Chapitre 2

12 minutes de lecture

Not the only one - Papa Roach

Alec

Mes yeux papillonnent alors que je me réveille péniblement au son de l’alarme de mon téléphone. Je mets quelques minutes à reconnaître les lieux. Des cartons non déballés, d’autres avec des fringues qui en dégueulent, des murs blancs. Ma nouvelle piaule.

Ça fait une semaine qu’on s’est barré de L.A. en catastrophe. Ma mère a enfin eu le courage de quitter son connard de mec après le coup de trop. De toute façon, c’était soit ça, soit je lui démontais sa sale gueule. Je chope mon téléphone, éteins Not the only one de Papa Roach. La tête dans le cul, j’attrape au hasard dans un carton un futal, un t-shirt, un sweat et des sous-vêtements, puis file sous la douche.

Une fois prêt, je débarque dans la cuisine où ma mère boit son café dos à moi. En à peine une semaine, les bleus sur son visage se sont un peu estompés. Ça me fout toujours les nerfs de voir les marques que lui a fait cet enfoiré. Nous nous sommes éloignés pendant un moment, toute la période de sa dernière relation en fait. Elle, perdue dans cette liaison nauséabonde, et moi pour la faire réagir j’ai commencé à faire des conneries. Vols, weed, bagarres. Il était vraiment temps pour nous de prendre un nouveau départ. Rien que tous les deux, comme depuis la disparition de mon daron à mes quatre ans. Il s’est barré un jour pour acheter des clopes, on attend toujours qu’il revienne avec son paquet. Encore un qui ne sait pas porter ses couilles, plus facile de faire un môme à dix-neuf ans que d’assumer derrière.

J’arrive derrière elle et lui claque une bise sur la joue. Confuse, elle se retourne et lorsque son regard se pose sur moi il s’adoucit instantanément.

— Oh ! Alec, tu m’as surprise !

Je ricane en attrapant mon bol du placard, du lait au frigo et des céréales. En à peine une semaine, nous avons très rapidement repris nos vieilles habitudes.

Une fois assis au bar de la cuisine je l’observe quelques secondes. Souvent, les gens pensent qu'elle est ma sœur ou ma cousine. À trente-cinq ans, elle en fait facile dix de moins, sûrement dû à son style. Cheveux violets, mais qui changent de couleur régulièrement, jean, Doc ou Vans, les mains souvent recouvertes de terre. On est très loin de la mère qu’on représente dans les films. Mais, derrière cette image rock et décontractée, c’est une vraie maman poule. La meilleure, si vous voulez mon avis.

— Prête pour ta première journée ?

— Il me reste encore à réceptionner mon four, mon tour, puis quelques matières premières et je pourrais enfin reprendre le travail. J’espère que d’ici quelques jours je pourrais lancer ma première cuisson. Et toi ? Tu es d’attaque ?

J’acquiesce la bouche pleine.

— Tu sais Alec, on n’en a pas rediscuté, mais plus de conneries. C’est ta dernière chance ici. Fais-toi des amis, trouve-toi une gentille petite copine, pas le genre de L.A.. Réfléchis à tes choix pour l’université, tout se joue cette année.

J'avale ma bouchée de céréales.

— Promis, maman. Cette année, je me tiens à carreau.

Je regarde ma montre, il est huit heures trente, les cours débutent dans vingt minutes et le temps d’arriver je suis déjà en retard ! Merde ! Ça commence bien !

— D’ailleurs, je file, sinon je vais être à la bourre !

Je lui claque une dernière bise sur la joue tout en laissant mon bol en plan. Je cours vite dans ma piaule récupérer mes affaires pour cette première journée et les clés du vieux pick-up que mon grand-père m’a légué à sa mort.

Satisfait d'avoir rattrapé mon retard, j’arrive à l’école. Bon ok, pas sûr d’avoir vraiment respecté les limitations de vitesse, mais l’important c’est de ne pas faire de vague au lycée. Je file rapidement au secrétariat pour finaliser mon inscription et mon option dessin. Une fois tout en ordre, je me retrouve comme un con à guetter le délégué des élèves. Finalement, je suis de nouveau à la bourre. Putain, comment se faire remarquer le premier jour ? Génial ! Alors que je m’attends à un geek boutonneux, mes pupilles tombent sur une cheerleader brune aux yeux marron, les lèvres pulpeuses et un petit nez en trompette. D’une démarche assurée, elle avance vers moi, la tête haute comme si le monde lui appartenait, sûre de son pouvoir d’attraction. Plutôt mignonne, le genre de filles que j’attire comme des mouches sur un papier collant. J’en ai baisé quelques-unes de ce type à L.A. En général, elles sont parfaites pour une nuit sans lendemain.

