CHAPITRE 44 : La petite graine
Je donnai le signal et m’élançai vers le garde qui eut à peine le temps de tourner la tête qu’il s’effondra net, la lance de Hicks plantée dans le front. Je me précipitai sur son corps tombant pour récupérer son « passe » greffé dans son avant-bras. Une alarme retentit immédiatement ! Pris de panique je tirai une rafale d’énergie sur le coude du soldat au sol pour sectionner et récupérer son avant-bras. L’odeur grillée de ses vaisseaux sanguins immédiatement cautérisés me causa une montée nauséeuse que je retins en puisant dans l’adrénaline qui emplissait désormais mes veines. Nous battîmes en retraite immédiatement en donnant le signal aux renforts. « Go Ronald, balancez les tirs de couverture sur la façade ! »
La troupe fut réactive et bientôt des dizaines de tirs vinrent impacter l’entrée. Les alliés étaient positionnés suffisamment loin du bâtiment pour que la puissance des tirs s’affaiblisse et qu’ils ne percent pas les murs. Les gardes du centre sortirent équipés de boucliers qui m’étaient inconnus. Ils n’étaient formés que d’un cadre et d’un noyau central. De ce noyau, une paroi bleutée se formait et remplissait le cadre jusqu’aux extrémités. Lorsqu’ils étaient frappés par un tir, ils se désactivaient quelques secondes puis reprenaient forme. Alors que les gardes, une quinzaine peut-être, prenaient position, je me dirigeais vers l’arrière du bâtiment, suivi de près par Anabella et Hicks. J’entendis Ronald ordonner aux alliés de se rapprocher pour renforcer la puissance des tirs. De mon côté, je tirai à bout portant sur le mur arrière qui se perça comme une motte de beurre. Je parvins donc à entamer une brèche à l’arrière du bâtiment tandis que les gardes étaient maintenus à l’avant par les renforts.
« Pourquoi on s’est bien emmerdé à attraper un passe si on peut passer à travers les murs comme ça ?! s’énerva Anabella.
— J’ai pensé qu’on pourrait réussir à rester furtifs un peu plus longtemps que ça figure-toi. Ensuite… j’ai paniqué et dans le doute j’ai arraché un passe, au cas où.
— Une idée de génie ! me répondit-elle. »
A travers l’entaille fraîchement ouverte, je ne perçus aucun mouvement et décidai de m’y glisser, arme à la main. J’entrai dans un couloir désert et reconnus une architecture interne assez similaire à celle du centre spatial qui nous avait « accueillis » à notre retour sur Terre : des vitres, beaucoup trop de parois transparentes et une dominante bleue dans les rares endroits colorés. Je vis vaguement la silhouette des quelques derniers soldats qui sortaient du bâtiment à travers cinq ou six parois transparentes. Je m’allongeai alors ventre au sol pour ne pas être à hauteur d’yeux et bénéficier de la couverture du mobilier dans les différentes pièces. Puis je me relevai lentement et fis signe à mes coéquipiers d’avancer. Une zone composée essentiellement de parois opaques se tenait à portée de vue, nous nous y dirigeâmes rapidement en restant à couvert. Mon talkie se mit à grésiller « Bâtiment ouest saccagé, objectif rempli ! On passe au bâtiment Nord ». Les troupes de Ronald étaient bien plus efficaces que je ne l’eus cru. Il ne fallait surtout pas qu’il détruise toutes les installations, autrement, tout était perdu !
Mon instinct me dictait que cette pièce dont les murs étaient opaques était sans doute plus importante que les autres. J’entrai dans cette pièce par une porte, sans contrôle d’accès particulier. A l’intérieur se trouvait une seconde pièce faite de parois transparentes. Elle contenait ce précieux ordinateur central. Anabella tira sur la paroi. Celle-ci resta intègre. Nous tirâmes alors tous les deux en même temps. Je sentais que la paroi faiblissait, mais rien de suffisant pour qu’on en vienne à bout à deux. Je tentai d’ouvrir cette seconde pièce avec l’avant-bras récupéré sur le garde et qui m’accompagnait, la main plongée dans une poche de pantalon. Rien ne se produisit. J’insistais encore et encore, cherchant une fente, un détecteur, un lecteur quelconque… mais rien. Pendant une seconde, l’idée m’a traversé que nous ayons finalement besoin du reste de la troupe pour passer ce qui mettrait définitivement en péril la mission. Finalement, sur le mur adjacent je trouvais finalement un lecteur de passe. Je m’y précipitais pour essayer le passe du soldat. Le détecteur ne réagit pas.
« C’est peut-être ceci que vous cherchez ? ». J’avais déjà entendu cette voix. Je me retournai et constatai qu’il s’agissait de Connor. Il tenait Bella en otage.
