Jusqu'à ce que la mort nous sépare

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La façon qu’il avait de s’essuyer le bord des lèvres avec sa serviette l’horripilait. Face à lui, elle le regarda lentement reposer sa serviette à côté de son assiette avec soin, pliée à la perfection. 15 ans qu’elle supportait ses gestes mesurés, sans défauts. Ses paroles incessantes, elle avait appris à ne plus les entendre. En même temps, il donnait tant d’informations qu’il était pénible de suivre le flot de ses pensées. Essayer c’était s’épuiser. Il porta son verre à la bouche et but le nectar rouge dans un gargouillis insupportable. Elle se demandait si elle arrivait encore à voir autre chose que les défauts de cet homme. Tous ces petits tics lui remuaient l’estomac. Cela n’avait pas toujours été ainsi, au début elle ne les remarquait pas. L’amour avait vraiment cette faculté de rendre aveugle et sourd.

Pendant qu’il coupait sa viande avec maniaquerie tel un chirurgien, son esprit s’évada. Elle pensa aux mains de Christophe sur son corps. Un frisson la parcourut faisant froncer les sourcils de son mari. Depuis combien de temps n’avait-elle pas frissonné grâce à lui ? Elle n’était pas sûre d’avoir jamais frémi sous ses mains.

Avec Christophe tout était différent. Elle se rappelait la première fois qu’elle l’avait rencontré. C’était à l’occasion du repas de Noël de l’entreprise de Franck, son époux. Il l’avait détaillée des pieds à la tête avec cet air vorace qui lui donnait chaud. La quarantaine bien entamée, elle attirait toujours les hommes. Son corps qui avait la chance ou le désespoir de ne pas avoir connu les joies de la maternité était presque resté jeune. Ferme et tout en courbes bien proportionnées.

Elle avait tout de même été étonnée de cette attention, Christophe avait tout juste 30 ans. Sa jeunesse était criante et contrastait avec les ridules qui entouraient ses yeux à elle. Ils les adoraient disait-il.

« Sonia ? Tu m’écoutes ?

La voix grave et autoritaire de son mari la sortit de sa rêverie. Elle le regarda incrédule. Pas la peine de répondre, il savait très bien qu’elle ne l’écoutait pas.

- Alors, as-tu envoyé les invitations ?

Les invitations bien sûr. Pour ses 50 ans. Elle les avait envoyées il y a 3 jours déjà et elle était sûre de lui en avoir parlé. Son souci du contrôle le forçait à vérifier encore et encore. Comment arrivait-elle à endurer ses angoisses ? C’était un talent chez lui de transmettre ses angoisses pour les libérer. Elle avait appris à ne plus les absorber.

Elle se leva pour remplir la carafe d’eau.

- Elles sont parties mardi comme je te l’ai déjà dit.

Il lui tendit son verre avec un petit acquiescement de tête irritant.

Christophe la faisait rire, sortir de sa monotonie. Leurs conversations étaient riches et ne se contentaient pas de banalités. Et puis ses mains, elles étaient envoûtantes. Elles parcouraient son corps, mutines. La voilà qui divaguait encore. Cela lui arrivait de plus en plus souvent. Christophe hantait ses pensées.

L’homme en face d’elle qui levait sa fourchette à sa bouche et qui mastiquait bruyamment ses carottes s’était dégarni au fil du temps. Contrairement à d’autres hommes, prendre de l’âge ne lui avait pas réussi. Pensait-il la même chose d’elle ? Elle ne savait pas. Il ne la regardait plus que comme un objet du quotidien. Cet objet devant lequel il passait tous les jours sans le voir. Finalement, il était responsable de sa faute.

Christophe, la regardait de toutes les façons qu’il était possible d’être regardé. Il regardait son corps mais il voyait aussi son âme. Encore une fois, son esprit dériva. Elle pouvait presque sentir sa bouche dans le creux de son cou.

« Il faudra appeler le traiteur et coordonner avec Maxime le sommelier. »

Juste une phrase pour la ramener dans la dure réalité de sa monotonie. Et il recommençait avec sa serviette. Elle n’en pouvait plus.

La seule chose qui la faisait tenir, c’était la peur. La peur de perdre ce confort qu’elle aimait tant. Elle devait bien se l’avouer. La grande et belle maison, l’Audi A3, les vêtements de marques, les Louboutin, elle aimait ça. Elle n’était pas sûre de pouvoir s’en séparer.

Christophe, c’était un caprice, un bijou supplémentaire. Il avait percé son désir de femme et trop désireuse de s’oublier un instant, elle avait succombé. Mais l’histoire avait duré. Christophe travaillait avec son mari et connaissait son emploi du temps. Il savait quand il était en déplacement. Alors pendant ses absences, ils passaient la nuit ensemble. Christophe réveillait sa sensualité. Elle jouait tous les jeux avec gourmandise, devenait insatiable. Il s’amusait à prendre la place de son patron, dans son lit, possédant sa femme. Il en riait à gorge déployée. Sa témérité la faisait vibrer. Elle retrouvait son côté espiègle, ce côté qui avait séduit Franck puis s’était envolé dans la torpeur de l’habitude.

Elle était à l’orée des chemins. Consciente que cette situation ne pouvait pas durer. Elle était en plein dilemme. Devait-elle tout avouer au risque de tout perdre ? Quel que soit sa décision, elle devrait arrêter sa relation adultère.

Dans son insouciance retrouvée, elle s’était laissé emporter. Cet après-midi-là, elle n’avait pu s’empêcher d’embrasser Christophe à pleine bouche en plein milieu du parc. Son bonheur s’était écroulé quand elle s’était retournée pour se retrouver nez à nez avec le meilleur ami de Franck.