— Salut, c’est toi le nouveau ? me demande-t-elle. Je suis Leean.

— Hey ! Moi, c’est Alec.

Un sourire fleurit sur ses lèvres lorsque son regard me jauge de la tête aux pieds.

— Hmm, tu es pas mal, dit-elle d’une voix mielleuse.

Qu’est-ce que je disais ? Bien qu’elle soit canon, je ne veux plus me laisser aller avec ce style de fille. La dernière a vraiment été casse-couilles. Tu leur fais prendre leur pied et de suite elles se voient finir leur vie et te mettre la corde au cou.

Devant mon apathie, elle fait demi-tour et s'élance, sans même un signal. Après quelques enjambées pour la rattraper, elle commence son speech déjà tout préparé pour une visite du lycée. Celui-ci n’est pas bien différent de celui où j’allais à L.A. Des allées remplies de casiers entre chaque porte qui mène à une pièce. Au détour d’un couloir, j'aperçois par les fenêtres des élèves sur le terrain de foot. Je manque de lui rentrer dedans quand elle s’arrête devant une classe.

— Voilà, ton premier cours est l’anglais, nous en avons peu en commun. Mais si jamais un jour tu souhaites qu’on se voie…

Elle me lance cette phrase tandis que son doigt manucuré passe sur mon avant-bras. Je comprends tout à fait ce qu’elle veut dire.

— Hmm ok. Merci pour la visite.

Elle m'envoie un clin d’œil, puis me laisse en plan devant la salle.

Je souffle un coup, toque et attends qu'on me donne l’autorisation d’entrer. J'ouvre après avoir entendu l’accord du prof et me retrouve dans une classe pleine.

Putain, je n’aime pas ce genre d’arrivée ! Pourvu qu’il ne m’oblige pas à me présenter devant toute le monde. J’ai toujours eu l’impression d’être dans un groupe d'entraide des Alcooliques Anonymes : Bonjour, je m’appelle Alec. Bonjour Alec... Je secoue la tête avant de me lancer sous les regards suspicieux des sportifs, papillonnant des cheerleaders, puis timides d’autres filles.

— Bonjour, je viens d’arriver, je m’appelle Alec Smith.

— Ah oui, le principal m‘a prévenu. Vous êtes en retard, jeune homme. Prenez place rapidement, nous venons de commencer.

Ok, bon j’ai l’air de l’avoir agacé à peine débarqué, mais l’avantage, c’est que je n’aurais pas à me taper la honte en devant raconter ma vie devant toute la classe. Je cherche une chaise. Tout le monde s’est déjà regroupé en fonction de leur affinité ou par équipe de sport. Après un rapide coup d’œil, j’en repère une au fond entre un latino et une magnifique blonde.

En remontant jusqu'au bureau libre, je sens les regards de la classe sur moi inspectant mes faits et gestes. J’entends également des gloussements de certaines nanas. À un moment, ma future voisine lève ses iris et les pose sur moi. Je suis comme subjugué. Ses yeux sont d’un mélange bleu vert, un peu comme les lagons d’une île du Pacifique sur laquelle on rêverait de couler des jours heureux. Les rayons du soleil se reflètent dans ses longs cheveux, elle semble briller tel un ange. Cette fille dégage une aura de dingue, elle est juste magnifique ! Et le membre dans mon caleçon est tout à fait d’accord ! Sans parler de son style de fringues, j’adhère totalement. Sous mon regard appuyé, ses joues se colorent d’une adorable teinte rosée. Un rictus aux lèvres, je m’assieds et me tourne vers mon autre voisin.

— Salut ! Moi, c’est Wyatt, me chuchote-t-il, un sourire communicateur sur la bouche.

— Salut, Alec.

Je prends le temps de le détailler. Les cheveux bruns en piques, yeux verts, un t-shirt de Nirvana sur le dos, on pourrait porter les mêmes vêtements.

Ma voisine souffle tout en gribouillant dans son cahier. En penchant légèrement la tête, je me rends compte que ce ne sont pas des notes de cours, mais plutôt des dessins. Je n’ai pas le temps de bien voir que le prof se racle la gorge.

Je me remets en place sur ma chaise, ce serait con de choper une heure de colle, au bout de cinq minutes de cours. La première journée de surcroît.

