Une matinée [presque] comme les autres

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 Le réveil sonna, de ce son strident et agressif que la plupart des gens détestent pour les ramener à la dure réalité. Mais pas Eva, ou du moins pas ce matin là. Car aujourd'hui était un grand jour : le jour où elle rentrait enfin dans la vie active et allait dorénavant pouvoir assurer son autonomie, et ne plus vivre aux crochets de son homme. Elle éteignit la sonnerie, et se tourna vers lui, tout sourire. Charles n'avait pas encore ouvert les yeux, et était tourné de son côté, comme à son habitude. Qu'importe, elle se leva puis se dirigea vers la salle de bain pour s'y préparer. Cette petite dose d'adrénaline, typique de ces moments de nouveautés, la rendait euphorique et elle se sentait presque planer. L'eau chaude de la douche se mit à couler sur son corps, et elle repensa à toutes ces années qui l’avaient conduite jusque là.

 Elle avait rencontré Charles au lycée, à une soirée organisée par un de ses camarades de l'époque ; il l'avait charmé comme il savait si bien le faire et ils étaient ensemble depuis lors. Il était plus âgé, de 5 ans, et donc déjà majeur alors qu'elle ne l'était pas encore mais ce n'est pas sa mère - qui s'amusait à fricoter avec des garçons de la moitié de son âge - qui aurait dit quelque chose. Ses parents avaient divorcés quand elle était jeune - son père en étant d'ailleurs à son troisième divorce. Chef d'une grosse entreprise, il avait la fâcheuse habitude d'embaucher ses secrétaires sur des critères physionomiques plutôt que sur leurs compétences, et quand il eut mis sa mère - secrétaire de l'époque - en cloque, celle-ci le força presque à l'épouser. Autant dire qu’Eva reçu assez peu d'amour ; elle était la plupart du temps gardée par une nounou, son père travaillant trop pour s'en occuper et sa mère trop occupée à profiter de la richesse qu'elle avait tant espérée. Ils s'étaient tout de même un peu disputés sa garde au divorce, mais plus pour le style, chacun étant pressé que cela se finisse : son père pour aller avec une nouvelle secrétaire plus jeune et sa mère pour pouvoir continuer son train de vie - et elle ne s'était d'ailleurs pas privée d'être aussi fidèle que son mari durant leur mariage. Sa mère eut donc sa garde, et une grosse pension lui permettant de garder la nounou, jusqu'à ce qu'Eva soit en âge de se débrouiller seule.

 Eva était une fille timide et se fit assez peu d'amis au cours de sa scolarité. Les filles la prenait pour une excentrique, de part son histoire familiale - ayant du expliquer qui était cette femme âgé venant la chercher - , puis ayant passé son enfance seule, à jouer et s'occuper la plupart du temps seule, elle vivait un peu dans son monde, se parlant souvent à elle même où à ses amis imaginaires. Certains garçons s'intéressèrent à elle quand elle commença à devenir un ravissant bout de femme, mais avec la maturité de leur âge : ceux qui osaient l'aborder ne pensait qu'à la déshabiller et les autres, trop timides pour l'approcher, elle n'en entendit jamais parler. Sa rencontre avec Charles changea sa vie : il lui donna l'impression d'être importante, de s'intéresser vraiment à elle - du moins au début. Charles finit ses études de commerce alors qu'elle entrait tout juste en fac de droit ; ils emménagèrent alors ensemble mais il fut vite appelé à être souvent en déplacement pour son travail, et Eva se retrouva seule quasiment une semaine sur deux. Bien qu'elle ne s'en plaignit pas, il lui sembla important de se justifier disant que c'était une opportunité, qu'il fallait bien que quelqu'un gagne de l'argent et que cela lui assurait une bonne évolution de carrière. Il lui prit un chat pour qu'elle se sente moins seule quand il était absent. Mais Eva fut de toute façon très occupée par ses études pour se sentir vraiment seule ; elle travailla dur et eut son master haut la main, à quelques points d'être major de promo.

