Ce texte prend place dans le film Batman v Superman (ce que vous avez compris si vous savez lire un titre), au moment où Batman, sur le point de transpercer Superman de part en part, apprends que la mère du Kryptonien s'appelle aussi Martha. Ca peut sembler une information un peu inutile, pourtant ça va le faire se retourner complètement pour s'allier à Superman, l'alien qu'il s'était juré de tuer.

La jeune femme n’offrait qu’une protection illusoire. Elle le savait, il le savait. Seuls ses mots pouvaient avoir un réel impact dans le combat.

-C’est le nom de sa mère, répéta-t-elle dans un souffle. Martha.

Elle ne comprenait pas ce qu’il s’était passé. Pourquoi Batman s’était arrêté. Pourquoi il la dévisageait avec autant de force.

Mais ce n’était pas elle qu’il regardait. Ce n’étaient pas ses yeux qu’il fixait. Une foule de souvenir avait pris le contrôle de son esprit.

L’écriture en lettres d’or. Les fleurs. Le caveau. L’enterrement. Les perles. La ruelle.

Remontant le temps comme une horloge déréglée, des souvenirs plus heureux le submergèrent.

Son odeur. Sa voix. Ses mains. Son rire. Son sourire.

Le rythme cardiaque de Bruce s’était emballé. Il avait relégué ses souvenirs pendant si longtemps, les avait refoulés, les avait enfermés à double tour dans un coin de son esprit. Entendre cet homme, non, ce monstre, cet alien, prononcer son nom, juste avant de mourir, comme une ultime prière, l’avait heurté

Superman pouvait-il comprendre les sentiments humains ? Ressentir l’amour maternel ? Pouvait-il seulement avoir une mère ?

Perdu. Submergé par des vagues d’émotions contradictoires, Batman recula de quelques pas. La lance lui glissa des mains et rebondit sur le sol dans un vacarme métallique.

Il réalisait avec effroi qu’il s’était fourvoyé sur toute la ligne. Depuis le début.

Ce n’était pas la force, la puissance ou les pouvoirs qui rendent une créature humaine. Ce sont ses sentiments.

Il n’avait pas pris le temps de juger le Kryptonien. Il l’avait placé dans une boite sans chercher à comprendre qui il était réellement.

Et pourtant, aux portes de la mort, alors qu’il était à la merci de la personne qui allait le tuer, il pensait à sa mère. Comme n’importe quel Homme.

Sans détacher son regard des yeux qui la transperçaient, Lois tâtonna au sol. Elle ne mit pas longtemps avant d’attraper un bras, remonter jusqu’à une main. Elle avait besoin de savoir si Clark était en vie. S’il était blessé. Elle ne l’avait jamais vu au sol. Immobile. Cela la terrifiait.

Quand elle était arrivée dans le port, avec le bruit, la confusion, l’obscurité, elle n’avait pas vraiment compris ce qu’il se passait. A quoi s’attendait-elle exactement ? Qu’espérait-elle voir ? Elle-même l’ignorait.

Mais quand elle les avait aperçus, Superman au sol, Batman au-dessus de lui avec une lance de kryptonite à la main, elle avait bondi. Il allait le tuer. Elle le savait. Elle n’était qu’un fétu de paille qui s’interposait entre deux géants, mais si Clark devait mourir, elle voulait avoir la certitude qu’elle aurait fait l’impossible pour lui.

Une main se referma sur ses doigts tremblants. Il était en vie. Il répondait.

Tout le corps de Lois se détendit. Sans lâcher sa main, elle posa son autre bras en travers de la poitrine, sur le « S », lui intimant de rester au sol, de souffler, de se reposer.

Avec délicatesse, Superman la repoussa et se redressa lentement sur ses coudes. Son regard était fixé sur Batman en face de lui.

Le sentant bouger, Bruce reprit pied avec la réalité. Toute son animosité s’était suspendue, il détaillait désormais le visage de la personne qu’il était prêt à tuer il y a quelques minutes. Il avait toujours le souffle court, la respiration haletante. Il observait, détaillait son opposant, écoutait.

Clark se dit qu’il avait une chance de lui parler, de le convaincre. Là, maintenant, tout de suite. Il ne devait pas la gâcher, il n’en aurait qu’une seule.

-Bruce, dit-il d’une voix un peu éraillée. Je ne suis pas venu pour te combattre.

Il avait volontairement utilisé son vrai prénom, lui faisant comprendre qu’il avait des cartes dans sa manche qu’il n’avait pas joué. S’il avait voulu lui faire du mal, il aurait pu s’y prendre de bien d’autres façon que par une confrontation directe.

Batman cilla, mais ne réagit pas plus. Il écoutait toujours.

-Je comprends très bien tes appréhensions à mon égard. Elles sont d’autant plus légitimes que ma présence a causé beaucoup de dégâts, (il marqua un silence) beaucoup de pertes humaines. Mais aujourd’hui j’ai besoin de ton aide pour en empêcher encore plus d’arriver.

Sans mouvement brusque, il se redressa et s’assit sur le sol. Lois lui tenait toujours la main.

-Lex Luthor m’a tendu un piège, continua-t-il d’expliquer. Il retient ma mère en otage, dans un bâtiment en plomb, et si je ne lui rapporte pas ta tête dans vingt minutes, il l’exécutera.

Il sentit les doigts de Lois se resserrer un peu plus et le cœur de la jeune femme accélérer. Elle compatissait.

Mais son attention ne se détachait pas de Batman en face de lui.

En entendant le nom de Luthor, celui-ci avait imperceptiblement froncé les sourcils. Les pièces du puzzle s’assemblaient dans son esprit de détective. La kryptonite. Les données sur les super-humains. Le portugais blanc. L’attaque dans le désert. L’explosion du tribunal.

Tout ce qu’il avait sur le Kryptonien lui avait été servi par le même homme. Ce même homme qui lui avait tendu l’arme pour le tuer sur un plateau d’argent. Bruce aurait dû se douter que le vol de la kryptonite avait été un peu facile. Il avait commis une deuxième terrible erreur : Il avait sous-estimé le milliardaire excentrique.

Batman ferma les yeux et expira pendant plusieurs secondes.

Il triait les informations à une vitesse folle. Réanalysant toute l’affaire avec un œil nouveau.

Il n’avait pas réfléchi clairement depuis le début. Il avait laissé la rage et ses émotions le guider. Il avait pris la destruction de la tour Wayne comme une attaque personnelle du Kryptnonien, le rangeant dans la catégorie des monstres parce qu’il ne le comprenait pas. Et qu’il en avait peur.

Mais s’il reprenait les faits, tout collait beaucoup mieux en rajoutant Luthor dans le tableau. Le milliardaire, pas si philanthropique, ni si innocent, qui tirait les ficelles dans l’ombre des géants. Profitant de leurs animosités, exploitant leurs failles, usant de leurs faiblesses, pour les amener à s’entre-tuer.

Pour l’amener lui, Bruce Thomas Wayne, à vouloir exécuter de sang-froid quelqu’un.

L’horreur de son geste le glaça.

Quand il rouvrit les yeux, le couple devant lui n’avait pas bougé. Lois couvait désormais Superman d’un regard tendre, mais lui le scrutait toujours.

-Va arrêter Luthor, je m’occupe de Martha, articula Batman d’un ton grave.

Son microphone s’était cassé dans le combat, mais personne n’y prêtait attention. Ça n’avait pas d’importance.

Il voulait réparer son erreur. Apporter l’aide qu’il pouvait.

Il ne laisserait pas un autre homme perdre sa mère ce soir.