Chapitre 17 (deuxième partie)
La première vision que j'eus des côtes écossaises ne m'impressionna pas vraiment. Le relief n'était pas très découpé, il y avait certes des falaises, mais moins impressionnantes que ce que Kyrian m'avait décrit. En outre, le port et la ville de Dundee ne me laissèrent pas un souvenir impérissable et je fus bien contente, après trois jours, de pouvoir monter dans la voiture qui allait nous conduire jusqu'à Perth. Mais je déchantai vite : nous n'étions pas seuls à bord et nos voisins, sans être repoussants, n'étaient pas des compagnons de voyage des plus agréables. Aussi fus-je soulagée quand nous arrivâmes à Perth, première vraie étape de notre périple à travers les "Lowlands". Les trois hommes qui se trouvaient avec nous n'allaient pas plus loin. Sans la présence de Kyrian, je me demandais d'ailleurs ce qu'il serait resté de la vertu de Clarisse qui avait supporté avec courage les regards concupiscents de l'un d'entre eux, après avoir vécu l'enfer - d'après ses dires, et je voulais bien la croire pour l'avoir aidée autant que je le pouvais - à bord de la Marie-Jeanne.
Nous devions demeurer une nuit seulement à Perth, dans une auberge somme toute confortable. Kyrian m'avait prévenue que le voyage en Ecosse serait certainement plus "simple" que ce que nous avions connu en France ; je devais reconnaître que j'allais apprécier cependant chacune de nos étapes. La nourriture y était différente, mais bonne, les chambres agréables. Je goûtais notamment au confort des lits, aux édredons chauds et moelleux. Même si j'avais contre moi le corps de mon époux pour compenser la fraîcheur des nuits écossaises.
Un incident, si on peut le dire ainsi, car il fut plutôt heureux, marqua notre arrêt dans cette bourgade qu'on osait qualifier de ville : elle n'était rien d'autre à cette époque qu'un gros bourg de campagne, avec une rue principale, une église, une place et quelques ruelles adjacentes. Elle possédait cependant au moins deux auberges, un médecin, un juge et un poste de garde. Nous devions donc y rester une seule nuit, mais le cocher informa Kyrian après notre repas du soir qu'il rencontrait un petit souci. Il devait prendre deux autres voyageurs avec nous, or l'homme avait fait une mauvaise chute et il avait besoin d'une journée supplémentaire de repos avant de repartir. Cela ne nous dérangea pas outre mesure de rester une journée de plus à Perth et ce fut ainsi que je fis la connaissance de la toute jeune Bethany Hampton. Elle se rendait chez son oncle, à Inverness. Orpheline depuis peu, elle avait été recueillie durant quelque temps par des parents éloignés, qui n'étaient que des petits commerçants d'Edimbourg et dont les moyens ne permettaient pas de faire vivre une personne de plus. Leur deuxième fils avait alors proposé d'escorter la jeune fille jusque chez cet oncle qui allait devenir son tuteur et protecteur jusqu'à ce qu'elle soit en âge de prendre époux.
Bethany se révéla une jeune fille très agréable, cultivée et discrète. Agée de 13 ans, elle était aussi pleine d'innocence et sa compagnie fut très plaisante, de même que celle de son cousin avec lequel Kyrian prit plaisir à discuter.
Ce premier soir à Perth et alors que Kyrian refermait derrière lui la porte de notre chambre, je dis simplement :
- Bien, il va falloir trouver à nous occuper toute une journée dans cette petite ville. Au moins, nous avons l'assurance de ne plus voyager avec ces commerçants lourdauds !
- Je crois que Clarisse va en être satisfaite, me répondit-il. Quant à savoir ce que nous ferons demain, bah, ma foi...
Il s'approcha de moi, j'étais assise sur l'unique fauteuil de la chambre, devant un simple miroir posé sur ce qui pouvait s'apparenter à une commode. Son regard croisa le mien dans le reflet, ses yeux s'étaient légèrement assombris : je savais désormais que ce n'était pas dû aux ombres du soir, mais déjà le signe de son désir pour moi. Et j'en frissonnai jusqu'au plus profond de mon être. L'effet était immédiat. Il lui suffisait de me regarder ainsi et je n'avais alors plus qu'une envie : être déjà nue à nu, dans le lit. Je tentai cependant de garder un peu le contrôle de moi-même.
- Y a-t-il tant de choses intéressantes à faire dans cette... "ville" ? dis-je en hésitant sur le dernier mot.
- Absolument rien, en-dehors de chercher un whisky convenable. La "ville", comme tu dis, tu l'as déjà vue.
- Et bien, alors, nous ferons connaissance avec cette demoiselle Hampton. Elle est Anglaise, si j'ai bien compris ?
- Tu as bien compris. Mais je pensais à autre chose que papoter chiffon... Je sais que tu détestes cela et je voudrais te l'épargner.
J'eus un mince sourire. Je continuai à passer lentement la brosse dans mes cheveux. Clarisse m'avait aidée à ôter ma robe de voyage et je portais déjà ma tenue de nuit. Enfin, une tenue "décente" de nuit, car je n'avais pas souvenir d'avoir gardé une quelconque tenue de nuit bien longtemps depuis que j'étais mariée. Kyrian poursuivit :
- Non, je pensais..., commença-t-il en dégrafant négligemment la broche qui retenait le pan de son tartan, sur son épaule, et en la déposant à côté du broc d'eau froide sur la commode.
