Retour chez les hommes
Je sautillais tranquillement, attrapant çà et là des friandises, quand un des bonds m’amena sous un chêne. Je fus stupéfait de voir allongé là, sous l’arbre, un de mes zumains. Comment s’appelait-il déjà ? Rhaaa ! Il avait deux lettres de l'alphabet…
Je m’approchai pour me délecter des vers bien grassouillets qui grouillaient sur lui et alentour, heureux de le revoir.
– Croa ! CroAAa ! Ce qui pourrait être traduit par : «Hé ho champ de blé ! C’est moi, Aldo. Tu me reconnais ?
Tout à coup, j’entendis du bruit qui venait de loin. Oubliant mon festin, d’un bond, je me glissai dans une de ses poches afin de ne pas être repéré.
Je vis des zumains s’agiter vivement et s’approcher de mon garde-manger. Je regardais tristement mon repas en pensant que la survie valait mieux qu’un festin, mais je compris bien vite que ce n’était ni les vers grassouillets ni moi qui les intéressait, mais mon Zumain.
J’étais secoué de-ci, de-là, par la troupe des deux pattes qui se dirigeait vers leur territoire.
Je fus ainsi introduit clandestinement dans la maison. J'avais le sentiment que mon zumain n’allait pas bien du tout, mais que pouvais-je faire ? Comment aider celui qui avait pris soin de moi avec ses deux autres comparses ?
Soudain, ma tout se mit à tanguer. J’eus un peu mal au cœur et allait rendre mon repas quand j’atterris sur le sol. Tremblant, je n’osai bouger, puis je me rendis compte que personne ne m'avait remarqué. Comment avais-je été éjecté de ma cachette ?
Je me demandais ce qui avait bien pu se passer et je compris qu'ils lui avaient retiré la chemise dans laquelle je m'étais réfugié.
Comme ils étaient fort occupés, j’étais convaincu qu’ils ne me remarqueraient pas. Confiant, je sautais à l’affût des mouches qui volaient alentour. Soudain, je vis un grand pied s’approcher dangereusement de ma tête. Je fis un bond de côté pour lui échapper et le pied butta contre le tas de linge. Je lâchai un soupir de soulagement et sautillai à la recherche d'un endroit plus sûr.
J'aperçus la fenêtre et sautai sur le rebord. Ainsi en hauteur, il ne pouvait rien m'arriver et je pouvais observer les allées et venues des zumains.
En regardant par la fenêtre entrouverte, je vis une zumaine déposer le panier à linge juste en dessous de mon observatoire.
Mais oui ! C’est Prune ! Je reconnais son odeur sucrée !
– CroAaah ! Croacroaa ! «Youhou ! Prune ! C’est moi Aldo ! Tu me reconnais ?
Je me gesticulais comme je pouvais, les pattes tendues vers elle quand je la vis avancer vers moi, tout sourire.
– Oh, mais oui, c’est Aldo ! Comment es-tu arrivé jusqu’ici ?
Je la regardais tout en mâchouillant mon repas, ne comprenant rien à son discours, mais heureux de la retrouver. Quand elle eut terminé, je lui répondis :
– CROOAAAA CROOAAAA ! Ce qui en crapaud signifie quelque chose comme : « Alors, bande de lâcheurs ! Une chance que je vous aie retrouvés ! Sans ça, vous seriez perdus ! »
Ben oui quoi ! Qui va les prévenir de la pluie si je ne suis pas là ?
Je la vis partir faire ce qu’elle avait à faire. Elle allait, venait, partait, revenait. De quoi me donner le tournis, mais je la comprenais : elle était, comme moi, heureuse de nos retrouvailles.
Elle semblait très attachée au zumain mal en point. Elle avait pour lui des gestes aussi doux qu’une maman crapaud pour son nouveau-né. Moi aussi j'étais bien triste de son état, mais que pouvais-je faire à part rester auprès de Prune
J’étais en pleine réflexion lorsque j’entendis une douce voix mélodieuse. Je fermais à demi les yeux sentant des frissons me parcourir le corps. Ce n'étaient pas des frissons de peur, mais de plaisir ; je n’avais jamais entendu plus beau chant de ma vie de crapaud et pourtant, j’en ai entendu des chants de zumains quand ils se promenaient le long de ma rivière
J’écoutai donc, laissant les mouches en paix, ressentant les vibrations de sa voix chatouiller ma peau. Charmé, je me surpris à croasser en suivant au mieux sa mélodie de doux :
– Croaa croaaa !
Elle me prit dans le creux de ses mains.
– Il faudra que j’aille te chercher ton bocal toi !
Je ne compris rien du tout, mais la nuit arrivait, apportant des mets exquis : De bons papillons de nuit croquants et juteux à souhait.
J’étais gâté, car j’avais pour moi tout seul une compagnie hors pair : De sa voix douce, Prune parlait : ça ressemblait à un chant en moins mélodieux, mais tout aussi rythmé.
J’écoutais, attentif, tout en gobant mon repas. C’est que ça creuse de veiller sur un zumain à longueur de journée.
Quand Prune se tut enfin, je la regardais et lui demandais :
– Croaaa croooaaaaaa ! Ce qui veut à peu près dire : « Vous en avez fait quoi de mon abri ? C'est que je l’aimais bien moi ! »
Oui, je sais ce que vous allez me dire : Mes croaa sont plus courts que la traduction. Normal, vous répondrais-je,, notre langue est moins riche que la vôtre et nous disons en un seul croa ce que vous dites en de longues phrases.
Chaque jour, Prune venait donner sa pitance au zumain endormi. L’odeur chatouillait mes narines et me donnait faim. J’attrapais quelques mouches et la regardais faire avec une grande curiosité.
Quand Prune s'endormait, je m’approchai de la coupelle contenant le précieux nectar, trempai ma langue dedans et donnai la béquée au zumain dont la vie semblait vouloir jouer à cache-cache. Je continuai patiemment à glisser ma langue juteuse entre ses lèvres jusqu’à ce que le nectar quitte ma langue. Je fus surpris de ce que je faisais : Qu'est-ce qui me prenait de jouer les mamans oiseaux ? Pourtant, je continuais, obéissant à la petite voix qui me murmurait : « Oui comme ça ! C’est bien ! Continue ! »
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