Du coin des yeux je la fixe discrètement, ses mains fines ont les ongles vernis en noir et tiennent habilement le crayon qui glisse sur la feuille. Son regard fait des va-et-vient entre le groupe des sportifs et cheerleaders, puis à nouveau sur son dessin. Je suis plus qu’intrigué. Fait-elle des portraits ? Que leur trouvent-elles ? De toute l’heure, pas une seule fois ses magnifiques yeux ne se tournent vers moi et j’avoue que je suis un peu déçu. Lorsque la sonnerie informant la fin du cours retentit, je ramasse mes affaires au moment où je suis interpellé par Wyatt.

— Alec ? T’as besoin d’aide pour te rendre au prochain cours ?

— Ah, c’est cool mec. Mais je dois aussi aller à mon casier déposer mes cahiers. J’ai pas eu le temps tout à l’heure.

— Fais voir ton planning.

Je lui tends la feuille et tourne la tête pour repérer la blonde, mais celle-ci s’est enfuie déjà à toute vitesse. Mon regard se pose sur un papier au pied de son bureau. Je me penche et m'aperçois qu’il s’agit de son dessin. Lorsque je l’inspecte, j’éclate de rire. Son excellent coup de main a croqué la salle de cours. Alors que je pensais à un simple dessin réaliste, tout le groupe qu’elle ne cessait de fixer tout ce temps est représenté sur des bottes de foin. Le quarterback en coq est habillé de sa veste de capitaine, est accompagné dans un premier temps par des canards avec le même haut que l’équipe de foot. Autour d'eux, des poules et autres volailles ont l’air de parader. Quel sens de l’humour, j’adore !

— C’est toi qui as dessiné ça ?

La voix derrière mon épaule de Wyatt me fait sursauter.

— Non, c’est la blonde qui était là qui l’a fait tomber.

— Hailey ? Ouais, ça lui ressemble assez. Allez, viens. On va d’abord ranger tout ton bordel et mis à part le dessin, on a le même planning.

Hailey. C’est donc son prénom.

— Cool ! Je voudrais bien rendre le croquis à sa propriétaire aussi.

Le courant passe plutôt bien avec Wyatt. Il m’apprend qu’il entretient un petit truc avec la meilleure amie de Hailey, Betty, mais que c’est tout récent. Devant mon casier, j’y dépose le surplus de cahiers et de livres et ne prends que le strict minimum pour le restant de la matinée. Lorsque je le referme, Wyatt, un sourire niais sur les lèvres me donne un coup de coude dans le bras.

Mon regard suit le sien et tombe sur Hailey accompagnée d'une jolie black à la coupe afro. Je comprends tout à fait pourquoi il craque sur Betty. Cette nana a une énorme ressemblance avec Alicia Keys. Dans un même mouvement, nous avançons jusqu'à elles. Hailey est de dos et ne nous voit pas arriver, tandis que Betty laisse deviner un sourire en apercevant Wyatt.

— Hello beauté ! fait-il en lui caressant le bras du bout des doigts une fois à leur niveau.

Son attitude me fait énormément rire. Il devient tout mielleux dès qu’il est proche d’elle. Hailey sursaute et examine la main de Wyatt, le sourire de Betty, puis son amie pour enfin revenir sur Wyatt. Légèrement troublée, elle se tourne vers moi. Je ne peux me dérober à son regard hypnotique. De près, elle est encore plus canon. Sa beauté est simple, sans aucun superflu. Ça change tellement de ces pauvres filles qui ne peuvent sortir sans un coup de truelle de maquillage sur la tronche. Je me racle la gorge lorsque ça commence à s’agiter sous mon froc à force de la regarder et lui tend son dessin.

— Qu’est-ce que c’est ? me demande-t-elle d’une petite voix timide.

— Tu as fait tomber ça en partant comme une fusée du cours d’anglais.

Elle inspecte le bout de papier et ses yeux pétillent en reconnaissant le contenu.

— Le coq avec la veste de l’équipe de foot est plutôt réaliste, je trouve.

— La basse-cour et les poules en cheerleaders sont mes préférées.

Sa réponse spontanée me provoque un éclat de rire. Et alors que je souhaite poursuivre notre conversation, un corps se colle au mien. Leean. Si son regard posé sur Hailey était une arme à feu, la jolie blonde serait morte sur le coup. J’ai bien l’impression que l’on tombe dans le cliché de la méchante cheerleader qui ne supporte pas que l’on touche à ce qui lui appartient. Mais là, on va avoir un problème, je ne suis à personne. Je crois qu’il va falloir que je recadre rapidement Leean. Ses mains s'accrochent comme une moule sur son rocher à mon bras pendant qu'elle se rapproche de mon oreille.

