Et tu dis "était" ? Elle n'est plus là ?

— Elle a disparu à mon arrivée ici, après mon coma. Je le sens, elle n'est plus là.

— Son départ doit être douloureux cher ami. Mais nous n'avons pas le temps d'approfondir la question. Tu ne trouves pas ça dingue qu'ils aient accepté ta réponse ? Enfin la réponse de Valentine. Un homme d'une trentaine d'année répond qu'il a seize ans, il a dû donner un matricule de femme j'imagine si c'est Valentine qui répondait, et ça n'aurait choqué personne ?

— Effectivement c'est assez improbable que cela n'ait choqué personne, au moins aussi improbable que mes réponses.

— C'est impossible ! Ils ont vu, pardonne moi, que tu étais timbré, et ils t'ont laissé sortir. »

« Timbré » ? Je ne pouvais pas en vouloir à Miroslav, c’était la stricte vérité. Il avait été finalement bien plus honnête que moi.

« Il y a encore quelque chose que je ne t’ai pas dit. Je voulais rester là-bas et ils ont tenté de me faire sortir de force. Je me suis un peu battu avec l’un de ceux qui m’avait posé des questions dans la cellule. J’ai compris qu’il ne s’agissait pas d’humains mais de robots.

— Des robots tu es sûr de toi ? Qu'est ce qui t'as fait penser ça ?

— C'est sûr ! Au début j'ai été intrigué parce que celui que j'avais blessé au visage ne saignait pas. Puis, pour en avoir le cœur net, j'ai violemment collé ma main là où il aurait dû y avoir un sexe. Il n'y avait rien du tout je peux te l'assurer, j'aurais senti une coccinelle à cet endroit.

— Un modèle de clone un peu particulier peut être ? Es-tu sûr qu'il s'agissait d'un homme ?

— Enfin ! Je suis peut-être "timbré" mais je sais reconnaître un homme d'une femme. Il n'y avait rien je te dis, c'était dur et plat, il ne saignait pas.

— Pourquoi avoir créé des robots alors qu'aujourd'hui on n'en emploie plus du tout ?

— Je pense qu'ils sont vieux, comme pour les autres robots encore en circulation. Ils sont justes d'un niveau technologique très élevé. Ils étaient relativement petits, comme Ameer et Anabella, comme toi. Comme s'ils avaient été créé sur le modèle des Hommes d'il y a plusieurs siècles et qui étaient plus petits qu'aujourd'hui.

— Eh bien, je n'en vois pas l'intérêt mais je peux l'admettre, il existe toujours des vestiges de l'ère des robots encore fonctionnels. Et tu penses qu'ils ne font pas la différence entre un homme et une femme ? Entre une personne de trente ans et une de seize ?

— Comment expliquer qu'ils aient accepté mes réponses autrement ?

— A mon avis, c'est plus compliqué que ça. Je vais te dire ce que j'en pense. Tu m'as dit qu'Ameer était enfermé dans une boite, dans le noir ?

— Oui, c'est là qu'ils l'ont conduit à mon arrivée. Anabella je ne sais pas, mais elle avait l'air constamment apeurée.

— A mon époque, l'histoire faisait mention de pratiques secrètes plus ou moins cruelles et datant de plusieurs siècles qui permettaient de "programmer" des humains pour faire certaines tâches. La méthode consistait à créer un trouble dissociatif de l'identité, créer plusieurs personnalités en quelques sortes, par l'application de sévices multiples qui n'avaient que l'imagination pour seule limite. L'une des méthodes était la privation sensorielle par exemple, un peu comme ce que semble subir Ameer. Ces traitements sont si durs à vivre que la victime, par pure négation, crée une autre identité qui subit les tortures à sa place. Les tortionnaires ont tout le loisir d'éduquer les différentes personnalités pour des applications diverses.

— Voilà ce qu'ils font, ils les reprogramment. »

Ce que me dit Miroslav me fit froid dans le dos. J’imaginais mes amis subissant de tels traitements et me sentis submergé par l’émotion. La peur s’invita quand je compris l’endroit que je venais de quitter. Puis, la colère me rejoignit. La colère liée à l’injustice de ce que vivaient Ameer et Anabella. Enfin, la honte, celle d’être seul sorti d’affaire, prit le pas sur le reste.

— Adi, tu aurais dû subir ce traitement toi aussi, comme tous ceux qui doivent être envoyé dans cet endroit, mais Valentine t’a sauvé !

— Comment ça elle m'a sauvé ?