 Après s'être lavée et apprêtée, elle se dirigea vers la cuisine pour préparer le petit déjeuner pendant que son homme prenait sa douche ; des œufs sur le plat avec des toasts pour eux-deux et du bacon pour monsieur. Elle essayait au plus possible d'éviter de manger de la viande, les vidéos qu'elle avait pu voir sur les abattoirs l'ayant faite vomir. Charles lui attribuait ça comme une lubie passagère qui n'avait pas de sens. “C'est ridicule, l'homme a toujours mangé de la viande, tu vas te carencer avec tes conneries” lui disait-il. Elle avait essayé de débattre un peu avec lui sur le sujet mais c'était vain : il était borné et son argumentation tournait en boucle, jusqu'à ce qu'il ait l'impression d’avoir eu le dernier mot. Bref, elle subissait maintenant ses sarcasmes en silence, faisant ce qu'elle voulait et le laissant libre de faire de même.

 Charles arriva dans la salle à manger, les cheveux encore humides et s'installa à table, attendant qu'il la serve, comme à son habitude.

“Tu te souviens que je suis en déplacement cette semaine ? lui lança-t-il pour première parole.

- Oui oui, rétorqua-t-elle en lui servant ses œufs et son bacon.

- Je devrais revenir fin de semaine, et je serai difficilement joignable ; c'est un gros contrat et je vais devoir faire des horaires de malade, rajouta-t-il quand elle fut assise.

- Oui, d'accord. Comme d'habitude, murmura t-elle dans sa tasse de thé.

- Tu as vraiment tort de te priver de ce délice, dit-il sans relever, agitant son bout de bacon entamé au bout de sa fourchette.

 Elle ne répondit rien, préférant garder son énergie pour la journée qui l'attendait.

 Une fois son assiette finie, il se leva, l'embrassa brièvement sur le front avant d'attraper son manteau et lui lança un “bon courage pour ta semaine” tout en refermant la porte sans attendre de réponse. Eva répondit un “merci, à toi aussi” à une porte close, une pointe de tristesse dans la voix. Elle avait fini par se résoudre à ce manque d’égard ; il était peu démonstratif, beaucoup moins qu'au début de leur relation, mais il savait se montrer très romantique à certains moments, lui offrant de délicates attentions ou l'emmenant dans des restaurants raffinés. Certes, la plupart du temps il finissait par la déshabiller à ces occasions, mais bon elle s'estimait flattée qu'il la désire encore. Et puis elle était bien loin d'être maltraitée ou quoi que ce soit de la sorte, comme elle avait pu lire tant de témoignages sur internet. De toute façon, elle n'avait que lui…

 Elle débarrassa la table, mit tout au lave-vaisselle, prit soin de remplir la gamelle de Duchesse - sa chatte - et attrapa son sac à main et son manteau. “Allez ma grande, il est temps d'entrer dans le monde adulte !” dit-elle au visage poupin cerclé de boucles blondes qui la regardait de son regard azur au travers du miroir de l'entrée.

 Elle était à deux pas de la station de RER et y fut donc rapidement. 10 minutes d'attente affichait les chiffres lumineux. Elle n'avait pas vraiment l'habitude de prendre les transports en commun : son université étant proche de chez elle, elle s'y rendait en vélo. Il ne restait que deux minutes d'attente quand un jeune homme qui était déjà là à son arrivée vint vers elle, l'air un peu timide :

- Salut, tu es nouvelle dans le coin ? lui demanda-t-il.

- Bonjour, euh… non j'habite ici depuis un moment mais je prends rarement le train. Pourquoi ? répondit-elle intriguée.

- Ah d'accord, je prends ce train tous les jours et c'est la première fois que je te vois… Je te trouve… très jolie… Et euh… je me demandais s'il aurait été possible de te revoir plus tard...? lança-t-il en rougissant un peu.

- C'est gentil, mais j'ai un copain et je ne pense pas qu'il soit d'accord, dit Eva en souriant chaleureusement.

- Ah… Oui… D'accord… Désolé…

 Il s'éloigna l'air gêné juste avant que le train n'arrive, et monta dans le wagon suivant celui d'Eva.

 Le train était bondé, horaire de début de travail oblige. Eva réussit tout de même à se faufiler pour agripper une barre. Les gens autour d'elle avait un air pas réveillé, ou morose, mais elle n'était pas prête à abandonner son sourire pour si peu. Soudain, elle sentit quelque chose lui toucher les fesses ; elle se retourna brusquement mais la chose en question avait disparu et le mur de visages zombifiés ne lui apporta aucune réponse. “Bah, un sac ou quelqu'un qui n'aura pas fait exprès” pensa-t-elle. Cela ne se reproduisit pas, et elle arriva à destination sans avoir perdu de sa bonne humeur.

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