— Si tu veux mon avis, je ferai bien plus l’affaire qu’elle. Tu mérites mieux qu’une petite vierge.

Très vite, je me rends compte que Leean a parlé suffisamment fort pour que tout le monde puisse entendre. Je suis complètement choqué par tant de méchanceté totalement gratuite. J'en ai côtoyé des salopes, mais là elle est dans le top dix. Je ne pensais vraiment pas qu'elle me sortirait une telle connerie ! Hailey écarquille les yeux et avant que je n'aie le temps de réagir elle déguerpit en lançant une œillade larmoyante à Betty. Je rejette immédiatement Leean, mais le mal est fait.

Son amie, prête à lui sauter à la gorge, lui hurle dessus. Elle est rattrapée in extremis par Wyatt, tandis que la vipère s'échappe à toute vitesse fière d’elle, évitant de peu les griffes aiguisées de la furie. Au loin, Hailey tourne au coin du couloir.

Sans même réfléchir, je me lance à sa poursuite. Lorsque j’arrive à l’angle, seules deux portes se font face. Les toilettes. Devant celles des filles, je prends le temps d'inspirer une grande goulée d’air. Putain ! Qu’est-ce que je fous là ? J’hésite un instant. Les mots sont parfois pires qu’une gifle, je l’ai bien vu sur ma mère avec son ex.

Sur le point de faire demi-tour, un cri retentit depuis la pièce. À la hâte, j’actionne la poignée et passe la tête par l'entrebâillement. Accroupie, Hailey tremble, le visage entre les mains. Sans attendre, j’entre et m’assieds à ses côtés. Je ne sais pas du tout comment agir. La prendre dans les bras ? Partir ? Parler ? Mais pour dire quoi ? Alors que je l’observe depuis plusieurs minutes, elle fixe ses yeux devenus tout rouges dans les miens.

— Ça va ? je demande doucement.

Elle secoue la tête. Évidemment, qu’elle ne va pas bien ! Elle vient de se faire humilier devant tout le monde, abruti.

— Tu veux bien m’expliquer ce qu’il se passe entre vous deux ?

Son regard toujours plongé dans mes yeux, elle fait à nouveau non de la tête. Je me sens complètement perdu. Un frisson la traverse tandis que dans un dernier essai pour la réconforter, je lui attrape les mains et caresse sa paume de mon pouce. Sa petite voix devenue rauque brise le silence alors qu'elle évite à nouveau de me regarder.

— Tu n’étais pas obligé de venir.

— Hailey, regarde-moi.

Ses yeux se lèvent timidement.

— Tu n'as pas à faire tout ça, là. Te cacher dans les toilettes, pleurer. Ce n'est pas à toi de te sentir minable pour ce qu'elle a dit.

Des larmes apparaissent aux commissures de ses paupières. Toute l’émotion contenue jusqu'ici dévale à présent ses joues alors que, tel un cocon, un silence réconfortant s’installe entre nous, sans que ni elle ni moi osions l'interrompre. Nous sommes dérangés quelques minutes après par la seconde sonnerie qui retentit annonçant la reprise des cours. Elle s'essuie les pommettes de sa main qu'elle retire de mon étreinte.

— Je vais me débarbouiller, tu devrais y aller.

— Sûre ?

— Oui.

Plus que sa réponse, c’est son léger sourire qui me pousse à me relever. Je rejoins la porte et lorsque j’en passe le seuil je crois entendre un faible merci.

Je ne comprends pas comment cette fille, que je ne connaissais pas encore ce matin, a pu m'attendrir en un regard. Ce cynisme, qu'elle retranscrit à la perfection sur papier, cache quelque chose de plus profond. Derrière cette façade fragile, j’arrive à discerner bien plus que cela. Hailey est forte, mais ne semble pas le voir. Certaines des fissures que j’ai pu entr'apercevoir en quelques minutes me ramènent à celles de ma mère. Rabaissée, battue, mais qui s’en est sortie plus déterminée que jamais. Et bien que Hailey ne me laisse pas forcément indifférent, je ne suis pas sûr de vouloir creuser plus que ça et de me mettre au milieu, du moins pour l'instant.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Lucie "LaFéeQuiCloche" Lake ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0