chapitre 4
Samedi matin. Chez Suzanne.
Il est trois heures. Suzanne se réveille. Même dans le noir, elle sent que la pièce est trop vide. Elle entend un peu le vent dans le tuyau du fourneau. Et surtout elle entend la mer qui déplie une à une ses vagues dans le silence. Elle referme les yeux et appuie sur ses paupières comme quand elle était petite pour faire venir des étoiles de toutes les couleurs sur un fond beige d’abord puis, quand elle cesse d’appuyer, des points bleus qui bougent. Le lit est contre le mur, elle y appuie le dos pour se sentir protégée, comme ça elle peut faire face aux attaques qui pourraient venir, même si elle sait bien que rien ne l’attaquera ici.
Elle ne se rendormira pas. Elle se lève, traverse la pièce pour aller à la fenêtre qu’elle ouvre et elle pousse les volets puis se penche pour les bloquer contre le mur l’un après l’autre. Le bruit de la mer est plus fort. Il fait noir. Elle retourne vers son lit pour prendre une couverture et s’allonge à même le sol sous la fenêtre ouverte. Le vent souffle doucement. Un peu d’air froid lui caresse la figure. Elle s’enroule dans la laine, saisit son pouce droit dans sa main gauche et se blottit sur le sol dur qui la porte, lui rappelle qu’elle a un corps et apaise son angoisse. Elle se sent bien maintenant. Tout près de son visage, le plancher dégage une odeur d’encaustique. De temps en temps, les volets cognent contre les loquets rouillés. Elle écoute longtemps. La mer, le vent, la mer, le vent...
Quand elle se réveille, c’est l’aube. Le jour commence tôt en cette saison. Le vent est tombé. Les vagues se sont éloignées mais elles répètent toujours la même chose. Au-dessus d’elle, la chatte apparaît dans l’embrasure de la fenêtre, comme une ombre noire sur le ciel qui verdit au loin derrière les cyprès. Après quelques secondes, elle saute à l’intérieur sans un bruit puis s’installe sur le lit. Suzanne se relève et va la caresser tout en lui parlant à mi-voix. Elle arrange la couverture autour d’elle pour lui faire un nid, enfile un vieux vêtement et entrouvre la porte.
La maison n’est qu’à une vingtaine de mètres du rivage. Elle en est seulement séparée par un chemin de terre. Suzanne distingue à peine dans la pénombre la ligne plus claire de l’écume et les immenses chaos granitiques au loin, comme de grandes bêtes pétrifiées couchées là. À un endroit, au loin, à droite, il y a toujours de temps en temps des gerbes d’eau blanche même à marée basse.
Elle rentre et, sur son petit réchaud à gaz, elle se fait du café avec de la chicorée et du sucre. Ensuite elle prend la cafetière d’aluminium, une tasse et sort s’asseoir sur le banc de pierre devant la façade. Elle boit à petites gorgées, enveloppée dans sa veste chaude en regardant au loin les phares des îles qui ne sont pas encore éteints. Des oiseaux de mer glissent dans la brume au-dessus d’elle. La mer est d’argent gris dans l’aube froide.
À cause du manque de sommeil, elle a un peu envie de vomir. Son corps est parcouru de picotements et la fatigue tire la peau de son visage mais le liquide chaud calme peu à peu sa nausée.
Elle pose son bol sur le sol et descend sur la grève jusqu’au sable que le flot a lissé pendant la nuit et qui est parsemé de petits galets plats. Un peu plus haut, il reste des traces de pas et un château de sable en ruines. À la frontière des deux zones, les dernières vagues de la marée ont abandonné des tas de varech. Elle se met pieds nus, marche sur le sable vierge, se retourne au bout de la crique et regarde ses traces. Puis elle s’assoit dans l’herbe du rivage pour s’essuyer les pieds avant de remettre ses chaussures.
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