partie 1
Egypte antique, Louxor.
Le frottement du calame sur le papyrus était nerveux ; l’encre peinait à suivre la frénésie du roseau tenu par un homme soucieux de terminer sa tâche. À la lueur de sa lampe en terre cuite, il continuait d’écrire sans se soucier du niveau de graisse animale qui commençait à manquer et plongerait sa modeste maison dans l’obscurité. L’esprit du scribe, trop occupé par ce détail, expérimentait depuis plusieurs jours un mélange de sentiments des plus vertigineux. Jamais il n’avait pensé ressentir un tel déferlement de scènes déversées de son imagination. Il tentait de les contenir tant bien que mal sur le papier, par peur d’oublier ses merveilleuses tournures. Il lui arrivait également de contempler les nervures âcres de la feuille vierge ainsi que l’abîme blanc de son âme qui se refusait à toute création. Cette folle frustration hantait d'ailleurs plusieurs fois ses nuits, à n’en plus dormir.
Cette fois-ci, il sentait la fin proche. L’excitation atteignait son paroxysme. Il tenait enfin son conte ! Pourtant, la tâche ne fut pas aisée. La confection du fameux papyrus lui avait pris plusieurs semaines. Il se remémora durant un court instant, le nombre de fois qu’Anubis — le dieu de la mort — tentait de le croquer par le biais des crocodiles lors de sa quête des plus beaux spécimens de cyperus sur le bord du Nil. Ensuite, le préparer. Découper en lamelles le tronc, aplatir, baigner pendant six jours dans de l’eau claire. Disposer avec minutie les bandelettes pour confectionner une fine feuille et la laisser sécher pendant encore six jours sous une presse parfaite dont il avait le secret. Ni les pharaons, ni les juristes et encore moins les religieux, n’auraient eu accès à pareille qualité ! Un travail d’orfèvre qu’il gardait pour lui-même. Le parchemin devait être irréprochable pour accueillir son histoire.
Il se concentra sur la dernière partie, comme si sa vie en dépendait. Une fois le dernier caractère posé, il laissa échapper un souffle de contentement et sentit un rush d’adrénaline l'envahir. La sensation de victoire et de joie intense explosait hors de lui.
– Par Thot ! Merci ! Enfin la délivrance ! J’ai réussi ! s’exclama-t-il.
Il se leva puis rassembla les parchemins nerveusement. Fébrile, l’homme s’appliqua à lire l’œuvre qu’il chérissait tant à construire. Enthousiaste sur les premières pages, la perplexité se lut sur son visage au fur et à mesure qu’il parcourait les lignes. L’euphorie semblait à présent bien lointaine dans son esprit ! Feuille après feuille, sa bonne humeur se laminait de plus en plus.
Sur le dernier feuillet, des larmes de rage se mélangeaient à l’encre fraîchement posée. Sa déception était si grande ! D’un geste sec, il arracha son oeuvre. Le déchirement le meurtrit au plus profond de son être. Ses sanglots devenaient incontrôlables, il ne comprenait pas pourquoi il avait une nouvelle fois échoué. Il se laissa tomber à genoux, implorant son dieu protecteur.
– Ô Thot ! Mais pourquoi ? Pourquoi mon conte est-il si morne ? Qu’ai-je fait pour mériter cela après tant d’efforts ?
La lumière de la lampe sur la table diminuait en intensité. Les ténèbres envahissaient peu à peu le pauvre petit scribe qui continuait à se lamenter sur le sol. Il ne savait plus à quel Dieu se vouer. Un souffle vainquit la frêle flamme et l’obscurité dévora l’homme en une bouchée. Seuls ses pleurs trahissaient sa présence et se perdirent dans la chaleur de la nuit.
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