ILOv152-Brown sortait de l’usine, après la même journée de travail que toutes les autres depuis huit ans. Il accompagnait les mêmes collègues que ceux qu’il accompagne depuis huit ans dans le même bar ou il allait dépenser plus ou moins le même salaire depuis 8 ans également.

« Que faisons-nous ce dimanche ? lança ILOv152-Stevens.

— J’irais bien me vider le trop plein, répondit ILOv152-Daniels, de toute la subtilité dont il était capable.

— Mouais comme tous les dimanches quoi ! remarqua ILOv152-Brown. Moi j’ai une autre idée en tête.

— Comment ça « une autre idée » ? Tu me fais peur, s’inquiéta ILOv152-Daniels. On va toujours se vider le dimanche ! En plus, les nouveaux modèles ont été créés avec une malformation. Elles ont un rétrécissement du gosier et font des pipes fabuleuses… »

ILOv152-Daniels le regarda d’un air suspicieux puis termina :

« Tu n’avais pas un copain déviant avec qui tu traînais ? un AdCS ? Questionna-t-il.

— Si ! Je l’avais déjà soupçonné par le passé. Ils ont fini par le prendre. C’est triste il était sympa. Finalement, je ne l’ai pas revu. Il a dû changer de secteur ou être affecté à une autre ville, ou peut être bien qu’il y est encore, qui sait ? Bref, vous n’avez pas entendu ? C’est sur toutes les fréquences, Cérébral Entertainment vient de sortir les nouveaux modèles d’amplificateurs. La réception est parfaite et en plus, ils vous l’installent directement en magasin sous anesthésie générale. C’est compris dans le prix !

— Oh bof. Je t’aurais bien suivi, reprit ILOv152-Stevens mais le mien a lâché récemment et je viens de m’en racheter un neuf. J’ai encore la cicatrice. Je préfère attendre le prochain modèle. On capte déjà bien je trouve.

— Mais non, ça n’a rien à voir répondit ILOv152-Brown. Là tu peux être dans une pièce avec cinquante personnes qui ont toutes leur ampli allumé, tu captes toujours aussi bien. En plus on peut régler le contraste de l’arrivée d’image et on pourra marcher avec l’image active sans se cogner partout. Regarde, là on doit être facilement trente personnes dans le bar, allumez vos amplis. »

Tous allumèrent leurs amplificateurs pour constater que la réception n’était pas parfaite, mais raisonnablement bonne.

Ceci est un message urgent ! A toute la population d’Egality city et d’ailleurs. Je m’appelle Ameer Saliba. Je ne suis pas un clone comme vous …

« Ça va moi je trouve qu’on reçoit bien. Ça grésille à peine, commenta ILOv152-Daniels »

Les Asiles vous tuent, nous tuent, ils vous font subir des sévices pour vous reprogrammer, ce sont des abattoirs…

« Bon ok, là on n’a pas bien entendu ! Admit ILOv152-Daniels.

— J’ajouterais même que l’image est un peu pâlotte, répliqua ILOv152-Stevens.

— Ah vous voyez ! dit ILOv152-Brown, fier de lui. »

Votre sécurité à tous est menacée. Rebellez-vous ! N’acceptez plus cette société qui ne vit que par le clonage. Vous n’êtes pas libres, prenez votre liberté…

« De quoi il parle le mec ? s’intéressa enfin ILOv152-Stevens.

— Bah je sais pas moi ! répondit ILOv152-Daniels. Il parle des Asiles et des déviants.

— Ça ne t’intéresse pas Brown ? Ton pote y est.

— C’est marrant, remarqua Brown, mon pote Adi disait toujours que c’était pas clair ces histoires d’Asiles. Il voulait surtout pas être reconnu comme déviant à cause de ça. Mais bon de toute façon, y a pas tellement moyen de savoir.

— Bof, nous ça nous concerne pas de toute façon, s’illumina Daniels. Nous on n’est pas déviants. »

Vous êtes tous concernés ! Le moindre comportement normal peut être interprété comme une déviance. Ce n’est qu’une question de malchance, ou de délation ! Ouvrez des livres d’histoires et voyez comme …

« Pfff il s’arrête jamais de parler lui avec ses livres d’histoire et sa tête bizarre ? souffla ILOv152-Daniels. Du coup on va pas aux putes dimanche si j’ai bien compris ? ».

A cet instant, un agent de sécurité qui avait répondu à l’appel dans un temps moyen, intervint à l’antenne. Sa silhouette pointa derrière cet étranger qui parlait visiblement sans permission. Il lui demanda poliment d’arrêter son discours.

« Regardez les mecs, il est en train de se faire jeter. S’intéressa ILOv152-Stevens.

— Ahahaha c’est un cinglé. Lui il en vient de l’Asile c’est sûr. S’amusa ILOv152-Daniels.

— Bah c’est qu’il en est sorti. Donc pas de quoi s’enflammer. Remarque ILOv152-Brown.

— On se demande comment il est sorti de production celui-là. Rétorqua ILOv152-Stevens.

— Je crois qu’il a dit qu’il était pas un clone, se remémora très justement ILOv152-Daniels.

— C’est pas mieux… un illuminé… »

S’il vous plait, il faut m’écouter. Vous n’êtes pas libres. Ni en tant qu’individu, ni en tant qu’humanité. Nous ne savons pas où nous allons. Nous ne choisissons pas nos chemins. Le destin de l’Humanité est tracé par des machines elles même contrôlées par le capital. Si nous le voulons nous pouvons …

La silhouette derrière l’étranger avait éteint le dispositif en bredouillant des paroles vagues. La fin du message ne fut claire pour personne, dispositif d’amplification de pointe ou non.

« Qu’est-ce que ça peut foutre qu’on soit libre ou pas ? Tant qu’on peut aller aux putes le dimanche ! » s’esclaffa ILOv152-Daniels, exprimant ainsi son avis avant d’éteindre son amplificateur à ondes cérébrales.

« Si on va au centre commercial dimanche, moi j’ai quelque chose à faire ce soir. Je vous laisse. A demain

— Non bah attends Daniels on te suit, répondit ILOv152-Brown. ».

Les trois hommes quittèrent le bar. ILOv152-Brown avait été affecté par les paroles de l’étranger, mais sans doute trop subtilement pour qu’il s’en rendit compte. La vie était bien trop courte pour dépenser du temps à se battre, mieux valait aller tester ces nouvelles prestations sexuelles en compagnie de ses braves collègues…