« Connor ? m’exclamai-je. Lâchez là.
— Lâchez votre arme ! me somma-t-il,
— Connor laissez là, réitérai-je en jetant mon arme au sol.
— C’est pas Connor, Ameer, dit Anabella sans faire le moindre mouvement. C’est le même modèle.
— Je ne connais pas ce « Connor » mais s’il s’agit d’un de mes confrères, c’est sans doute un SpGe1000. Quant à vous, je n’ai jamais vu de modèles tels que les vôtres. Qui que vous soyez, vous allez parler dans ce petit appareil et demander à vos amis de battre en retraite.
— Ils ne le feront pas !
— Faites-le, ou je crains de devoir désintégrer la tête de cette chère petite madame qui s’est si facilement laissée attraper… »
En une fraction de seconde, plusieurs solutions se sont naturellement proposées à moi. Solution un : Ramasser très rapidement mon arme, viser, viser juste, tirer sans toucher Anabella. Sachant que j’utilisais ce type d’arme pour la première fois, sachant même que j’étais complètement novice au sujet des armes en général, et qu’il aurait fallu que j’exécute cette action en quelques dixièmes de secondes, je mis cette solution de côté. Solution deux : Lui demander de me prendre à la place d’Anabella pour me permettre de prendre des risques sans mettre sa vie en danger. Cette solution n’en était clairement pas une. Il n’y avait aucune raison qu’il accepte, aucune raison qu’Anabella accepte, et ensuite, aucune raison que j’arrive à nous sortir de là. Solution 3 : Jouer le bluff et prétendre qu’Anabella n’avait aucune importance pour moi. Après tout, la notion d’amour était quelque chose de plutôt éteint dans ce nouveau monde. Cependant, j’avais déjà lâché mon arme ce qui retirait toute crédibilité à ma remarque. De plus, j’avais déjà eu affaire à un modèle de SpGe1000 tel que Connor et leur perspicacité m’effrayait au plus haut point. Plus le temps de réfléchir, je pris le talkie et fis semblant de presser l’actionneur du micro. « Ronald, on arrête tout ! Je répète, mission annulée ! ».
« Voilà, j’ai fait ce que vous m’avez demandé, lâchez là ». Puis je me pris à penser qu’il n’avait aucune raison de nous laisser en vie une fois sa requête accordée. A moins qu’il ne nous prenne comme monnaie d’échange pour s’assurer du retrait des troupes. Il me répondit :
« Je vais attendre la réponse de ce monsieur Ronald si vous le voulez bien ». J’ai feint d’attendre avec lui quelques secondes. Puis je réitérai ma demande en appuyant cette fois réellement sur le bouton. Ronald répondit « On en a terminé avec le bâtiment Nord, qu’est-ce que vous dites ? ». Je regardais le clone de Connor dans les yeux. Il me fit signe de la tête pour que je répète mon ordre. « J’ai dit, on arrête tout ! ». Un silence pesant régna quelques secondes. Ronald reprit la parole « Il n’en est pas question ! Nous avons subi de grosses pertes, j’envoie mes derniers hommes sur le bâtiment Est et je tente de me frayer un chemin pour vous rejoindre et voir ce qu’il se passe. Je laisse mon talkie à Johnson. FIN ». Je regardai Anabella qui ferma les paupières de consternation, puis je croisai le regard du SpGe1000. La situation semblait tourner au vinaigre. Venant de ma droite, j’entendis un cri retentir. Hicks avait décidé de charger de son propre chef. Au bout de deux pas à peine, Connor « bis » avait levé son arme de la tête d’Anabella et tira sur la poitrine de Hicks ! Le colosse fut transpercé immédiatement de part en part d’un tir qui termina sa course sur la paroi de la pièce. Cette force de la nature fit tout de même deux pas supplémentaires, entraîné dans son élan et utilisa l’allonge de sa lance pour frapper le SpGe. Anabella eut tout juste le temps de s’accroupir. Une fois de plus, et pour la dernière fois, sa lance fit mouche en plein milieu du visage de notre opposant qui tomba, figé, cloué par la lance. Hicks s’effondra également, provoquant un triste « Boum » qui fut le clairon retentissant de notre sauveur. Evidemment, pas question de tout faire rater maintenant et de s’arrêter pour pleurer Hicks. Je restai concentré sur la mission. Je traînai le corps de Connor, autant l’appeler Connor, vers l’intérieur de la pièce. J’embrassai rapidement Anabella, soulagé qu’elle soit sauve, puis découpai le passe de Connor sur son avant-bras grâce auquel je pus ouvrir la seconde paroi qui se referma derrière nous. J’arrivai enfin près de l’ordinateur central, un des deux derniers restant après les dégâts causés par le reste de la troupe, probablement le dernier vu leur rapidité à descendre les autres bâtiments du centre. Je demandai à Anabella de fermer la première porte de la pièce pour retarder Ronald au maximum. Je me surpris à espérer qu'il soit abattu en chemin. Il était temps de transférer mon précieux programme qui devait supprimer cet infâme algorithme de l’ordinateur mère, et donc des filles, de restaurer le génome humain d’antan ainsi que sa part d’aléatoire, de rétablir la reproduction sexuée. Il allait sans doute me falloir un peu de temps.