Sur l’instant, il n’avait rien dit. Il avait juste continué son chemin. Bien sûr, il n’en était pas resté là. Il était spécialement venu la voir un matin, à la galerie d’art où elle travaillait. Elle osait à peine le regarder. Il avait été très clair. Ou elle parlait, ou c’est lui qui irait voir Franck pour tout lui raconter. Elle lui avait demandé du temps. Il avait accepté mais lancé un ultimatum. Elle avait quinze jours.

Le délai était presque arrivé à son terme. Ce dîner était l’occasion parfaite. Si elle ne le faisait pas aujourd’hui, elle n’aurait plus le courage de le faire. Elle avait à peine touché à son assiette tant son estomac était noué. Elle but une grande rasade de vin pour se donner du courage.

« Franck.

Il dévia son regard de son assiette pour poser ses yeux sur elle. Il attendit poliment qu’elle veuille bien s’exprimer.

- J’ai quelque chose à te dire.

Il prit calmement son verre dans sa main, s’attardant dans la contemplation du liquide rouge rubis.

- Je…je…je ne sais pas par où commencer mais…

Elle se leva et à grandes enjambées nerveuses avança vers le bar du salon. Elle préférait mettre de la distance.

- Eh bien ? Finit-il par demander.

Alors après une grande respiration, elle lâcha d’une traite d’une voix chevrotante.

- Je t’ai trompé.

Il recula sur son siège, les deux mains croisées sur son estomac. Son regard avait quelque chose d’étrange et d’impitoyable. Ce n’était pas tout à fait la réaction à laquelle elle s’attendait. En même temps, elle ne savait pas à quoi s’attendre.

Il recula sa chaise, qui crissa sur le parquet, et disparut de la pièce sans aucun commentaire. Elle resta debout interloquée. Non, ce n’était vraiment pas la réaction à laquelle elle s’attendait. Elle avait imaginé des questions, des cris mais pas cette placidité.

Quand Franck revint dans la salle à manger, il tenait une enveloppe dans ses mains. Il la fit glisser sur la table sans la quitter des yeux. Elle prit quelques minutes avant de réagir. Elle s’approcha tremblante sans oser le regarder. Elle sentait ses yeux froids sur elle.

Elle décacheta l’enveloppe avec des gestes malhabiles. Elle écarquilla les yeux comme des soucoupes quand elle découvrit les photos que contenait l’enveloppe. Christophe et elle bouche contre bouche, Christophe et elle au restaurant se tenant la main. Elle releva brusquement la tête pour regarder son mari qui affichait un sourire sournois. Qu’est-ce que cela pouvait bien vouloir dire ?

- Il y a autre chose dans l’enveloppe.

Elle devinait dans son ton une certaine jubilation. Elle sortit le papier de l’enveloppe. Un document de demande de divorce. Son cœur cessa un instant de battre pour repartir, affolé. Elle allait tout perdre. Son angoisse monta au niveau supérieur, l’empêchant de réfléchir. Elle porta une main à sa bouche pour étouffer l’exclamation qui s’en échappa. Cet homme devait être Machiavel en personne.

- Détrompe toi Sonia, ce n’est pas ce que tu crois.

Que voulait-il dire ? C’était tout à fait ce qu’elle croyait. Il avait engagé un détective. Il avait eu des soupçons comment n’en aurait-il pas eu ? Elle avait été stupide. Depuis des mois elle refusait son contact.

- C’est pire que ce que tu crois.

Son sourire ne lui disait rien de bon. Que voulait-il dire par pire ? Il sortit son étui à cigarette de sa poche et, chose qu’il ne faisait jamais, se permit d’allumer une tige blanche à l’intérieur. Il tira quelques bouffées avant de continuer.

- Penses-tu vraiment qu’un homme comme Christophe puisse sincèrement s’intéresser à toi ?

Elle ne comprenait pas où il voulait en venir. Christophe s’était intéressé à elle. Il avait bien les photos qui le prouvait. Une drôle d’alarme commençait à tinter au fond d’elle.

- Ma chère Sonia, si pleine de rêves. Il ne t’aurait jamais approché si je ne l’avais pas payé pour le faire.

La tête lui tournait, elle tomba sur la chaise à côté d’elle. Machiavel n’était qu’un enfant de cœur comparé à cet homme qui était son mari. Pourquoi avait-il fait ça ? ça n’avait aucun sens sauf…L’idée venait de germer. Il allait la quitter de toute façon et cette ruse lui permettait de ne rien lui laisser. Un adultère signifiait qu’elle n’aurait absolument rien en cas de divorce. Elle se souvenait maintenant. C’est ce que stipulait leur contrat de mariage.

La colère monta fulgurante en elle. Elle avait été trahie par deux fois, par son mari et son amant. Il ne lui restait donc plus rien.

Elle sauta littéralement de la chaise comme folle. Un fil de son cerveau venait de se déconnecter. Elle attrapa le gros couteau de cuisine qui était resté sur la table. Sans réfléchir, elle se jeta sur son mari et rageusement, lui enfonça la lame dans son ventre. Le sang jaillissant tacha son visage de quelques gouttelettes. Il devait payer pour ce simulacre qu’il avait organisé.

Surpris, il se plia en deux. La lame pénétra une deuxième fois dans son ventre aussi efflanqué que son cœur. Avant le troisième coup, il enserra, dans un dernier effort, son cou de ses mains. Il serrait autant qu’il le pouvait. L’air ne rentrait plus, ses yeux étaient exorbités. Ils tombèrent à la renverse tous les deux, dans une danse macabre. Lui, serrant plus fort et elle qui le piquait de la pointe du couteau avec ce qui lui restait d’énergie. Puis leurs corps s’immobilisèrent gisant dans la mare de sang qui maculait le sol.

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