- ... continuer les cours de gaëlique ? l'interrompis-je vivement. Cette pauvre Clarisse a bien de la peine avec vos fichues prononciations !
- Elle s'y fera. Elle mettra plus de temps que toi, mais elle s'y fera, se voulut-il rassurant alors qu'il posait ses mains sur mes épaules et penchait sa haute taille au-dessus de moi, plongeant ainsi le regard directement entre mes seins, seins que ses mains dénudèrent bien vite.
Je soupirai. Combien de temps pourrais-je lui résister et parvenir à mener une conversation normale ? Je doutai de tenir plus d'une réplique encore.
- Je pense que nous pourrions trouver plus agréable occupation qu'arpenter la rue principale ou faire ânonner à Clarisse quelques rudiments de gaëlique. Non, je pensais... poursuivre des cours plus... particuliers. Il est des phrases que Clarisse n'a nul besoin d'apprendre.
- Mais qui ne me seront pas d'une grande utilité pour m'adresser à ton oncle ou à ta sœur, répondis-je en une ultime et vaine tentative de garder le contrôle.
Car je me retournai bien vite, lâchai la brosse à cheveux sans me soucier de l'endroit où elle allait passer la nuit, nouai mes bras autour du cou de Kyrian et l'embrassai à pleine bouche. Il me souleva alors comme un sac de plumes et, l'instant d'après, je reposai sur le lit, à moitié nue, le regardant ôter ses propres vêtements avec une rapidité qui me laissait toujours jalouse : je mettais au moins dix fois plus de temps à faire de même avec ma robe et mes jupons, sans parler du corset...
**
Je parvins néanmoins à faire quitter notre chambre à mon époux à une heure tout à fait décente le lendemain et nous nous enquîmes des deux voyageurs que nous aurions pour compagnons de route durant les prochains jours. Ils étaient descendus dans l'autre auberge de la ville, plus modeste que la nôtre. En ce milieu de matinée, la salle en était quasiment déserte et à peine étions-nous entrés que je remarquai la petite demoiselle et son cousin, assis à une table, près de la cheminée. Nous nous approchâmes et les saluâmes, ils nous répondirent avec courtoisie et le jeune homme nous remercia d'avoir accepté le contretemps. Il se présenta à nous sous le nom de Terry Marlow.
Même si les rues de Perth ne présentaient pas un grand intérêt, je proposai cependant à Bethany de sortir un peu, histoire de prendre l'air. Kyrian resta avec Terry et nous convînmes de les retrouver pour souper ensemble. Au cours de cette promenade, je pris ainsi connaissance de la jeune vie de Bethany qu'elle me raconta bien volontiers. Cette vie ressemblait à s'y méprendre à celle que j'avais connue, même si Bethany n'avait pas grandi dans une famille aussi aisée que la mienne. Ses parents appartenaient à la petite noblesse du nord de l'Angleterre, mais l'oncle chez lequel elle se rendait était plus fortuné et se trouvait à Inverness depuis quelques années, grâce à ses amitiés avec un comte proche du roi. Il devait aussi sa richesse à un mariage réussi et au commerce du vin qu'il avait organisé depuis Bordeaux. Elle ne l'avait vu qu'une seule fois et ne connaissait pas non plus son épouse. Elle me confia aussi ses craintes :
- Il paraît que les Highlands sont des lieux étranges et menaçants et que leurs habitants sont de vrais sauvages. Qu'en savez-vous ?
- Et bien, ma foi, si tous les Highlanders ressemblent à mon mari, je pense que le mot "sauvage" ne peut pas vraiment s'appliquer. De ce qu'il m'en a dit, la vie est plus rude qu'en France, mais pas forcément si différente de ce que vous avez connu en Angleterre. Vous savez, Bethany, je vais également découvrir ce nouveau pays.
- Cela ne semble pas vous effrayer ? Moi, je ne peux me départir d'une certaine crainte.
- J'éprouve un peu d'appréhension, je vous l'avoue, mais seulement en ce qui concerne la famille de mon mari, la façon dont je serai accueillie, mais cela est normal : je vais faire connaissance avec des gens que je n'ai jamais vus. Vous aussi, il en sera de même avec votre oncle que vous connaissez à peine et votre tante que vous ne connaissez pas du tout ! Et puis, vous savez, de ce que m'en a dit mon mari, nous allons découvrir un pays fabuleux !
- Il y pleut tout le temps, soupira Bethany. Et il y fait froid... Enfin, je crois, ajouta-t-elle avec un peu d'hésitation.
- Je crois... qu'il faut se méfier des rumeurs et des préjugés. Et qu'il vaudra mieux nous faire notre propre opinion, par nous-mêmes. C'est, du moins, ce que j'ai décidé de faire, répondis-je avec philosophie. Il y aura certainement des aspects de la vie quotidienne ici qui me déplairont, mais d'autres que j'apprécierai sans que j'en aie pour autant encore la moindre idée.
Elle me regarda un peu étrangement. Mais un petit sourire s'afficha sur son visage.
- Vous avez certainement raison ! Je vais m'efforcer d'adopter ce point de vue aussi.
- Cela vous aidera certainement à mieux envisager le quotidien.
- Quoi qu'il en soit, je suis heureuse que nous fassions le voyage ensemble.
J'en étais heureuse moi aussi, car elle m'était vraiment sympathique.
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