Je croisais les doigts pour que le programme s’installe sans encombres. Le programme se lança tout seul, ce fut un excellent premier pas. Le Talkie-Walkie grésillât une nouvelle fois. Johnson, le bras droit de Ronald lors de cette attaque déclara que le bâtiment Ouest était saccagé, qu’il ne restait plus qu’une poignée d’hommes des deux côtés et qu’il s’attaquait au bâtiment central. « Non, Johnson, restez à l’extérieur, j’ai besoin que vous gardiez l’attention sur vous !
— Vous n’avez pas à prendre tous les risques seul prophète Ameer, nous arrivons pour vous aider ! »
Anabella prit le relai et saisit le Talkie : « Mission accomplie Johnson, nous avons détruit l’ordinateur central, nous avons besoin d’une diversion pour pouvoir sortir, battez en retraite et en quelques instants nous seront dehors. Fin de la mission, battez en retraite !
— Bien reçu, on se retire ! »
Il s’en était fallu de peu pour que tout soit gâché. Je m’apprêtais à féliciter la répartie de Bella quand je vis, sur le pas de la porte, Ronald qui nous avait entendu.
« Qu’est-ce que vous racontez ? dit-il à travers la paroi. Vous êtes un imposteur, je l’ai soupçonné plus d’une fois ! Détruisez cette installation !
— Ronald, je crois que nos chemins se séparent ici. Ne vous en faites pas pour nous, on va se débrouiller. Repartez avec les autres !
— Non je ne crois pas, je vais aller jusqu’au bout et faire tomber ce bâtiment si nécessaire. »
Il tira dans la paroi qui ne broncha pas plus que lorsqu’Anabella et moi avions essayé. Je laissai le programme s’installer et m’approchai de la paroi. Face à face avec Ronald, je cherchai une solution à ce conflit. Il fallait à minima gagner du temps. Anabella tenta l’une de ses explications fines et très plausibles pour sauver le coup une fois de plus. Ronald n’écoutait rien, il ne la regarda pas, et continua de me fixer droit dans les yeux.
« Ouvrez cette porte Ameer !
— Non »
Il s’était débarrassé de son Talkie et ne pouvait pas rameuter les autres… sauf en allant les chercher. Il fit un pas en arrière et je compris à cet instant que nous convergions tous les deux vers la même solution. Il fit demi-tour et partit en courant. Immédiatement, je présentai le passe poisseux de Connor devant la paroi, je fis quelques pas en avant pour sortir de la pièce aux murs opaques et j’abatis Ronald froidement, dans le dos… pour que l’information ne se propage pas, pour sauver notre peau à Anabella et moi. Je retournai dans la salle en fuyant le regard d’Anabella, pour surveiller la progression de l’installation du programme.
Un grand calme s’était installé. Il s’écoula un temps que je n’aurais su mesurer avant qu’Anabella me fasse signe que le programme était installé. J’ai dit à Bella « Je suis un meurtrier ! ». Elle me répondit quelque chose comme « Tu as fait ce qu’il y avait à faire », ou alors peut-être que non, peut-être avait-elle dit autre chose, ou alors rien du tout. Puis elle me dit « Secoue-toi et vérifie que tout est bon ! ». Je repris mes esprits, juste le temps de faire quelques contrôles. Il ne restait aucune trace de l’ancien programme. Tout semblait fonctionnel bien je ne fus pas un spécialiste. J’espérai alors que l’échange de données, la synchronisation mère / filles se ferait au plus vite de peur qu’il n’arrivât quelque chose à ce bâtiment.
Je fis signe à Bella que tout était ok. Nous partîmes en courant. Au passage, j’embarquai avec moi la lance de Hicks, puis j’enjambais les restes de Ronald qui avait eu le malheur de découvrir la vérité. Une fois dehors, je claquais violemment le Talkie-Walkie contre le mur arrière du bâtiment et puis nous quittâmes les lieux, loin des deux ou trois tirs qui devaient encore subsister, nous frayant un chemin par la forêt et signant nos adieux avec l’ordre de Darwin.
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