— Je commence à y voir plus clair. Des pratiques telles que celles employées à l'Asile ne sont pas acceptables par le public. Elles ne sont acceptables par personne en fait. La peur qui serait engendrée par la simple mention d’un tel Asile pousserait n'importe quel clone à la folie. Et la seule façon qu'un tel projet ne s'ébruite pas, c'est qu'il n'y ait pas de témoin. Les asiles datent de la mise en place des programmes de clonage au début de notre ère. Ce sont sans doute les humains de souche qui ont décidé de mettre des robots à ces postes difficiles. Ils s'assuraient ainsi que le travail de tortionnaire serait fait sans sentiments, et qu'aucun clone ne serait encore vivant, ou bien ne conserverait assez de mémoire après reprogrammation, pour raconter ce qu'il a vu. Les techniques de reprogrammation mentales ont dû énormément évoluer depuis le vingtième siècle !

— Mais comment ces androïdes ont été entretenus tout ce temps ?

— Eh bien ça je ne sais pas. Soit il existe un service de maintenance fait par des clones qui ne savent pas vraiment ce qu'ils entretiennent, soit ils sont eux même entretenus par d'autres robots ce qui me semble tout à fait faisable. Quoi qu'il en soit, il y a un revers de médaille à l'utilisation de robots qui appliquent des routines. Ils n'ont pas été capables de comprendre que tu venais d'arriver et se sont basé uniquement sur la présence de Valentine en tant que double personnalité pour en conclure que tu étais prêt à sortir. Ou t'ont-ils emmené ensuite ?

— Ils m'ont transporté en cabine jusque dans un autre bâtiment, éloigné de tout lui aussi. C'était près d'une voie de chemin de fer désaffectée en dehors de la ville. On m'a dit d'attendre là et je me suis sauvé.

— Oui ce n'est pas étonnant, dans l'état dans lequel tu aurais dû être, il était prévu que tu sois docile et obéissant. Ils n'ont jamais dû être confrontés à un cas comme le tiens.

— Qu'est-ce qu'on fait alors ?

— Il faudrait contacter Ameer et Anabella et leur dire de simuler un trouble de l'identité.

— Je pense que ça va être compliqué de les joindre, le lieu est sous barrière d'ondes cérébrales. Mais même si on y arrivait, je ne suis pas certain que cela fonctionnerait.

— Pourquoi ça ?

— Je pense que si on me répétait les mêmes questions tout le temps, je finirais par répondre n'importe quoi. Ils ne me laisseraient pas sortir pour autant. Je crois me souvenir qu'Ameer était mentalement et physiquement épuisé et qu'il répondait à côté de la plaque. Ils ne l'ont pas libéré.

— Mais alors ça casse ma théorie ! Ils cherchent autre chose.

— Non non, je ne crois pas, mais ils te posent des électrodes sur la tête avant que tu ne répondes.

— Je vois, un électroencéphalogramme précis permet de voir si le sujet répond avec sincérité ou non. Il faut oublier la simulation, on va les chercher. Tu saurais retrouver la voie de chemin de fer ?

— Oui je pense, en cherchant un peu ça ne doit pas être bien compliqué.

— Parfait ! Alors on trouvera une solution là-bas. »

Miroslav souleva une plaque au sol. Il en sorti une arme LaWS.

« C’est pas la dernière technologie mais ça fera très bien l'affaire.

— Je ne sais pas me servir de ça Miroslav. Dis-je inquiet.

— Ce n’est pas compliqué gamin, tu mets ça sur ton dos, c'est un supercondensateur. Tu connectes le LaWS au supercondensateur avec ces câbles avant de partir. Si tu sens qu'il va y avoir du grabuge, t'allumes le LaWS et il n'y a plus qu'à appuyer sur le connecteur là. Le laser va partir comme un pet alors laisse-le éteint si t'es pas sûr de t'en servir. Tiens-toi éloigné de la cible c'est sacrément puissant ce machin, mais l'avantage c'est que ça ne fait pas de bruit. Ta Batterie fait mille deux cents Watts heure, ça veut dire qu’à cent vingt mille watts le laser, t'es vide en trente secondes. »

Miroslav me fit peur pendant quelques secondes. Je me projetais dans l'inconnu, dans l'action. Rien de plus effrayant pour un petit cadre subalterne, employé dans un bureau administratif. Puis, je repensais à cette honte qui m'avait traversé quelques minutes plus tôt. La rage revint, la volonté de faire stopper cette injustice, de sauver mes amis, de...Non c'est autre chose qui me motiva à cet instant. Bien que j’eusse aimé n'être qu'un héros avide de justice, je sentis qu'au fond, ma véritable motivation fut d'enfin transcender ma condition de clone, de mettre définitivement un terme à ma vie d'avant, de mettre le pied là où il me serait impossible de revenir. J'attrapai le LaWS et branchais les connecteurs au supercondensateur. « Miroslav, on n'embarque pas un peu léger si ma batterie est à plat en quelques secondes ?

— Adi, on ne part pas faire la guerre. Juste explorer la région ou sont enfermés tes amis, nos amis. Pars m'attendre dehors, moi je vais chercher Hicks !

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